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La particulière prise en compte des victimes d’infractions à caractère terroriste

Section II : L’émergence de droits particuliers pour certaines catégories de victimes

A- Des particularités justifiées par les caractéristiques de l’infraction en cause

2) La particulière prise en compte des victimes d’infractions à caractère terroriste

La possibilité d’action reconnue au Canada dans le cadre précis de ces infractions comprend de nombreuses similitudes avec le mécanisme de la constitution de partie civile (a). Quant au régime français, quelques règles d’indemnisation particulières et une participation plus prononcée dans le cadre de la détermination et de l’exécution de la peine le caractérisent (b).

a) Une action canadienne faisant écho à la constitution de partie civile

En substance, le terrorisme suppose l’intimidation ou la terreur par le biais d’agissements qui entravent la sécurité et le bon fonctionnement de l’ordre public. Si le fondement idéologique de ces actes est latent dans le texte français235, il est expressément prévu dans les dispositions canadiennes236. La large criminalisation de ces comportements, parfois par le biais de lois liberticides, s’explique par la montée en puissance des revendications de ce type depuis les tristement célèbres événements du 11 Septembre 2001. Ce combat, initié au Canada au début

233 François Desprez « Preuve et conviction du juge en matière d'agressions sexuelles » (2012), n°34, Archives

de politique criminelle, 45-69.

234Marie Mercier, Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, Rapport d'information n° 289

Commission des lois, Sénat, France (2017-2018), en ligne <http://www.senat.frrap/r17-289/r17- 289_mono.html>

235 Art. 421-1 C. pén. fr. 236 Art. 83.01 C.Cr.

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des années 2000237 fut entériné par La Loi visant à décourager les actes de terrorisme238.

Celle-ci permet à ces victimes d’intenter une action particulière contre des personnes ou certains États étrangers en vue de recouvrer le montant de leurs pertes, voire au-delà239. Ce mécanisme s’apparente ainsi à la mise en mouvement de l’action des victimes françaises et vise expressément la réparation de leur préjudice. Une présomption de commission d’infraction est aussi admise240, qui certes favorise la démarche de la victime mais contribue aussi au renversement de la charge probatoire. Enfin, une suspension de la prescription est également prévue241, ce qui évite de mettre la victime en porte-à-faux dans l’hypothèse où elle serait dans l’incapacité temporaire d’intenter une action.

Ce texte rencontre tout de même quelques limites, dans la mesure où il ne s’applique qu’aux citoyens canadiens et aux résidents permanents, causant ainsi des inégalités entre les individus. Encore, le paiement des frais incombe à la victime, comme toutes les poursuites civiles engagées au Canada, ce qui décourage sûrement les plus indigentes. Enfin, la longueur et la complexité des procédures qui accablent les victimes peuvent aussi les pousser à abandonner leurs démarches. Outre ces déboires, cette loi suscite de vives tensions inter- étatiques en autorisant les victimes à poursuivre les pays figurant sur la liste des Nations soutenant de tels agissements. C’est ainsi que les relations irano-canadiennes déjà houleuses se sont trouvées fort détériorées, la jurisprudence abondant de surcroît en ce sens242.

Il convient de préciser que le juge peut, comme pour les victimes d’infractions sexuelles, rendre une ordonnance interdisant la divulgation d’informations relatives à l’identité de la personne afin de la protéger, toujours dans l’intérêt de la bonne administration de la justice243.

Quelques dispositions particulières sont également prévues pour ces victimes dans le droit français, notamment dans le cadre de leur indemnisation et de leur participation.

237 Loi antiterroriste L.C. 2001, c. 41 ; Loi sur la sécurité des rues et des communautés, supra, note 91. 238 Loi visant à décourager les actes de terrorisme contre le Canada et les Canadiens L.C. 2012, c. 1, art. 2. 239 Ibid art.4 (1).

240 Ibid art 2.1. 241 Ibid art 3.

242 La Cour d'appel de l'Ontario a décidé de maintenir la saisie d'actifs privés iraniens, v. à cet égard Tracy v.

Iran (Information and Security), 2017 ONCA 549.

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b) Une indemnisation particulière et une participation au processus punitif français

Il convient de rappeler que le mécanisme du fonds de garantie, aujourd’hui étendu à presque toutes les infractions, fut initialement instauré pour ce crime en raison de l’envergure de ses répercussions. Toutefois, Il existe encore certaines dispositions particulières qui se substituent aux règles générales du Code pénal sous réserve de quelques conditions244. D’abord, la victime, sauf si elle est un ayant-droit245, doit entretenir un lien territorial ou de nationalité avec la France246. Il faut ensuite, même si cela relève de l’évidence, que l’infraction en question soit caractérisée247. La volonté répressive —parfois démesurée248 du législateur français accroit le nombre de dispositions et augmente ainsi les probabilités d’indemnisation, quoiqu’au détriment de la cohérence de la loi. La qualification de la victime est également une question complexe, particulièrement lorsqu’il s’agit de témoins249.

Si le préjudice porte atteinte à la personne, celle-ci est intégralement dédommagé250 et ses ayants-droit peuvent prétendre à la compensation d’éventuels dommages moraux ou économiques251. L’indemnisation d’un dommage matériel est quant à elle conditionnée à la souscription préalable d’un contrat particulier dans les conditions fixées par le Code des

assurances252. Toujours est-il que le préjudice d’angoisse de la victime directe et le préjudice d’attente et d’inquiétude pour certains proches sont exceptionnellement reconnus253. La victime dispose d’un délai de dix ans à compter de la date de l’infraction pour déposer sa demande d’indemnisation. Cette procédure revêt une autonomie propre, le juge civil n’étant

244 V. à cet égard art. 706-3 du C. pro. pén. fr. 245 Ibid.

246 Art, L. 126-1 du Code des assurances. 247 Art. 421-1 et suivants du C. pén. fr.

248 Le législateur français a souhaité réprimer le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, alors

même que l’arsenal législatif permettait déjà de sanctionner ce type de comportement. Ces dispositions ont été sanctionnées par le Conseil constitutionnel, qui ne les juge « ni nécessaires, ni adaptées, ni proportionnées » :

Cons. const., 15 Décembre 2017 n° 2017-682 QPC, considérant 4.

249 V. par ex. Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-10456, à propos de la contestation par le fonds de la qualité de victime

du témoin d’un attentat.

250 Art. L. 422-1 du Code des assurances. 251 Art. L. 422-2 du Code des assurances. 252 Art. L. 126-2 du Code des assurances.

253 Conseil d’administration du FGTI, Préjudices d’angoisse et d’attente des victimes d’actes de terrorisme,

communiqué de presse, France, (2017), en ligne <https://www.fondsdegarantie.fr/wp- content/uploads/2017/09/CP-CA-25-09-17.pdf>

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aucunement obligé de surseoir à statuer en attendant la décision du juge pénal254. Il est enfin possible que le fonds réduise ou refuse la demande de la victime si sa faute est en cause255. Enfin, la victime dispose d’une capacité expressive dans le cadre du processus punitif, semblablement au système canadien. Son avis sur la relève d’un individu condamné à une peine de perpétuité réelle doit être pris en compte au moment de la détermination de celle- ci256. Cela semble critiquable car il est possible que la victime souhaite voir l’auteur enfermé. En outre, recueillir un avis sur une situation qui peut hypothétiquement avoir lieu des années plus tard ne prend nullement en compte d’éventuels efforts de réhabilitation.

Au-delà des considérations propres aux infractions, d’autres règles spéciales s’appliquent pour certaines victimes en raison des particularités inhérentes à leur qualité-même.