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Hymes va tout d'abord examiner la notion chomskyenne de "communauté linguistique homogène" à laquelle appartient le locuteur auditeur idéal. Il présente quelques arguments à l'encontre de cette thèse, en s'appuyant sur des observations de sociologues ou d'ethnologues.

- Bloomfield (1927, p. 395) décrit un jeune Indien Menomini nommé White Thunder qui, comme d'autres membres de sa tribu, parle très mal sa langue maternelle, et il attribue ce fait à l'impact de la langue colonisatrice, anglais. Cette interprétation met en évidence le rapport de la compétence avec le domaine socioculturel.

Par ailleurs existent chez les Menomini des gens comme Red Cloud Woman qui parle une langue maternelle très pure ainsi que deux autres langues.

- Dans d'autres tribus, "le niveau normal de la compétence linguistique est la maîtrise d'au moins quatre langues." Mais les locuteurs de ces communautés ne font pas un usage identique des diverses langues qu'ils possèdent : ici, l'Arabe sera réservé à la religion, alors que le Kurde servira dans toutes les autres circonstances là, c'est l'Arabe qui sera utilisé partout, sauf dans la conversation

familiale où le berbère prendra le relais. Il s'agit là d'une compétence différentielle qui n'a rien à voir avec une hiérarchie des locuteurs mais qui reflète "l'expérience et l'intuition de ce qu'on peut effectivement faire avec une langue donnée."

- L'existence dans une communauté d'une langue dominante ne doit pas laisser croire à une homogénéité linguistique, le statut de chaque langue n'étant pas toujours clairement identifié "en termes de compétence". La variété des types d'emprunts par exemple est telle que le linguiste, analysant chaque langue séparément, risque d'avoir une idée fausse de la compétence réelle des locuteurs1.

Une nouvelle analyse, plus fine, de la notion de compétence est donc nécessaire. La notion actuelle ne permet pas de faire la différence entre la compétence de Red Cloud Woman et celle de White Thunder. "Tout au plus peut-on dire que ceux qui parlent bien le Menomdni ont une connaissance (syntaxique et lexicale) que les locuteurs du type de White Thunder n'ont pas".

De plus, la théorie en vigueur ne distingue pas entre "compétence de réception" et "compétence de production". Or : "Labov a étudié de nombreux cas de compétence duelle à la réception et simple à la production, à propos de la capacité d'enfants noirs de la lower-class à comprendre des phrases prononcées avec une phonologie standard aussi bien que sub-standard, alors qu'ils utilisent seulement la phonologie sub-standard en parlant. Un cas inverse intéressant est celui dans lequel on trouve une compétence duelle pour la production, pour ainsi dire une sorte de "compétence pour l'incompétence". Ainsi, chez les Burundi de l'Afrique orientale, (Albert 1964), un paysan qui possédera les capacités verbales appréciées dans son milieu, ne pourra pas les manifester en présence d'un berger ou d'un autre supérieur. En de telles circonstances, la conduite qui convient est que "les mots sortent péniblement, ou se précipitent sans contrôle,., les voix

1)"Dans un cas extrême, ce qu'on compte comme "anglais" dans le répertoire linguistique peut consister en quelques formes marquées phologiquement". "L'analyse linguistique sur la base du principe "L'anglais reste de l'anglais" ne reflétera pas la compétence des locuteurs" : le mot smoking en français a des marques anglaises, mais n'est plus de l'anglais.

(soient) criardes, les gestes brusques, les figures de discours gauches, les émotions étalées sans retenue, les mots et les phrases maladroits." Bien que ce comportement affecte tous les niveaux de la communication, il se manifeste surtout sur le plan syntaxique.

Des travaux comme celui de Labov à New-York et des exemples comme le Burundi dans lequel on voit les marques de la compétence linguistique varier avec l'interlocuteur, montrent la nécessité d'une approche sociale, même si l'objet de la description est un code simple, homogène.

Il faut donc que le linguiste prenne en compte les "paramètres sociaux et contextuels", qu'il explicite tous les éléments que tiennent à l'usage et aux différents contextes. Une fois qu'on les examinés, on pourra les laisser de côté et on n'aura plus à tenir ……. de la diversité ; dans ce cas, "le véritable but (qui est de ne plus avoir à tenir compte de la diversité) est atteint - dans la mesure où il peut l'être.

(...) En résumé, si on analyse la langue d'une communauté comme si elle était homogène, sa diversité fait achopper le chercheur. Si au contraire on s'attaque à l'analyse de la diversité, on peut isoler l'homogénéité qui y figure vraiment."

Il reste donc à élaborer une théorie linguistique plus complète :

"A l'évidence un travail sur les enfants et sur la place de la langue dans l'éducation exige une théorie qui puisse traiter de l'hétérogénéité linguistique d'une communauté, de la compétence différentielle, du rôle constitutif des traits socioculturels, les différences socioéconomiques, le plurilinguisme, la relativité de la compétence en "arabe", "anglais", etc., les valeurs expressives, la détermination sociale de la perception, les styles contextuels et les normes utilisées par les jugements d'acceptabilité.

(...) La linguistique a bien besoin d'une théorie de ce genre. Des concepts postulés sans examen comme étant à la base de la linguistique (par exemple locuteur-auditeur, communauté linguistique, acte parole, acceptabilité, etc.) se

trouvent être en fait, nous le voyons des variables socioculturelles, et c'est seulement quand on passe de leur postulat à leur analyse qu'on assure les fondements de la théorie linguistique."

C'est la notion de compétence qu'il faut revoir et étendre dans cette nouvelle perspective.