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(...) "Dans la théorie linguistique dont nous parlons, on trouve deux sortes de jugements : un jugement de grammaticalité, en rapport avec la compétence, et un d'acceptabilité en rapport avec la performance. Chaque paire est le pendant de l'autre et l'analyse critique de l'une nécessite celle de l'autre. En particulier, l'analyse faite ci-dessus entre les différentes sortes de "performance" oblige maintenant à faire des distinctions explicites à l'intérieur même de la notion d' « acceptabilité » ; en même temps c'est l'ensemble des termes qui doit être réexaminé et refondu à la lumière de la notion de communication vue comme un tout.

Dans une théorie adéquate de l'acte linguistique, il y aurait semble-t-il, non pas deux sortes de jugements, mais quatre. Et pour intégrer cette théorie dans une théorie de la communication socioculturelle, il faut donner à cette quadruple distinction une portée suffisamment générale. On suggérera donc quatre questions, utilisables dans l'étude de la langue et aussi des autres formes de communication (culture) ; on pourrait se demander

1. Si (et jusqu'à quel point) quelque chose est formellement possible ; 2. Si (et jusqu'à quel point) quelque chose est réalisable en fonction des moyens d'exécution qui sont à notre disposition ;

3. Si (et jusqu'à quel point) quelque chose est approprié (adéquat, heureux, réussi), par rapport au contexte d'utilisation ;

4. Si (et jusqu'à quel point) quelque chose est effectivement fait, se produit réellement, et ce qu'entraîne cette réalisation.

Un exemple linguistique : une phrase peut être grammaticale, maladroite, pleine de tact, et rare. (On peut représenter ces quatre jugements comme des niveaux successifs ; il semble préférable d'y voir des cercles qui se recoupent en partie.)

Le locuteur possède, de ces quatre paramètres, une connaissance qui lui sert dans la communication. Toutefois, cette connaissance n'est pas du domaine de la "compétence" :

"On ne peut supposer que les possibilités formelles d'un système et la connaissance individuelle soient identiques ; un système peut comporter des possibilités qui ne font pas partie de la connaissance actuelle d'un usager (cf. Wallace 1961 b). On ne peut pas non plus affirmer que la connaissance acquise par différents individus est identique, en dépit de l'identité des manifestations du système apparent.".

Hymes propose alors de reconsidérer la définition des différentes notions. "Je prendrais compétence comme terme le plus général pour désigner les capacités de quelqu'un. (Ce choix est légitimé par l'intérêt que porte la linguistique à l'aptitude sous-jacente.) La compétence s'appuie à la fois sur la connaissance (implicite) et sur le savoir-faire langagier ("ability for use"). La connaissance est ainsi distincte à la fois de la compétence (dont elle fait partie) et des possibilités du système (avec lequel elle a une relation empirique). On peut remarquer que Cazden (1967), voulant se servir pour une définition de la compétence de ce qui est en réalité possibilité du système, se trouve forcée de la distinguer de ce que les gens peuvent faire. La "compétence" sous-jacente au comportement d'une personne est alors identifiée à une sorte de "performance", la performance A, le comportement réel étant la performance B.

La connaissance, à son tour, sous-tend et englobe les quatre paramètres de la communication déjà indiqués, eux-mêmes en rapport avec le savoir-faire langagier. Il peut arriver sans aucun doute que des individus diffèrent dans leur capacité de mettre en œuvre leur connaissance de chaque paramètre : pour comprendre, différencier, etc. En faisant précisément du savoir-faire langagier une partie de la compétence, on fait la part des facteurs non-cognitifs comme la motivation qui déterminent partiellement cette compétence. A ce sujet, il est particulièrement important de ne pas séparer les facteurs cognitifs des facteurs affectifs et volitifs ; c'est vrai en ce qui concerne l'impact de la théorie sur la pratique éducative, mais aussi pour l'organisation de la recherche (comme le montre le travail de Labov). Dans une vision globale de la compétence, il faut prendre en compte des considérations du type de celles dégagées par Goffman (1967, pp. 218-226) : des capacités dans l'interaction comme le courage, la crânerie, la bravoure, le sang-froid, la présence d'esprit, la dignité, la confiance en soi, qualités qu'il discute en détail et qu'il présente comme des sortes de compétence.

En ce qui concerne maintenant les jugements et les intuitions des gens, le terme le plus général et qui convient le mieux pour désigner le critère de ces jugements est acceptable. Quirk (1966) use ainsi, et Chomsky lui-même remarque à un moment que "la grammaticalité est seulement l'un des nombreux facteurs qui, par leur lute déterminent l'acceptabilité". (1965, p. 11). (Le terme est ainsi 1 de son couplage strict avec "performance").

En ce qui concerne l'emploi effectif et les événements, le terme de performance se trouve maintenant libre pour les désigner, mais au prix de

sérieuses précautions. Les "modèles de performance étudiés en

psycholinguistique sont à classer comme modèles de certains aspects du savoir-faire langagier, liés aux moyens cérébraux de mise en œuvre, bien qu'on puisse les considérer maintenant comme des facteurs distincts et accessoires de la compétence générale. Il semble bien en fait qu'il y ait eu un glissement

inconscient dans le sens du mot "performance", entre le sens dans lequel on parle de la performance d'un moteur et celui de la performance d'une personne ou d'un acteur (cf. Goffban 1959, pp. 17-76 "Performances") ou d'une tradition culturelle (Singer 1955 ; Wolf 1964, pp. 75-76). Ici, la performance d'une personne, ce n'est pas le simple compte-rendu de son comportement ni la réalisation imparfaite ou partielle de la compétence (connaissance, savoir-faire langagier), la compétence d'autrui et les propriétés, obscures et inattendues, des événements mêmes de communication Une performance, comme un événement, peut avoir des propriétés (une structure et une dynamique) qu'on ne peut ramener à de la compétence individuelle ou standardisée. Il arrive quelquefois que ces propriétés soient l'essentiel (un concert, une pièce de théâtre, une soirée).

Le concept de "performance" va prendre d'autant plus d'importance que l'on considèrera l'étude de la compétence de communication comme un aspect de ce qu'on peut appeler l'ethnographie des formes symboliques : étude de la variété des genres, narration, danse, théâtre, chant, musique instrumentale, art visuel, qui sont en relation réciproque avec le langage dans la vie communicative d'une société et par rapport auxquels on peut évaluer l'importance relative de la langue et du langage. (...)

Autre facteur contribuant à la mise en valeur du concept de "performance" : les travaux sociologiques comme ceux de Goffman, puisque sa référence à une compétence générale interactionnel peut aider à préciser le rôle particulier de la compétence linguistique.

Dans les deux cas, l'interrelation de la connaissance de distincts (verbal et non-verbal) est capitale. Parfois, ces interrelations peuvent dénoter un niveau supplémentaire de compétence.

La performance constitue une sélection organisée simultanément à partir de deux types de signaux acoustiques - en bref, de codes - langue et musique... Les deux systèmes sont intégrés par des règles spéciales...‖ Dans d‘autres cas, il

n‘y a peut-être pas de niveau supplémentaire : un observateur de la vie urbaine arabe perçoit une harmonie entre les cris des marchands et l‘appel à la prière d‘un mouadhine, mais leur but est différent.

La recherche portant sur les formes symboliques et la compétence interactionnelle est déjà grandement influencée par les études linguistiques sur la compétence (pour une discussion sur ce point, cfHymes 1968 b). La conception nouvelle de la compétence de communication présentée ici peut permettre la réciprocité de l‘influence.

Après avoir ainsi opéré une refonte des concepts tels que compétence, performance, etc., Hymes examine s‘il est possible d‘étendre ces notions à d‘autres systèmes de communication que la langue, la communication linguistique ne constituant qu‘une partie de la communication en général. Cet examen s‘articule sur les quatre questions déjà posées, concernant les jugements qu‘un locuteur porte sur les énoncés. Ces quatre paramètres semblent en effet pouvoir s‘appliquer aussi au domaine culturel :

“En résumé, on peut dire que le but d’une théorie large de la compétence est de montrer comment le possible en matière de système le faisable et 1 ‘adéquat se lient pour produire et interpréter la réalité du comportement culturel. (...)“