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La particulière prise en compte des victimes d’infractions sexuelles

Section II : L’émergence de droits particuliers pour certaines catégories de victimes

A- Des particularités justifiées par les caractéristiques de l’infraction en cause

1) La particulière prise en compte des victimes d’infractions sexuelles

Malgré des évolutions législatives en faveur de la situation de ces victimes particulièrement vulnérables, qu’il convient toutefois de nuancer, (a), l’effectivité de ces mesures se trouve quelque peu réduite par une pratique jurisprudentielle assez frileuse (b).

a) De relatives évolutions législatives en faveur de la situation de ces victimes

Les victimes d’infractions sexuelles ont longtemps été considérées avec méfiance et responsables de leur préjudice si elles ne se débattaient pas avec suffisamment de vigueur209. Pourtant, la plupart connaissent leur agresseur et n’ont souvent pas d’autre choix que de se soumettre210. Encore, le mythe de la femme jugée impudique ou provocante attiserait le désir du contrevenant et justifierait ainsi son acte211. Il va sans dire qu’aucune tenue vestimentaire ni aucune attitude, quelle qu’elle soit, ne doit disculper l’auteur de ces faits, contrairement à ce que certaines jurisprudences singulières voudraient faire croire212. Ces difficultés mettent en péril la crédibilité de la victime et n’encouragent pas la dénonciation213. C’est pourquoi certaines mesures spéciales ont été adoptées, notamment dans le cadre de la protection de leur vie privée et de leur témoignage.

209 Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd.,

Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, à la p 40.

210 Ibid. 211 Ibid.

212 Lors d’un procès pour viol à Cork en Irlande le 6 Novembre 2018, un string a été considéré comme une

preuve recevable de consentement.

213 Au Canada, seulement 5% des infractions sexuelles seraient portées à l’attention des policiers. Voir

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Au Canada, il est interdit de publier leurs noms214. La tenue d’un procès à huis-clos est aussi permise, mais seulement si le juge estime qu’elle est « dans l’intérêt de la moralité publique,

du maintien de l’ordre ou de la bonne administration de la justice […]215 », ce qui démontre bien que l’intérêt personnel de la victime passe au second plan. Ce n’est pas le cas en France pour les infractions de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnées d’agressions sexuelles, pour lesquelles le huis-clos est de droit lorsqu’il est demandé. Si tel n’est pas le cas, il ne peut être ordonné que si la victime ne s’y oppose pas216. Aussi, l’abolition de l’exigence de corroboration du témoignage de la victime par une preuve indépendante dans le système canadien constitue un effort textuel important217. De même, le principe de l’interdiction d’une preuve de sa bonne ou de sa mauvaise réputation basée sur son comportement sexuel antérieur218 restaure sa crédibilité. En revanche, cette preuve peut encore être admise sous certaines conditions219, ce qui témoigne, une nouvelle fois, de la primauté des intérêts de la justice. Enfin, les enfants ou les personnes présentant une déficience mentale ont la possibilité de rendre un témoignage en circuit fermé ou derrière un écran220. Ces dispositions sont cohérentes eu égard aux difficultés intrinsèques du rouage judiciaire, d’autant plus perceptibles chez ces personnes. En France, il existe également quelques règles particulières relatives à l’accord de la victime, essentiellement dans le cadre du secret professionnel221 et de l’action engagée par des associations222.

Malgré ces innovations textuelles parfois nuancées, la pratique relativement restrictive des tribunaux limite encore leur effectivité.

b) La pratique relativement frileuse des tribunaux

Il est vrai que les victimes ont encore tendance à subir les stéréotypes de ces infractions dans le milieu judiciaire. Il arrive, en raison du peu de crédibilité qui leur est octroyé, que les

214 Art. 486.4 C.Cr. 215 Art. 486 C.Cr.

216 Art. 306 C. pro. pén.fr. 217 Art. 274 C.Cr.

218 Art. 276(1) C.Cr. issu de l’affaire R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577. 219 Art. 276 (2) et s. C.Cr.

220 Art. 486.2 C.Cr. 221 Art. 226-14 C. pén. fr. 222 Art. 2-1 C. pro. pén. fr.

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forces de police ne donnent pas suite à leurs plaintes223.Cette même réticence s’observe lors du déroulement du procès car les juges ont parfois tendance à décrédibiliser les dires des victimes en les questionnant sur leurs tenues vestimentaires, leur consommation d’alcool ou leur absence de lutte224. Aussi, malgré l’abolition textuelle de la corroboration de son témoignage, la Cour suprême canadienne considère que ce mécanisme peut toujours se révéler utile225. De plus, la communication des dossiers personnels de la victime à l’accusé est permise226, même s’il est vrai que sur ce point la jurisprudence conditionne cet accès227. Cette possible divulgation favorise toutefois un renversement du fardeau de la preuve, obligeant la victime à démontrer que ces éléments personnels n’ont eu aucune incidence sur la commission de l’infraction, ce qui est dénué de sens. Encore, l’admission de la preuve d’activités sexuelles de la plaignante vise à contrer une partie de son témoignage pour affaiblir sa crédibilité228. Même si ce mode de preuve est par principe exclu, il peut être admis lorsque les faits poursuivis sont pertinents229. Mais comment en fixer objectivement les contours ? Finalement, en raison de tous ces filtres procéduraux, les victimes d’infractions sexuelles ont peu de chance de voir leur affaire aboutir sur une condamnation230, même si elles bénéficient tout de même de l’assistance d’un avocat dans ce cadre précis.

Le système judicaire français n’est pas non plus irréprochable dans ce domaine car sa volonté de criminaliser ces infractions se trouve limitée par la pratique courante de la correctionnalisation. C’est le cas du viol, qui pourtant prévu comme un crime231, est souvent requalifié en simple délit232. Qui plus est, la prépondérance relative à l’expertise médico- légale, comme dans le système canadien, est à déplorer. Si l’absence d’éléments probatoires

223 Julie Desrosiers, « Libérer la parole des victimes », la presse +, (2017) en ligne

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224 Ibid.

225 F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, 2008 CSC 53 aux paras 77-96. 226 Art. 278.1 C.Cr.

227 R. c. O'Connor [1995] 4 RCS 411 au para 137 conditionne cet accès à deux étapes, d’abord un

questionnement concernant une éventuelle transmission au juge, puis sur l’opportunité d’ordonner une telle transmission au regard des intérêts en présence.

228 V. à cet égard R. c. Crosby, [1995] 2 R.C.S. 912 aux paras 14 à 18. 229 Desrosiers et Beausoleil Allard, supra, note 209 à la p 199. 230 Desrosiers, supra, note 223.

231 Art. 222-23 C. pén. fr.

232 Véronique Le Goaziou, « La correctionnalisation des viols », dans Viol, Paris, Presses de Sciences Po, 2019

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complexifie le travail des magistrats, l’analyse de cette preuve scientifique doit nécessairement être prudente, sans quoi leur rôle s’en trouverait outrepassé233.

En tout état de cause, il est primordial de prévenir toutes ces violences sexuelles en insistant sur l’éducation et le changement des mentalités par le biais d’un réajustement des réalités sociales. Les représentations de la sexualité, du consentement ou encore l’égalité des sexes méritent aujourd’hui d’être clarifiées234.

Ces victimes ne sont pas les seules à connaître d’un régime particulier, c’est également le cas lorsque des infractions à caractère terroriste sont en cause.

2) La particulière prise en compte des victimes d’infractions à