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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

1.1. Notion équivoque et plurivoque

―Le document authentique‖ doit sans doute son prestige à la ―Réaction‖ qu‘il dissimule mais il le doit aussi à ce que l‘adjectif authentique amalgame un ensemble de données très hétérogènes, les présentant sous le jour favorable des connotations dont il est porteur dans la plupart des contextes. Dans les discours didactiques, il réfère à au moins quatre agrégats de réalités différentes, c‘est-à-dire à des ensembles de données didactiques ou pédagogiques souvent assez hétérogènes. Ils s‘agit moins d‘un concept rigoureusement défini que d‘une

1Voir en particulier Le Français dans le Monde, novembre -décembre 1977, n° 133, sur ―Les nouveaux débutants‖.

2Il est intéressant de noter le retour concomitant des pratique grammaire dite ―explicite‖ et de traduction littérale, par ―transparence‖ ou autres.

notion dont les caractères incertains renforcent la séduction, ce sont des documents en contact direct avec la réalité.

1. Elle désigne souvent1 quelques qualités valorisantes intrinsèques au document. Trois d‘entre elles peuvent être considérées comme des critères d‘authenticité.

D‘abord, l‘impression de vrai, de vivant, de naturel que donne le document ; impression qui s‘opposerait à celle du faux, de l‘artificiel, du fabriqué, suscitée par de nombreuses productions didactiques. Ensuite, 1e fait que le document, dans sa texture même, contienne des indices attestant qu‘il n‘est pas destiné à répondre à des fins pédagogiques précises, plus particulièrement, que, du moins à son origine, il n‘était pas destiné à l‘enseignement à des étrangers de la langue qui le constitue. Enfin, ce que nous appellerons l‘intégralité du document, c‘est-à-dire le fait qu‘il est présenté aux étudiants dans forme matérielle primitive, sans être remanié ou coupé. Les trois critères peuvent être utilisés simultanément ou isolément selon les besoins de l‘argumentation.

Il n‘est pas utile de s‘attarder sur la subjectivité des deux premiers critères et sur leurs implications contradictoires. Le ―naturel‖ d‘un document tient plus à la représentation sociolinguistique qu‘on se fait de ce ―naturel‖ qu‘à une observation objective de la réalité telle interview réelle sera jugée inauthentique parce qu‘―un ouvrier ne parle pas comme ça‖, et telle interview habilement fabriquée sera jugé authentique parce que le langage qu‘on y trouve correspond parfaitement à la représentation qu‘on en a. Vieux dilemme du vrai et du vraisemblable difficile à trancher à l‘oral comme à l‘écrit (3). Le second critère, appliqué rigoureusement, exclut du royaume de l‘authentique tout manuel d‘enseignement des langues, y compris ceux qui sont confectionnés à l‘aide de

1Par exemple, chez M. GALLANAND, F. FIRMIN, S. LIEUTAUD : Méthodes actives en langue étrangère et travail sur docurnents,Paris, B.E.L.C., multigr. 1974, ou A. COIANIZ ―Le recours à‘ l‘authentique : perspectives et limites‖, Travaux de didactique du français langue étrangère, n° 1, mai 1979 (Université Paul

documents suppos authentiques le fait de les choisir dans une finalité pédagogique les privant de leur authenticité. Il y a, par ailleurs, quelque chose de suspect dans cette excommunication du pédagogique dans un projet qui ne peut que l‘être. Et n‘y a-t-il pas toujours quelque intention pédagogique langagière dissimulée dans nombre d‘articles sur la langue française, dans certains romans, dans les bavardages d‘une mère avec son enfant etc,.

En raison du caractère fortement impressionniste des deux premiers critères, nous retiendrons le troisième, moins contestable pour désigner ce premier agrégat : l‘intégralité d‘un document.

2. Le second agrégat de données auquel réfère (plus rarement) le document authentique est constitué par les conditions de production et de réception primitivement prévues pour ce document .Cet agrégat regroupe le contexte plus ou moins immédiat dans lequel il s‘inscrit (la page du journal d‘où est extrait l‘article, le journal lui—même) mais aussi l‘ensemble des réalités objectives et subjectives qui concouraient à sa communication originale.

Parmi ces réalités, sont jugés importants les statuts et rôles des producteurs et récepteur primitivement concernés par le document : un document authentique est un document produit, par exemple, par un francophone pour des francophones. Faut-il encore que ces francophones ne soient pas exclus de l‘authenticité pour ….de pédagogie (selon les critères du premier agrégat) et qu‘ils soient des francophones ―à part entière‖. Quel est le seuil de francophone pour quelqu‘un dont la langue maternelle n‘est pas française ? Quand une mère française s‘adresse à son enfant en s‘adaptant à son niveau de compréhension produit elle de l‘authentique ?

1. Sous l‘influence des pratiques fonctionnelles et communicatives (en principe centrées sur l‘apprenant), authentique renvoie quelquefois à la tache pédagogique que les étudiants doivent réaliser sur ce document. Plus cette tâche, proposée par le maitre, sera éloignée de celle primitivement prévue dans le cadre

de sa réception originale, plus elle sera réputée artificielle et donc non authentique.

Ainsi, faire parler des étudiants sur une bande dessinée ―sans parole‖ sera considéré comme moins authentique que de leur demander de lire un article pour en tirer les informations essentielles1. Pour désigner ce troisième agrégat, nous parlerons de degré d‘authenticité de l‘utilisation pédagogique du document. Pour un document littéraire, se pose la question de savoir s‘il est plus ―authentique‖ de le donner à lire pour le seul plaisir des étudiants comme font quelques amateurs de littérature, ou dans une perspective de formation professionnelle ou autre, comme chez beaucoup de lecteurs dont c‘est le métier de lire ce type de documents (professeurs de lettres critiques littéraires, gens d‘édition, etc.. , ou chez ceux qui ont l‘obligation de les étudier dans le cadre d‘un cursus scolaire ou universitaire. Quelle est de ces deux activités authentiques originales, celle qu‘il vaut mieux essayer de reproduire dans la classe ? Il est clair que l‘authenticité de la tache pédagogique demandée aux étudiants n‘est jamais parfaite, dès lors qu‘elle s‘inscrit dans le cadre institutionnel d‘une classe.

2. Le quatrième agrégat que peut désigner authentique est le plus difficile à cerner il concerne ―la qualité‖ de la réception du document par les étudiants étrangers. Très composite, il regroupe des données psychologiques (de motivations en particulier) linguistiques et culturelles.

Certains didacticiens, dans une optique fonctionnelle2, font l‘hypothèse que les motivations d‘apprentissage peuvent âtre renforcées si les documents présentés aux étudiants correspondent à leurs objectifs de réemploi de la langue étrangère en dehors de la classe, dans leur vie professionnelle ou privée. Est alors désigné comme authentique un document en langue étrangère analogue et ceux que les apprenants pratiquent déjà dans leur langue maternelle. On spécule

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Ce point de vue est développé particulièrement par A. MALEY Jusqu‘où va l‘authenticité ?― Actes du séminaire C.R.A.P.E.L.., Mars 1978, Nancy, C.R.A.P.E.L. 1978.

2Par exemple S. MOIRAND ―A propos d‘authenticité‖, Actes du sém C.R.A.P.E.L.., Mars1978

didactiquement sur le transfert des règles communicatives et des savoirs référentiels acquis dans cette langue pour faciliter l‘accès à la compréhension des ―mêmes réalités‖ formulées dans une autre langue. L‘authenticité de la réception du document, dans la classe est alors facteur de ce transfert.

Pour d‘autres didacticiens, on ne peut se borner à c type de documents. Il faut confronter les étudiants a des documents qui réfèrent à des réalités plus ou moins, spécifiques à l‘univers étrange: et dont les règles communicatives ne sont pas identiques à celles acquises dans la culture -maternelle. L‘authenticité de la réception du document par les étudiants dépend de deux impératifs. D‘une part, il est nécessaire que les étudiants le comprennent à l‘intérieur du champ de ses interprétations acceptables linguistiquement et culturellement : ils doivent savoir, par exemple, comment des Français pourraient interpréter ce document et quelle est la latitude interprétative qu‘autorisent la langue et la culture française mises en jeu par lui. D‘autre part, il paraît souhaitable qu‘ils puissent investir leurs propres expériences et préoccupations, liées à leur langue et culture maternelles, dans 1‘interprétations qu‘ils peuvent faire de ce document pour eux étranger L‘authenticité de la réception nous paraît dès lors résider dans un va-et-vient constant entre l‘identification imaginaire à des lecteurs français qu‘ils ne sont pas et la distanciation inévitable qu‘implique leur statut (linguistique, culturel, idéologique) étranger. La réception.

3. La distinction proposée par E. WERLICH1entre textes ―fictionnels‖ et textes ―factuels‖ s‘appuie essentiellement sur certaines caractéristiques des deux premiers agrégats : sont dits ―factuels‖ les textes dont les références (extra— linguistiques) sont vérifiables par des récepteurs compétents. C‘est-à-dire, en principe, les récepteurs originellement prévus. Les documents authentiques sélectionnés selon les critères internes ou externes de ces deux agrégats peuvent

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E. WERLICH : Typologie der Texte. EntwurfeineslinguistischesModeliszurGrundiegungeinerTextgrammatik, Heidelberg, 1975.

être aussi bien factuels (dans les démarches fonctionnelles en particulier) que fictionnels (bandes dessinées, publicités, documents littéraires, etc.)

Les deux premiers agrégats relèvent plutôt de la linguistique ou de la sociolinguistique ; les deux derniers relèvent plutôt de la psycholinguistique ou de la didactique des langues étrangères. Ces domaines sont certes connexes mais structurés théoriquement de manière sensiblement différente, ce qui rend leur articulation conceptuelle quelque peu problématique.