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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

1.4. Le modèle exploratoire

Ce travail de recherche suit le modèle exploratoire ou « ex-post-facto », parce que les enseignants qui en sont les sujets n'y sont pas impliqués dans un processus expérimental. Ils ne sont pas engagés dans une expérimentation. Seul un questionnaire conçu en partie comme épreuve et en partie comme grille de collecte des pourcentages de réussite permet de mener les investigations sur le terrain, et donc de collecter auprès des sujets retenus au sein de la population de l'étude les informations nécessaires à la vérification des hypothèses.

2. Problématique des techniques d'expressions historique

La production du discours a été liée pendant longtemps à deux disciplines, qui ont toutes deux évolué considérablement, la grammaire et la rhétorique. Doit-on d'ailleurs dire que cette dernière a évolué ou s'est trouvé remplacée par ce qu'il est convenu de nommer depuis 1968 les "Techniques d'expression" ? Quoi qu'il en soit, nous souhaitons seulement, dans les pages qui suivent, tracer sommairement le cadre de cette activité, cadre historique d'abord, cadre

technique ensuite (technique, car il semble bien difficile de prétendre fonder cette démarche sur une théorie quelconque).

Très tôt, la grammaire a emprunté le chemin des "Elégances", de VALLA à BONHOURS, MENAGE, VAUGELAS, confondant au fil des siècles usage oral et usage écrit, usage et bon usage, bon usage marqué socialement et idéologiquement. Notre propos, ici, n'est pas de rappeler le cheminement des grammairiens en ce qui concerne la norme, mais plus modestement de rappeler l'arrière-plan historique d'une attitude didactique actuelle. La rhétorique a, semble-t-il, caractérisé des époques où l'universalisme était de rigueur. Dans les premiers siècles grammairiens de notre histoire, les langues vulgaires telles que le français, sont considérées comme des variantes d'une langue-mère (en l'occurrence le latin) et demeurent soumises à deux traitements, logique et

rhétorique, comme le souligne fort justement CHEVALIER1 " :

« … dans le cadre logique, la langue moderne est tenue pour proche des fondements de la réalité, de l'autre, dans le cadre rhétorique, elle passe pour une variante de la langue mère. Dans les deux cas, elle se définit donc par rapport à la forme canonique qu'offre le latin, mais selon une disparate assez étrange;"

Car à l'origine, du moins pour les langues grecque et latine (en ce qui concerne le français, l'élaboration de grammaires s'origine en partie dans les besoins pratiques de l'enseignement, par exemple PALSGRAVE), la grammaire est un moyen d'expliquer les poètes. Les humanistes du XVIe siècle français, réagissant contre les monuments que sont les grammaires en vers (Doctrinale, d'Alexandre de Villedieu; Grécisme, d'Evrard de Béthume), manifestent la volonté de retourner à la pureté de la langue originelle. Ensuite, la recherche en grammaire s'oriente vers la logique, tant en ce qui concerne la forme que le contenu. Et l'on remarque que l'ordo naturalis n'est pas régulièrement respecté en latin, alors que c'est le cas pour les langues modernes.

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"Ne serait-ce pas que ces langues élémentaires et moins raffinées que le latin dévoilent un ordre premier que cachaient les ornements de la langue latine ?

On passe alors de la division ternaire (norme/ce qui est autorisé par la figure/ce qui est interdit) à une opposition entre la grammaire fondamentale et la grammaire des exceptions. Ainsi, Jean VATEL, en 1515 distingue dans ses Exercitationes entre grammaire méthodique (ou historique) et grammaire exégétique. La grammaire méthodique, rattachée à Alexandre de VILLEDIEU et à PRISCIEN s'oppose à la seconde qui permet d'interpréter les écrivains.

La grammaire prend naissance dans la nécessité de donner les constructions correctes, du bon usage (tendance affichée pour le latin chez VALLA et les Elegantia). Au début du XVIe siècle, les grammairiens tenteront de se départir de l'influence de la rhétorique, en distinguant les règles linguistiques de l'"ornement". Guidés par la logique, ils accordent une grande importance à l'ordre des mots, qu'ils relient à des notions logiques, reléguant ce qui ne se conforme pas à ce moule dans les "figures". (Ainsi LEFEVRE D'ETAPLES et sa Grammatographia).

"L'Art de bien raisonner, comme la Grammaire de bien parler, la Rhétorique de bien dire, d'autant qu'elle monstre par ses règles et préceptes le vrai et naturel usage de raison, ainsi que la Grammaire du langage naïf et propre, la Rhétorique de l'éloquent et orné."

Convaincre donc, après bien parler. Mais convaincre selon des principes applicables universellement. Esprit de l'époque, mais aussi conséquence directe de cette emprise de la logique sur l'étude rhétorique de la langue, et - ne l'omettons pas - contexte pédagogique la répétition et la mémoire, fondements de l'enseignement, s'accordent bien à ces mécaniques expressives de la rhétorique. L'évolution de la notion de norme, privilégiant une langue élitiste, travaillée, ne pourra que confirmer cette tendance1. Ce que l'on offre donc au

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On ne s'étonnera donc pas, vu ces conditions, de retrouver la rhétorique au XIXe siècle, dans un enseignement discriminatoire entre les classes sociales.

public - car la démarche théorique ne peut ici se dissocier d'une didactique, qui se constitue en une articulation ternaire : grammaire (bien parler), dialectique (bien raisonner), rhétorique (bien s'exprimer).

On peut cependant douter de la fidélité aux principes de la rhétorique antique : rappelons pour mémoire que, apparaissant dans les démocraties de l'Antiquité, elle est d'abord une technique, empirique, élaborée par l'analyse des textes anciens. Les grands stades de son évolution sont traditionnellement marqués par CORAX et TISIAS de Sicile (Ve s; av. J.C.), puis par les sophistes (PROTAGORAS et GORGIAS) qui la développent, puis PLATON et ARISTOTE qui lui donnent une base philosophique, respectivement dans le "Phèdre" et la "Rhétorique", les logographes la codifiant ensuite dans leurs traités. La rhétorique latine n'apparaît qu'au l er s. av. J.C. ("Rhétorique à Hérennius", Anonyme) et sera développée par les rhéteurs de l'Empire. CICERON en élargit les bases : la rhétorique, confinée dans la technique, dépend alors de la culture générale. On retrouvera jusqu'au XVIe siècle en France cette illusion qui laisse croire à un public nouveau (les étudiants des universités après la dernière guerre) que l'accès à une culture générale est la voie pour l'accès à une expression satisfaisante. La rhétorique est cependant abandonnée dans l'Empire romain dès que les conditions politiques changent et ne permettent plus l'exercice de l'art oratoire. Une seconde sophistique (IIe au IVe siècle ap. J.C.) se développe alors, et la rhétorique devient affaire de virtuoses.

Traditionnellement, la rhétorique comprend cinq grandes parties :

 L'invention, qui consiste à recherche les idées et les arguments, et propose des "lieux communs", ou schémas de disposition passe-partout.

 La disposition précise les plans discursifs.  L'élocution traite le style et le rythme.

 L'action enseigne les attitudes, les gestes, les intonations propres à produire les effets escomptés.

Si la rhétorique demeure vivante dans la pratique de l'enseignement français jusqu'en 1885, c'est essentiellement sous une forme amoindrie, qui ne conserve que les trois premières parties (invention, disposition, élocution), excluant le non-linguistique (l'action).

Les traces qui subsistent dans notre enseignement de ce type d'approche (en particulier les formes canoniques des discours universitaires, dissertation, commentaire), réclament que l'on initie les étudiants de manière systématique à ces comportements - qu'on les regrette ou qu'on leur reconnaisse un quelconque mérite. Mais ramener les TE( Techniques d‘Expression) à cette conception, c'est définir le problème à partir de ses présupposés logiques et philosophiques, dans un cadre universel peu propice, semble-t-il, à permettre au sujet à prendre place (sa place, celle qu'il lui convient de choisir) par l'utilisation qu'il fera du langage dans son quotidien. Réduite à se; mécanismes, la rhétorique n'apparaîtrait plus que sous la forme d'un ensemble de règles complexes, rigides, alors que c'est au contraire l'adaptabilité linguistique des apprenants qui est en jeu.

Il semble donc difficile d' « originer » les "Techniques d'expression" telles qu'elles sont aujourd'hui pratiquées dans la rhétorique, étroitement liée à la logique, pratique universaliste du convaincre, qui ne tient pas spécialement compte des conditions d'interlocution (ou plutôt qui situe le discours invariablement dans un seul type bien défini de situation). La problématique évolue au XVIIe siècle, avec l'essor de la volonté d'esprit critique, l'intérêt manifesté pour la différence

"Les Anciens voyaient en effet un citoyen universel, dans une situation démocratique qui le contraignait à sans cesse (con)vaincre ses concitoyens. Qu'on puisse prendre la parole pour exprimer sa vérité individuelle, son jugement individuel sur tel ou tel aspect des choses n'était pas à proprement parler nié, mais le problème &était pas posé en ces termes auxquels nous ont

habitués le XVIIIe et le XIXe siècle. Pour ces siècles dont nous sommes héritiers, le développement de 1‘"esprit critique" individuel (expression approximative mais moins ambitieuse et ambiguë celle de "personnalité')) est l'essentiel et c'est à cette tâche qu'il faut s'attacher dès le premier âge. D'où, dès le XVIIIe siècle, le divorce entre pédagogie et rhétorique. (Cf.ROUSSEAU). La rhétorique s'est formée dans une monde où l'art de persuader dans une assemblée politique ou judiciaire étant déterminante, on a tout naturellement réglementé les modalités de ce type de discours (vrai ou faux), à l'exclusion de tout autre."1

Pour résumer donc longue histoire, nous faisons ici le point de cette rapide réflexion, nous pouvons dire qu'au fil des siècles, des trois composantes éducationnelles : grammaire, rhétorique, dialectique, la rhétorique et la dialectique, dans leur forme d'alors, ont été abandonnées en tant qu'enseignements spécifiques, en raison de conditions socioéconomiques et politiques différentes. L'outil que représente la grammaire, au XIX siècle, celui, plus diffus, d'un enseignement par immersion de techniques discursives, servent à opérer des discriminations sociales parfois explicitées dans les textes. Or, la situation issue de 1968, en particulier l'instauration de contrôles continus dans les disciplines, a rendu aigu la carence d'expression du public étudiant, comme

le souligne A. ABBOU2.

Car pour un public de plus en plus nombreux accédant à l'enseignement secondaire ou supérieur, mais d'origine plus diversifiée que celui des années précédentes, l'immersion risquait fort de se transformer en noyade...

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D. DELAS, "Style, énonciation et expression", in Langue FrançaisenO 26, mai 1975 "Techniques d'expression", Larousse, Paris, p. 56.

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C’est faire fausse route. D'abord parce que tout discours relève d'une économie propre, et que le fait de la non connaissance du système qui règle cette économie ne doit pas justifier le règne de l'empirisme. D'autre part, parce qu'un certain nombre de discours possèdent une structure très codée, fortement conventionalisée, qu'il s'agit de respecter sous peine de sanctions (diverses). On peut le regretter, s'insurger, mais les relations épistolaires de communication, les discours universitaires (dissertation, commentaire) imposent une structure de texte. S'il n'est ainsi guère possible de limiter ces TE à la reproduction de modèles, il n'est pas non plus réaliste de les ignorer.

La rhétorique traditionnelle ne semble pas pouvoir prendre en charge ce genre de formation, essentiellement en raison du fait qu'elle propose une démarche excluant le jeu des divers paramètres de la situation d'interlocution. Les TE telles que les appellent de leurs vœux les enseignants et les praticiens posent qu'il n'est pas un seul bon moyen de convaincre, co-extensif aux seuls choix et agencement (inventio et dispositio) des éléments argumentatifs, mais qu'un discours du convaincre est chaque fois une tentative qui prend en compte ces multiples paramètres. Il est tentant d'opposer des techniques contraignantes, qui seraient celles de la rhétorique, et la "créativité, mais

Que demandent en fait les publics (s‘ils demandaient quelque chose) en soif de TE ? Nous répondons par : une connaissance discursive suffisante pour exister linguistiquement dans la société (exister se conformer, s'opposer, se fondre ou s'affirmer...) ce qui implique la connaissance du maniement du linguistique et des autres composantes des situations d'interlocution. Les TE, fussent-elles linguistiques, ne sauraient faire l'économie d'une réflexion sur les différents paramètres agissant lors de l'échange langagier.

Ce n'est pas la rhétorique qui répond à ces préoccupations. Ni, certes, les linguistiques, phrastiques, formelles, mécanistes, isolationistes et circonscrites

au dit1. La pragmatique, telle qu'elle se définit aujourd'hui, semble proposer un

cadre accueillant à cette réflexion, dans la mesure où elle intègre celles qui concernent tant le fonctionnement des textes que les actes de discours, le non-dit, etc.

S'il était d'un quelconque intérêt de spécifier la filiation de cette pratique de TE, nous ne renverrions pas, pour notre part, à la rhétorique, mais bien aux Colloques, aux Manières de langage. De quoi s'agit-il, en fait, dans les TE ? De donner à un sujet les moyens de prendre position par rapport à autrui par son

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Isolationnistes du fait de leur polarisation - ce qui est normal ! - sur le linguistique. On trouvera une appréciation plus détaillée de cette question, et du rôle de la pragmatique, du fonctionnement des différents paramètres dans les situations d'interlocution, dans A. COIANIZ, La construction de la signification dans l'échange langagier, CFP, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1981.

discours, soit en se conformant à l'attente du R (récepteur), soit en le surprenant, en adoptant un 'style" volontairement provocateur, etc., c'est-à-dire à effectuer des actes discursifs, en conformité ou en non-conformité avec le préconstruit culturel du R.

Rappelons sommairement les conditions pédagogiques.

Le français s'apprend surtout par l‘usage. Ceux qui ne le savent pas ou le savent insuffisamment, prendront tous les jours une récréation, au besoin deux, à s'entretenir avec des condisciples qui le savent bien. De plus, le dimanche et les jours de fêtes, on leur explique la grammaire française, et on les exerce dans cette langue et cela jusqu'à ce qu'ils aient fait des progrès suffisants et puissent en poursuivre l'étude seuls.

Les dialogues construits par le maître sur des thèmes visent un but pratique.

On y trouve ce que nous nommerons des "comportements langagiers", proposant à l'élève une attitude linguistique à adopter en telle ou telle situation (donc en fonction de certains paramètres des situations d'interlocution, même si ceux-ci varient peu)

"Donnez-moi, s'il vous plait du pain, du pain blanc. Donnez-moi de la viande. Avez-vous de la viande ? Apportez-moi de la viande... Donnez-moi du mouton„ de cette éclanche de mouton... Coupez-moi un morceau de veau.

Illustration de structures propres à réaliser un comportement, ici DEMANDER, associée à un thème lexical, mais aussi diversification des structures pour un même comportement

L'enseignement du français langue étrangère, sur des bases d'une rigueur douteuse et d'une cohérence contestable, proposera des dialogues de méthodes audio-visuelles ou audio-orales mettant en scène des personnages (eux même), plus véhicules de structures syntaxiques que de comportements langagiers, mais qui, à défaut d'autre chose, proposent aux étudiants des modèles comportementaux d'expression. Les plus récentes méthodes de dialogues dans

une perspective pragmatique d'actes, diversifiant les parlers, permettant à l'apprenant à moduler son expression non pas tant, selon la sacro-sainte formule "en fonction des situations", mais bien en fonction de l'image qu'il veut donner de lui-même dans telle ou telle situation, compte tenu des conventions, et des multiples autres paramètres de l'échange(exposés des étudiants et mises en scène, lors des séances consacrées à cette activité, (Annexe n°05).

Ce courant, qui prend appui sur une conception pratique de l'échange, bien souvent soumis à un empirisme total, à la différence de la réflexion linguistique, intègre des réflexions en prise directe sur la quotidienneté du discours et susceptibles d'apporter le substrat théorique qui jusqu'ici faisait défaut. En particulier la saisie globalisante de la démarche devrait faire avancer la compréhension des caractéristiques des TE, qui ne sont pas seulement affaire de langue, mais se trouvent étroitement en relation avec les autres composantes de la situation d'interlocution.

Ainsi, si les TE, telles qu'elles devraient aujourd'hui être définies pour répondre aux besoins, ne sauraient s'articuler sur la rhétorique, mais plutôt s'inscrire dans l'étude pragmatique de l'interlocution, pour tenter de mettre au service de l'accès à la maîtrise des paramètres de l'interlocution les apports des sciences du langage en ce domaine.

Conventionnels Conversationnel

- homogénéité paramétrique dépendant de stratégies développement prévu

- projet expressif suivi (E ne peut changer de thème à tout propos, sans raison

apparente)

- homogénéité paramétrique conventionnellement requise

- rapport entre entités socio-culturelles

- discours d'expression ordre non prévu - projet expressif fluctuant (E, en fonction de termes qui jouent le rôle de réorienteurs sémantiques, modifie son PE)

- homogénéité paramétrique dépendant de stratégies

- rapport entre des émergences personnelles