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Une notion controversée sensible aux considérations humanistes

Section I : La complexe intégration d’un nouveau modèle de justice en présupposée rupture avec

A- Une notion controversée sensible aux considérations humanistes

D’importants débats doctrinaux gravitent autour de ce concept novateur (1) qui envisage la justice d’une toute autre manière en se détachant des représentations et des finalités classiquement admises (2).

1) Des débats doctrinaux sur le concept même de justice restaurative

Deux principales thèses s’affrontent dans la délimitation des contours de cette justice, d’une part la vision autonome des courants abolitionniste et minimaliste (a) et d’autre part la prévalence d’une combinaison des modèles avec les théories maximalistes (b).

a) La conception autonome des courants abolitionniste et minimaliste

L’abolitionnisme pénal repose sur une logique substitutive en considérant que la dimension humaine et constructrice de la justice restaurative doit remplacer le système conventionnel classiquement orienté vers une réaction rétributive450. Le processus restauratif ne vient donc aucunement s’ajouter à la peine mais constitue bien un paradigme différent, ayant une existence propre en parallèle de l’arsenal répressif en vigueur. D’autres, encore plus radicaux, considèrent que l’ensemble du système pénal mérite d’être aboli, la peine et les lois prohibitionnistes constituant les plus grandes failles de l’institution pénale actuelle451. Nonobstant, cette pensée assez marginale est critiquable en ce qu’elle exclut la dimension

450 Moonkwi Kim, Essai sur la justice restaurative illustré par les exemples de la France et de la Corée du Sud,

thèse de doctorat en Droit, Université de Montpellier, 2015, à la p 86 au para 54.

451 V. à cet égard : Louk Hulsmann et Jacqueline Bernat de Celis, Peines perdues : le système pénal en question,

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publique de l’infraction en la réduisant à un simple conflit entre les citoyens452. L’État, aux aguets d’un retour à une logique vindicatoire, ne souhaite nullement déléguer la prérogative de justice pénale moderne sur laquelle il a largement appuyé sa souveraineté453.

Si le courant minimaliste considère également que les divergences entre justice restaurative et justice pénale les rendent incompatibles, il n’adhère en revanche aucunement à la logique substitutive. Il juge bienfaisante la coexistence de ces deux modèles dès lors qu’aucun n’interfère dans le développement de l’autre. C’est pourquoi les réponses restauratives doivent nécessairement se développer en dehors du système pénal existant pour éviter toute corruption454. Ce mode de fonctionnement totalement autonome représente donc une véritable alternative aux mesures pénales classiques455. Cette thèse dualiste sous-entend une distribution des rôles entre l’État, qui encadre pénalement les infractions par le biais de l’action publique, et la société civile, qui contribue à la mise en œuvre des principes restauratifs456. Or cette séparation pure et dure conduit à faire de la justice restaurative un simple « ornement 457» du système de justice pénale et risque d’exclure de son champ les affaires les plus graves, qui se soldent encore largement par la fonction rétributive classique.

Ces conceptions autonomistes entrent directement en collision avec les théories maximalistes, qui prônent une combinaison des deux modèles de justice.

b) La conception intégrative des courants maximalistes

Cette thèse, contrairement aux deux précédentes, s’appuie sur une combinaison complémentaire des différents modes de justice en considérant que « les valeurs et les

principes restauratifs doivent être réalisés au sein même du système de justice pénale en place en vue de réformer ce dernier458 ». Deux approches peuvent être envisagées, l’une

452 V. à cet égard : Lode Walgrave, « Integrating criminal justice and restorative justice » dans Handbook of

Restorative Justice (dir : Gerry Johnstone et Daniel Van Ness), Willan publishing, 2007, 559-579.

453 Béal, supra, note 424.

454 Kim , supra, note 450 à la p 88 au para. 55.

455 Nathalie Pignoux, La réparation des victimes d’infractions pénales, Coll. Sciences criminelles, Paris,

L’Harmattan, 2008, à la p 377.

456 Béal, supra, note 424.

457 Lode Walgrave, « Restorative Justice: An Alternative for Responding to Crime? » dans International

Handbook of Penology and Criminal Justice (dir : Shoham, Shlomo Giora, Ori Beck and Martin Kett), Floride,

CRC Press, 2008, à la p 677.

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plutôt dite « rétributive », qui considère que la restauration n’est qu’une modalité constructive de la rétribution, l’autre plutôt dite « conséquentialiste », qui estime qu’il revient à la justice pénale de se réformer pour être davantage participative et reconstructive459. La majorité de ces auteurs envisage une intégration partielle de la justice restaurative dans le système pénal actuel, en laissant au législateur le soin d’en définir les modalités sous réserve de préserver la participation volontaire des parties460. Une fraction plus engagée de ce courant souhaite quant à elle une fusion totale des deux modèles de justice pour que le système pénal tende vers un fonctionnement plus restauratif461. Ce changement, synonyme d’instauration d’un contrôle social, semble toutefois contraire à l’essence même du processus462.

Si la doctrine apparait bien divisée atour de la silhouette de la justice restaurative, elle est unanime concernant ses finalités qui, selon toute vraisemblance, rompent avec celles de la justice conventionnelle.

2) Une conception en rupture apparente avec les finalités de la justice conventionnelle

La philosophie qui sous-tend ce modèle de justice l’invite à rééquilibrer les rôles de chacun des acteurs en prenant en compte leurs besoins (a) et à s’affranchir des finalités traditionnelles de la sanction (b).

a) Un processus favorable au rééquilibrage du rôle des acteurs et à la prise en compte de leurs besoins

Les valeurs humanistes463 — faisant par ailleurs largement écho à l’héritage judéo-chrétien — comme la compréhension, la dignité, le respect, la réconciliation, l’acceptation, la guérison, l’humilité ou encore la responsabilisation constituent la pierre angulaire de ce

459 Béal, supra, note 424, aux pp 64-68. 460 Kim, supra, note 450 à la p 89 au para. 57. 461 Pignoux, supra, note 455 à la p 377. 462 Kim, supra, note 450 à la p 92 au para. 61.

463 A noter que la liste n’est pas exhaustive car comme le concept de justice restaurative est initialement flou, il

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procédé 464. Alors que la justice conventionnelle se contente de se concentrer sur les causes formelles d’une infraction, la justice restaurative s’intéresse à ses conséquences concrètes en identifiant les besoins et les obligations de chacun pour réparer les préjudices et restaurer une interaction sociale harmonieuse et pacifiée465.

Cette forme de justice « horizontale » basée, sur l’interconnexion entre les humains et la prise en compte de leur individualité466, invite toutes les personnes impliquées dans un conflit — soit l’auteur, la victime, ses proches mais aussi plus généralement la société467 — à participer activement à la résolution de celui-ci dans un « climat de compréhension et de respect

mutuel pour trouver une solution constructive468 ». Ce caractère inclusif et participatif

favorise le sentiment d’empowerment469 qui restaure la croyance d’un individu en sa propre

valeur en tant que partie intégrante de la société470 et lui permet de reprendre le contrôle de sa vie. Ces dispositifs permettent à chacun, auteur comme victime, d’exprimer ses émotions mais aussi de faire connaître ses besoins, ses intérêts et les diverses incidences relationnelles, sociales ou affectives qui découlent de l’infraction471. Le traitement de cette dernière ne relève donc plus de la compétence exclusive de l’État, qui certes doit encore assurer le maintien de l’ordre public, mais permet aux individus et plus largement à la communauté de se réapproprier le règlement du conflit472.

Le caractère équitable et concret du processus tranche avec l’abstraction et le formalisme du droit pénal classique qui insiste sur la rétribution au détriment des rapports sociaux et de l’affect. En somme, cette forme de justice se veut correctrice à plusieurs égards : d’abord, elle redonne une place à la victime grâce à un ensemble de soutiens psychologiques ; ensuite,

464 V. à cet égard : Daniel Van Ness, « Les programmes de médiation victime/délinquant, »,(2006), n°1 , Les

cahiers de la Justice, Revue semestrielle de l’E.N.M., Dalloz à la p. 149.

465 Robert Cario, Justice restaurative. Principes et promesses, 2e Éd., Coll. traité de sciences criminelles, Paris,

L’Harmattan, 2010, aux pp 21 et s.

466 Howard Zehr, The little book of restorative justice, Good Books Publisher, 2002, aux pp 19-20 et 35-36. 467 Kim, supra, note 450 à la p 45 au para. 13.

468 Lode Walgrave et Estelle Zinsstag, « Justice des mineurs et justice restaurative : une intégration possible et

nécessaire », (2014), n°59, Les Cahiers dynamiques, 32-40 à la p 40.

469 Définit généralement comme étant « a process, the mechanism by which people, organizations, and

communities gain mastery over their affairs », v. à cet égard : Julian Rappaport, « In praise of Paradox : A

Social Policy of Empowerment Over Prevention », (1981), 9 :1, American Journal of Community Psychology, 1-25.

470 Cyr et Wemmers, supra, note 440 à la p 145. 471 Béal , supra, note 424 à la p 60.

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elle outrepasse la confrontation classique entre l’État et l’auteur en se préoccupant des liens que ce dernier entretient avec la victime, surtout lorsqu’il s’agit d’infractions portant atteinte à l’intégrité ; enfin, elle vise à libérer l’excuse et le pardon pour atteindre la réconciliation473. Au fond, la victime voit généralement sa peur et sa colère diminuer à l’égard du contrevenant parfois jusqu’à l’absolution et, de manière symétrique, ce dernier aspire à assumer ses fautes et prend conscience de l’importance du dédommagement des torts causés474. Il s’agit donc d’une véritable reconquête du statut de la victime475 qui voit enfin son besoin d’information comblé tout en étant pleinement écoutée.

Au-delà de ce caractère procéduralement novateur, les finalités traditionnelles de la sanction sont aussi remises en question.

b) L’affranchissement des finalités traditionnelles de la sanction

Classiquement, une infraction constitue la violation d’une norme destinée à protéger certaines valeurs sociales et, à ce titre, mérite d’être punie. La procédure, conflictuelle et antagoniste, vise principalement à établir la culpabilité de l’auteur pour lui infliger une dose de souffrance proportionnée à la gravité de son acte et réparer la victime. Ce fonctionnement suppose donc en théorie un gagnant, la victime, et un perdant, l’auteur. A contrario, la justice restaurative encourage le dialogue mutuel et revalorise le rôle des individus pour satisfaire leur guérison et encourager leurs relations476, priorisant cette fois-ci une stratégie de

« gagnant-gagnant477 ». Le paradigme est donc amplement différent : ce n’est plus le degré

du punition de l’auteur qui conditionne le fonctionnement de cette justice mais le degré de réparation des torts à l’égard de tous les acteurs478. Il ne s’agit donc plus d’imposer une peine passivement exécutée, stigmatisante, isolante, souvent humiliante et décontextualisée, mais

473 V. à cet égard : Robert Cario, « La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? », (2007),

vol. 9, AJ Pénal, 1-8.

474 Arlène Gaudreault, « Les limites de la justice réparatrice », (2005), Les cahiers de la justice, Acte du colloque

de l’ENM, Dalloz, 2-15 à la p 4.

475 Kim, supra, note 450 à la p 62 au para. 31.

476 Howard Zehr, Changing Lenses. A New Focus for Crime and Justice, Scottdale, Herald Press,

1990 à la p 211.

477 Kim, supra, note 450 à la p 62 au para 30. 478 Ibid à la p 55 au para. 24.

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bien de favoriser la responsabilisation et la conscientisation du délinquant par le biais de la communication sans éluder pour autant sa dignité. Cette prise de conscience assure la réintégration de l’infracteur, qui comprend les conséquences de son acte et souhaite amender son comportement conformément aux attentes sociales pour éviter le rejet comme en dispose la théorie de la « honte réintégrative 479». Le caractère autoritaire, professionnel et vertical

de la sanction traditionnellement imposée par la puissance publique s’efface donc au profit d’un fonctionnement délibératif, communautaire et horizontal480, plus flexible et moins formaliste. L’individu reconnait ainsi lui-même sa propre culpabilité sans pour autant mettre de côté l’objectif de dénonciation481. Parallèlement, la réparation offerte à la victime n’est plus seulement matérielle, comme c’est généralement le cas dans le système classique, mais revêt une connotation symbolique plus bien grande. Cette « réparation émotionnelle » s’avère parfois plus bénéfique, les excuses et l’expression sincère de remords étant souvent recherchés par les victimes482 pour se reconstruire pleinement, soigner leurs traumatismes, surmonter leur vulnérabilité ou encore reconquérir leur autonomie et leur pouvoir d’agir483.

Par conséquent, la justice restaurative se focalise sur une approche positive favorable à la reconstruction du tissu communautaire. Cet objectif bien plus avantageux pour une société fut longtemps mis de côté par le système classique au profit d’une simple neutralisation en guise de barricade contre de la récidive. Seule la pluralité des finalités peut se dresser en rempart face à cette symbolisation démesurée de la punition484. Tous ces idéaux furent finalement juridiquement traduits, en France comme au Canada.