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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

2.3. L‘organisation discursive

Deux aspects de la question sont à considérer.

D'abord les lois du discours, qui imposent à E, hors les cas de discours-contact ("parler sur le pas de la porte", "parler de la pluie et du beau temps"), d'apporter une information, en relation avec le discours conversationnel dans lequel E prend place (hormis le cas où E amorce lui-même la conversation), ce respect de l'homogénéité sémantique pouvant exister soit au plan du dit, soit à celui du non-dit. Si cette règle est transgressée, il faut alors que le discours perturbant, hétérogène soit justifié (par son importance, sa nouveauté etc.) et ne peut l'être qu'en fonction du pré-construit des autres participants à la situation d'interlocution, et de leur attente (1).

Ensuite le type de discours dans lequel on s'engage. En discours conversationnel, où la suite de CL n'est pas planifiée, les interventions d'autrui toujours possibles, les changements de projet expressif fréquents (par exemple à partir d'un commentaire ou d'un pivot sémantique qui joue le rôle de réorienteur du PE (un mot, par association, entraîne un développement différent dans ce type de discours donc, il n'est évidemment pas possible de prévoir des plans-types. Une didactique de l'expression se devrait ici de sensibiliser le public, (en

plus de la connaissance des CL et des lois du discours qu'ils doivent posséder), que nous voyons sommairement plus loin.

En discours conventionnel, plus particulièrement dans le cas d'un discours oral, l'attention devrait être portée

- aux plans-types « pratiques discursives »

- aux paramètres mentionnés ; l'on pourrait conseiller au sujet qui doit prendre la parole de préparer par exemple son discours à partir d'une fiche de réflexion telle que celle-ci, qui ne représente pas un guide, une recette, mais une sensibilisation.

a) Production du discours

- Fiche préparatoire  Objet de l'intervention :

 But :

 Type de discours : - conventionnel

- conversationnel

 Nature des comportements langagiers engagés (si la prévision est

possible)  Paramètres de l'interlocution  Le R. - un ou multiple - destinataire ou destinateur - attitude prévisible - statut - connaissance

- conventions selon R lui-même (avis de R) -préconçu

- image de moi-même - image de R

- valeur du thème Selon moi (avis de moi-même) - mon statut - attente de R  La situation - polarisante/non polarisante - connotative - structurante/structurée/structurale

- rapport des participants : échange/non échange éloignement/proximité Situation commune ou non

 Le moment (valeur) - Conclusion  Langage - conventionnel/conversationnel (rappel) - structuration du discours - personnalisation (niveau de L)

- référenciation (culturelle...) • nécessaire - exemples

- anecdotes • souhaitable - Questions possibles : à anticiper. A provoquer

. • secondaire

- rappels : De ce qui a été dit (Faire le point)

De ce qui devrait être su(Rapport à la connaissance) - rapport : thème/longueur du développement.

- intensité

- ton (par rapport au thème, selon les conventions et l'attente. - distance apportées par moi-même au thème traité.

- modalisation

La première partie de la fiche (objet, but, type de discours, nature des CL, paramètres de l'interlocution) pointent les questions que le sujet doit se poser préalablement à la production de son discours, questions qui l'amèneront à certaines conclusions (deuxième partie de la fiche) relatives à l'exécution de ce discours. Il est bien certain que la pratique fréquente du discours, oral ou écrit, dispense d'une préparation aussi détaillée, qui finit par être intégrée. Ce n'est que dans un stade d'apprentissage, ou plus exactement de sensibilisation qu'une telle conduite est utile.

 Quelques remarques :

Par "Objet de l'intervention", nous entendons le thème abordé, et les causes qui ont suscité cette intervention (l'initiative en revient-elle au sujet, l'exposé a-t-il été demandé, par qui, et s'inscrit-il dans un rapport de pouvoir - comme c'est le cas pour une dissertation qui sera notée par exemple?)

Par "But", on entend le CL englobant, la direction générale du discours (s'agit-il d'expliquer, de prouver, de montrer que l'on a compris - cas des discours pédagogiques... ?)

Les "paramètres de l'interlocution" sont à envisager de deux points de vue, celui de E, celui de R. Par exemple, la connaissance la question que devra se poser E sera la suivante : "-Qu'est-ce que R connaît, selon moi, du thème que je vais aborder ?" et : "Qu'est-ce que R croit connaître (Qu'est-ce que R connaît selon lui, Quelles sont les connaissances dont R pense disposer) à propos de ce thème ?" Autre exemple : "- Quelle est la valeur que j'attache à ce thème ?" et : "- Quelle est la valeur que R attache à ce thème" (selon moi, bien entendu, puisque c'est E qui juge).

On dira que la situation est polarisante si elle exige un certain type de discours (si l'on demande à un étudiant en langue française un exposé sur l‘impact des médias sur les jeunes, la situation, polarisante, exigera de lui un traitement psychologique de ce sujet, et non pas littéraire...). Par contre, la situation d‘une séance-débat à propos d'un film n'est pas nécessairement polarisante (elle peut porter sur n'importe quel aspect du film, et il est alors difficile de prévoir le thème). La situation peut en outre connoter le discours : tenir un discours dans un grand amphithéâtre d'Université, ce n'est pas tenir une conversation sur le pas de la porte. Une connotation de prestige, de sérieux, ou au contraire de familiarité, de détente, peut être apportée par la situation, ce dont devra tenir compte une des variables de la construction du discours (par ex. le niveau de langue). Si la situation est structurante, elle définit les places des participants (exposé dans un amphithéâtre). Si elle est structurable, c'est le locuteur qui dispose du pouvoir de l'organiser (un professeur peut disposer sa classe comme il le désire, et créer ainsi des types de rapports différents). Si la situation est structurée, il convient de se demander s'il est possible de modifier cette structuration dans le cas où elle ne convient pas à E (déplacer les tables par ex., la situation devient alors structurable), ou si toute modification est impossible (la situation est alors structurante). Le rapport des participants (proximité, éloignement, possibilité ou non d'intervention...) définit un type de situation d'interlocution, qui aura des effets sur l'organisation du discours (si les R peuvent intervenir, il faut s'attendre à des questions, des contestations, des demandes de précisions etc.)

Quant au moment, il peut être affecté d'une valeur, d'une pertinence par E, par R, par E et R. Tout enseignant sait qu'un exposé ardu tenu à huit heures du matin ou à 13 h 30 n'a pas le même impact qu'à d'autres moments...

Les "conclusions" rapportent les réflexions que E a pu faire à propos des "paramètres" à la construction du discours. Par exemple, si j'ai conclu au fait que, selon moi, R pense détenir une connaissance importante d'un des thèmes

que je traite dans mon exposé, ma conclusion va affecter le cas "rapport thème/longueur du développement", en ce sens que je ne devrai pas développer trop longuement, au risque d'ennuyer ou tout simplement d'indisposer le public, le thème en question (R serait pris, si je développe un thème qu'il connaît/croit connaître bien, pour un ignorant, ou se verrait placé dans cette position. De là la difficulté à réexpliquer un sujet que R croyait connaître).

Autre exemple : si mon public n'est pas habitué à lire un discours argumentatif (dans " paramètres", voir : "statut"), je pourrai conclure à la nécessité de structurer fortement mon discours, de faire des rappels fréquents, de manière à ce que R ne "perde pas le fil".

La pratique fréquente de préparations de ce type devrait permettre aux apprenants de se sensibiliser au fait que, d'une part, la signification de leur discours passe par de multiples canaux, que des paramètres nombreux sont en jeu et interviennent dans la perception du discours par R (il n'y a pas une bonne façon de s'exprimer), et d'autre part que la qualité du contenu ou de l'expression ne sont pas gages de réussite. L'attente de R, son préconstruit (les conventions auxquelles il adhère, sa connaissance, ses préconçus sur telle ou telle question) et les autres paramètres interviennent dans la réception du discours et participent à la construction de sa signification.

Une telle approche possède à nos yeux le mérite d'inclure à la fois les stratégies discursives, d'insister sur l'aléatoires de la prise de la parole et de l'adresse à autrui, tout en permettant au sujet parlant d'accéder aux formes conventionnelles du discours.

Deux remarques à propos de ces formes.

D'abord, il est nécessaire de souligner que les différentes opérations inscrites dans un plan-type (Introduire le sujet, annoncer le plan, effectuer des transitions etc.) ne posent pas un carcan injustifié, mais définissent un comportement discursif approprié à certaines situations conventionnelles. On verra dans l'étude qui suit que chacune de ces opérations, requises dans les

discours conventionnels, facultatives dans les discours conversationnels, recouvre en fait une option stratégique : annoncer le plan, c'est considérer le public sous un certain aspect, différent de celui qui est investi dans l'exposé informel.

Ensuite, une constante de la construction de la signification est bien l'existence de schèmes comportementaux qui permettent au R de construire cette signification avec un coût minimum. Autant si A dit à B : "- Tu as un costume superbe !", B peut construire une signification de l'énoncé dépendant de ce qu'il connaît de A (par exemple il a besoin d'argent. Il ne fait ordinairement jamais de compliments, etc.), de la situation, du moment, etc., c'est-à-dire de nombreuses variables qui l'amènent à une conclusion après un effort interprétatif important. Autant les modes conventionnels d'expression proposent des cadres situant le thème du discours dans un type relationnel discursif précis. On retrouve ces schèmes comportementaux dans la vie courante. A titre d'exemple, le "- Bon !" prononcé à dix heures précises par le chef de bureau correspond, par convention, par habitude et en raison de la fréquence de l'occurrence de cet énoncé avec cette signification, à : - Nous pouvons faire une pause et boire un café. Il est bien certain que si ce même énoncé est produit à 14 h 30, il n'aura plus la même signification, devra être traité par le R, et ne s'inclura plus dans un schème comportemental qui réduit l'effort interprétatif. Les plans-types jouent en quelque sorte le rôle de schèmes discursifs. Ils méritent ainsi, - tant qu'on ne les aura pas remplacés par d'autres comportements conventionnels - d'être maîtrisés.

b) Les caractéristiques du Français oral courant

Nous ne dirons qu'un mot de cette approche. Le maniement de l'écrit conventionnel suppose un type de langue d'où sont exclues certaines constructions syntaxiques caractéristiques d'un oral courant. Celles-ci affectent en fait et le syntaxique et le discursif, dans la mesure où le sujet doit posséder une conscience claire de ce qui fait que l'ordre de l'oral est distinct de l'ordre de l'écrit (à l'écrit, il est impossible d'avoir recours à l'interlocuteur afin de

demander une précision, à la situation pour éclairer la signification d'un passage De plus l'écrit pose un contenu dans une permanence, puisqu'il est toujours possible d'arrêter sa lecture, de revenir sur ce qu'on a lu, ou de développer une réflexion personnelle critique, ce qui est plus difficile à l'oral, où l'adhésion de R au discours de E est nécessaire).

 Remarque

Il nous a paru cependant important de souligner la nécessité pour cette discipline réclamée et nécessaire que sont les "Techniques d'expression", les mal nommées, de développer un cadre de réflexion préalable qui l'engage dans une étude en relation avec le développement de la pragmatique (et non pas avec des habitudes rhétoriciennes ne présentant que peu de parenté avec elles). Des travaux tels que ceux de F. VANOYE témoignaient il y a quelques années déjà de la volonté de prendre en compte la dimension discursive dans la didactique du français autrement que sur le support de textes littéraires. Fondée sur le schéma dit de JAKOBSON, cette proposition ne mettait pas suffisamment en lumière, à notre avis, les rapports dynamiques des interlocuteurs, et le fait que toute prise de parole relève en dernière analyse d'une stratégie du convaincre, et d'un travail de l'interprétation. La voie à emprunter paraît être celle qui prend en considération les paramètres multiples des situations d'interlocution et leur rôle dans la signification en construction, voie qui devrait permettre de mettre à la disposition des sujets apprenants les moyens de se situer et de prendre place dans ,ces relations diverses, dans ce réseau complexe que sont les prises de parole, et de ne plus laisser à l'intuition et à la compétence individuelle la responsabilité de la réussite ou de l'échec en cette matière.