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Des mesures pratiques alternatives ou dépendantes du système pénal classique ?

Section II : Une nouvelle forme de justice en proie à diverses limites

A- L’oscillation entre autonomie et relative intégration au système pénal classique

1) Des mesures pratiques alternatives ou dépendantes du système pénal classique ?

Une brève étude — non exhaustive — des mesures de justice restauratives en vigueur met en lumière un fâcheux paradoxe dont la frontière reste néanmoins poreuse. Certaines paraissent, surtout au Canada, s’épanouir plutôt en marge du système pénal conventionnel (a) tandis que d’autres semblent, principalement en France, relativement intégrées à celui-ci (b).

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a) Des mesures canadiennes plutôt en marge du système pénal conventionnel

Au Canada et plus largement dans les pays de common law, la faible intégration de la victime dans le procès pénal classique — hormis dans le cadre de la détermination de la peine — justifie le développement d’une réflexion reconstructive orientée en dehors du système523. C’est pourquoi la plupart des procédés restauratifs anglo-saxons ont tendance à s’accomplir extrajudiciairement, comme l’illustrent les mesures québécoises offertes aux jeunes contrevenants dans le but d’éviter la judiciarisation524.

Dans le même sens, les RDV organisées par le CSJR constituent des mesures parallèles au système classique dans le sens où elles n’ont aucun impact particulier sur la peine525. Elles s’effectuent entre des personnes ayant commis et subis des violences apparentées dans le milieu carcéral mais aussi en dehors des murs526. Le lieu d’exécution est donc généralement informel, ces mesures pouvant même s’appliquer à l’école voire dans la rue lorsque les troubles en question sont d’une moindre gravité 527. Dès lors, les agents étatiques agissent en tant que pacificateurs et non comme des acteurs du système pénal528.

Aussi, les programmes d’aide aux victimes et d’insertion des auteurs sont souvent mis en œuvre par des ONG529, qui ne sont toutefois pas pleinement indépendantes, une grande partie d’entre elles étant tributaire de subventions gouvernementales. De plus, quelques nuances sont à apporter car certains programmes sont parfois mis en œuvre par l’exécutif, comme par exemple ceux du SCC530.

523 Robert Cario, supra, note 465 à la p 21 ; Barbot et Dodier, supra, note 116 à la p 423.

524 V. l’ensemble des mesures de ce types relatées sur le site équijustice <https://equijustice.ca/fr> 525 Catherine Rossi, supra, note 503 aux pp 110-111.

526 V. à cet égard le site du CSJR <http://csjr.org/rencontres-detenus-victimes/>. A noter qu’en 2015 et en 2016

l’IFJR, l’Université Laval de Québec et le ROJAQ participent à un programme d’échange France-Québec sur les rencontres restauratives, en particulier les RDV.

527 V. à cet égard : Yvon Dandurand et Curt Taylor Griffiths, Manuel sur les programmes de justice réparatrice,

Série de Manuels de réforme sur la justice pénale, Nations Unies, New-York, (2008) aux pp 14 et 62-63, en ligne<https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-

reform/Programme_justice_reparatrice.pdf#xd_co_f=M2FiN2QzOTUtOTNjNi00M2QzLTg1ODAtYzEwYT AwNmYwMWMz~>.

528 Kim, supra, note 450 à la p 96 au para. 64. 529 Ibid.

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Enfin, beaucoup moins indépendantes du système, les mesures de rechange531, prononcées par les juges lors de la phase sentencielle, s’inscrivent dans une logique restauratrice qui assure la réparation de la victime et/ou cherchent à sensibiliser l’auteur, en lui imposant entre autres le suivi de thérapies.

Si les mesures restauratives semblent relativement indépendantes du système, malgré quelques contre-exemples532, les mesures françaises paraissent a contrario relativement intégrées au système pénal traditionnel.

b) Des mesures françaises relativement intégrées au système pénal traditionnel

Si ces mesures sont pourtant textuellement considérées comme étant autonomes, et ne sont à ce titre pas soumises aux principes directeurs de la procédure pénale533, elles sont en réalité souvent dépendantes de l’appareil judiciaire. La grande présence des victimes dans le processus pénal assouplit en effet la marge de manœuvre pour repenser, contrairement au droit canadien, la finalité reconstructrice à l’intérieur même du système 534.

La médiation pénale illustre pleinement ce propos. Souvent présentée comme une alternative aux poursuites classiques destinée à favoriser la résolution du litige par le biais d’un dialogue encadré par un médiateur, elle est en réalité décidée par le Procureur535. Ce dernier peut également, en cas d’échec, faire le choix de déclencher des poursuites pénales536. C’est donc en ce sens une mesure restaurative plutôt intégrée au système de justice classique. Un raisonnement similaire est à observer lorsque sont en cause une composition pénale537 ou une CRPC538, puisque le juge lui-même propose une sanction au mis en cause. Aussi, la réparation pénale539, qui donne l’opportunité à un mineur délinquant de s’engager dans une

531 Art. 717 C.Cr.

532 Aussi, la réparation figure expressément parmi les objectifs de détermination de la peine, v. à cet égard :

art. 718 C. Cr.

533 Circulaire du 15 mars 2017, supra, note 512. 534 Antoine Garapon, supra, note 484 aux pp 291-293. 535 Art. 41-4 al.1 C. pro. pén. fr.

536 Art. 41-1 5° C. pro. pén. fr. 537 Art. 41-2 C. pro. pén. fr. 538 Art. 495-7 C. pro. pén. fr. 539 Supra, note 496.

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démarche réparatrice à l’égard d’une personne voire même de la collectivité, est assujettie au corps judiciaire car elle ne peut être requise que par le Procureur, le juge ou le tribunal des enfants. Encore, le TIG540, première sanction française faisant appel à la communauté civile dans le cadre de l’exécution de la peine, ne peut qu’être prononcé par un tribunal. Par conséquent il semblerait que la puissance décisionnelle des autorités judiciaires dans l’orientation des poursuites et dans le choix de la mesure à exécuter enceigne largement le domaine d’intervention de la justice restaurative.

Il convient donc, à la lecture de ce qui précède, de douter de la place de la justice restaurative eu égard à ses relations plus qu’alambiquées avec le système pénal conventionnel. Finalement même s’il est vrai que la démarche restaurative peut parfois intervenir plutôt indépendamment du système classique, elle est généralement perçue comme le complément harmonieux541 de ce dernier. Pourtant, l’enracinement si profond de l’idéologie judiciaire ne condamne-t-il pas ce nouveau modèle à reproduire, et ce malgré lui, la logique institutionnelle classique ?

2) Une complémentarité chimérique en vertu d’une inévitable reproduction de la logique institutionnelle classique ?

Eu égard aux considérations nationales et internationales, la justice restaurative est aujourd’hui perçue comme un complément à la justice pénale conventionnelle (a). Mais les fortes croyances culturelles inhérentes à chaque société conditionnent inéluctablement sa représentation de la justice. Ainsi, quand bien même ce nouveau modèle compréhensif et altruiste semble novateur, il ne peut se résoudre à écarter totalement le fonctionnement de la logique institutionnelle classique (b).

a) Une relation de complémentarité communément admise

La lien de complémentarité entre la justice restaurative et la justice pénale a été préconisé au niveau international par l’ONU qui se soucie de la liberté de poursuivre États542. Cette même

540 Art. 747-1 pro. pén. fr.

541 Kim, supra, note 450 à la p 159 au para 114. 542 Dandurand et Griffiths, supra, note 527 à la p 8.

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interdépendance est également une préoccupation nationale, tant pour le gouvernement canadien543 que pour le législateur français544.

En pratique, la reconnaissance d’une possible mise en œuvre à différentes étapes de la procédure545, soit avant ou après le procès, démontre que « le processus restauratif peut venir

opportunément s’ajouter à la procédure pénale qui, soit suit son cours, soit est suspendue dans l’attente des résultats obtenus par la justice restaurative 546». Dans ce cadre, les

mesures restauratives dépendent entièrement de la mise en mouvement de l’action, qui doit au préalable être déclenchée, et du large pouvoir décisionnel des juges.

Aussi, en France et au Canada, comme dans la plupart des systèmes pénaux, l’échec du processus restauratif se solde généralement par un renvoi de l’affaire devant le système de justice classique. Dans le même ordre d’idées, des parties ayant initialement opté pour une démarche restaurative peuvent à tout moment se tourner vers la justice pénale conventionnelle si elles le souhaitent547.

En somme, il apparait opportun de ne pas supprimer totalement le modèle pénal classique, dont la symbolique demeure fondamentale, mais de jumeler harmonieusement les valeurs de ces deux modèles. Une refonte du système permettrait d’accroitre la place pour le moment encore limitée de la victime et garantirait une réponse de droit soucieuse de l’équité des personnes548. En s’ouvrant aux mesures restauratives, le système pénal classique se revitalise et accroit sa légitimité549. Celles-ci offrent une prise en compte des dimensions affectives et humaines que le système classique n’a généralement pas la possibilité de traiter.

Cette supposée complémentarité est-elle finalement le fruit d’une inexorable reproduction de la logique institutionnelle dans la mesure où ce nouveau modèle ne peut se défaire du fardeau des considérations culturellement établies ?

543 V. à cet égard : Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice réparatrice, La justice réparatrice

au Canada, Document de consultation, Ministère de la Justice, Ottawa (2000).

544 V. à cet égard : Circulaire du 15 mars 2017, supra, note 512.

545 Pour la France : v. art 10-1 C .pro. pén. fr ; pour le Canada : v. Gaudreault, supra, note 474 à la p 2. 546 Pignoux, supra, note 455 à la p 378.

547 Kim, supra, note 450 à la p 99 au para 65. 548 Cario, supra, note 465 à la p 36.

549 V. à cet égard : Jacques Faget, « La médiation pénale : une dialectique de l'ordre et du désordre » (1993),

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b) Une inexorable reproduction de la logique institutionnelle classique ?

Le contexte social inhérent à la justice restaurative se trouve bien souvent vidé de sa substance et reconstruit pour correspondre aux nécessités fonctionnelles du système de justice550. Un processus de « colonisation culturelle » affecte ainsi les divers acteurs sociaux qui collaborent avec le système pénal classique et les conduit à intégrer inconsciemment cette idéologie judiciaire pour en copier tous les stéréotypes551. Ainsi, la dépendance de tous les intervenants, même initialement étrangers au monde juridique, semble avérée et augmenterait même corrélativement aux bénéfices symboliques, tels que la reconnaissance sociale ou la rémunération, qu’ils peuvent retirer d’une éventuelle collaboration stratégique552. Par conséquent, au lieu de socialiser la justice, les mesures restauratives telles qu’elles sont mises en œuvre contribuent au contraire à la « judiciarisation du social »553 . Ce constat est d’autant

plus perceptible en France étant donné la persistance de la figure de l’État, illustrée par le pouvoir discrétionnaire du Procureur. Au Canada, les mesures relativement en marge du système permettent de nuancer ce propos, même s’il est impossible de faire totalement abstraction de la culture judiciaire, chaque modèle étant réinterprété selon des valeurs et des codes culturels variables554.

Les mesures auxquelles seront soumis ces auteurs demeurent bien in fine une réaction à une certaine violation, ce qui revient conceptuellement à le punir même si la terminologie employée est différente555. Elles découlent de la reconnaissance de culpabilité de l’auteur, de l’affirmation de sa responsabilité et en conséquence de sa soumission à des obligations, ce

550 V. à cet égard : Gunther Teubner, « How the law thinks : towards a constructivist epistemology of law »,

23 : 5 (1989), Law and socity review aux pp 727-757.

551 Jacques Faget « La double vie de la médiation » (1995), n°29,Droit et sociétés, 25-38 à la p 32. 552 Faget, supra, note 428 au para. 35.

553 Ibid.

554 Salas, supra, note 101 à la p 55.

555 Olivier Chassaing, « Crime et réconciliation. La justice restaurative face aux émotions du conflit », (10 Mai

2019), Implications philosophiques, en ligne <https://www.implications-philosophiques.org/ethique-et- politique/philosophie-politique/crime-et-reconciliation-la-justice-restaurative-face-aux-emotions-du-conflit/>

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qui correspond aux critères d’une peine556. Est-il à ce titre judicieux de parler, comme certains auteur l’ont fait, d’un élargissement du filet pénal557?

S’il n’est pas certain que cette « punition » engendre des souffrances chez l’auteur, elle est tout de même amplement annexée sur son état émotionnel558. Aussi, la procédure ne se trouve plus encadrée par l’État et ainsi les garanties juridiques offertes au mis en cause comme la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombant à la poursuite ou encore le droit au silence se trouvent édulcorées559. Il est donc primordial que la victime n’envisage aucunement ce processus comme une satisfaction de ses intérêts vindicatifs, sans quoi les célèbres dérives de la justice populaire risqueraient de refaire surface.

Si l’ordonnancement flou et embrouillé de la justice restaurative limite la compréhension de ce phénomène, certains obstacles entravent aussi son plein développement.

B- Les obstacles attachés au développement de ce nouveau modèle de justice