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La particulière prise en compte des victimes par ricochet

Section II : L’émergence de droits particuliers pour certaines catégories de victimes

B- Des particularités justifiées par la qualité de la victime elle-même

2) La particulière prise en compte des victimes par ricochet

Enfin, sans excéder les limites de ce sujet, il convient de faire mention d’aménagements législatifs lorsqu’il s’agit de mineurs auteurs d’infractions, particulièrement dans le cadre de la responsabilité pénale et de la détermination de la peine285.

Outre les victimes mineures, les victimes indirectes ou « par ricochet » bénéficient également de droits particuliers en raison de leur statut.

2) La particulière prise en compte des victimes par ricochet

Si ces victimes sont reconnues dans les deux systèmes pénaux, leurs attributions divergent. Elles disposent de prérogatives plus nombreuses et se trouvent mieux intégrées au système français favorable à l’union des procédures civiles et pénales (a). Cependant, l’interprétation extensive de la portée de l’article 2 du C proc. pén. fr. par les juridictions, outre les déboires qu’elle engendre, concède une place démesurément importante à ces victimes (b).

a) L’intégration plus conséquente de la victime dans le système français

Le C. proc. pén. fr. prévoit explicitement que l’action civile et l’action pénale peuvent être exercées en même temps et devant la même juridiction286. Cette union est inenvisageable au Canada. Les règles de responsabilité, de preuve et de procédure divergent largement entre le droit civil et le droit pénal287. Aussi, le fédéral connait des crimes graves et ne laisse aucune place aux actions individuelles, alors que les provinces sont chargées des procédures à caractère civil. L’accès à la justice est donc contraignant pour les victimes qui, ne pouvant faire état de leur situation devant le juge pénal, devront être soumises aux règles restrictives de la procédure civile288. La juxtaposition des procédures françaises conduit alors à la reconnaissance de prérogatives pénales relatives au déclenchement de l’action d’une part, et de prérogatives civiles inhérentes à la réparation d’autre part. Pour pouvoir prétendre à cette

285 En France, la priorité est donnée aux mesures et sanctions éducatives. Un mineur ne peut être condamné à

une peine en deçà de 13 ans et bénéficient entre 13 et 18 ans d’une atténuation de responsabilité, v. art. 122-8

C. pro. pén. fr. ; Au Canada, la responsabilité pénale est fixée à l’âge de 12 ans, v. art 13 C.Cr.

286 Art. 3 C. pro. pén. fr.

287 V. par ex. Grenier c. Régie de police de Memphrémagog, 2015 QCCQ 5136 ; Côté c. Longueuil (Ville de),

2009 QCCS 2587, en ligne <https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2009/2009qccs2587/2009qccs2587.html>

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indemnisation, il est nécessaire que le préjudice matériel, moral ou encore corporel289 soit certain et causé directement et personnellement car « l’exercice de l’action civile devant les

tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, […] doit être enfermé dans les limites strictes posées par le code de procédure pénale […] 290 ».

Les victimes par ricochet admises à se constituer partie civile bénéficient alors de tous les droits inhérents à ce statut dans le cadre de l’information, de la participation mais aussi de l’indemnisation. Les droits qui leur sont reconnus —comme pour les victimes principales— sont alors considérables durant la phase d’instruction, un peu moins importants lors de la phase d’audience et quasi inexistants lors de la détermination et de l’exécution de la peine.

Le Canada, malgré la séparation de ses procédures civiles et pénales, a aussi reconnu une place à cette victimisation secondaire. La jurisprudence admet effectivement que « l’action

en dommages-intérêts appartient à toute personne qui, soit directement, soit indirectement, éprouve un préjudice à raison du délit ou du quasi-délit commis par le défendeur 291».

Longtemps défendues d’invoquer la souffrance et la douleur résultant de l’infraction principale292, elles y sont autorisées depuis peu293. Cependant, comme les victimes principales, elles sont essentiellement perçues comme de simples témoins et ne se voient même pas textuellement reconnaitre un traitement équitable, contrairement au mis en cause294. Elles n’ont donc que très peu de droits durant le processus mais retrouvent une place importante lors de la détermination de la sentence et de l’exécution de la peine. Si une victime est décédée ou ne peut pas produire de déclaration, un conjoint, un parent ou une personne à charge peut en effet le faire295. Enfin, elles ont pleinement leur place devant les CAVAC, puisqu’aucun lien de causalité entre la victimisation et l’infraction n’est à démontrer. Dans

289 Art. 3 al 2 C. pro. pén. fr.

290 Cass. Crim., 8 juillet 1958, Gazette du Palais 1958, 2, 227 ; Cass. Crim.,11 décembre 1969 Dalloz 1970, 1,

156.

291 Congrégation des Petits Frères de Marie c. Régent Taxi and Transport et Co. Ltd, 1929, 46 B.R. 96, [1929]

Rcs 650, 1932 53 B.R. 157 au para 686.

292 V. à cet égard : Canadian Pacific Railway Co c. Robinson [1890] 14 R.C.S. 472, 475 et s. 293 V. à cet égard : Augustus c Gosset [1996] 3 R.C.S. 268

294 La Charte canadienne des droits et des libertés fait largement référence aux droits de la défense,

particulièrement dans son article 7, mais la victime n’est aucunement envisagée.

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le même sens, le caractère initialement réducteur296 de LIVAC297 a récemment été assoupli

pour permettre à ces victimes d’obtenir une véritable indemnisation sur le plan juridique.

En définitive, la présence de ces victimes dans le processus juridique assure la reconnaissance de leurs souffrances personnelles et de leur rôle de représentant de la personne principalement lésée298, même si la réponse apportée ne comble pas toujours leurs besoins extra- patrimoniaux. Si la victime se voit reconnaitre une large place au sein du système français, celle-ci est parfois démesurée en raison de l’interprétation jurisprudentielle extensive de l’article 2 du C. proc. pén. fr. .

b) L’extension démesurée de la portée de l’article 2 par les juridictions françaises

Si la restriction textuelle de l’article 2 — soit le caractère direct et personnel du préjudice — était initialement appliquée à la lettre par la Cour de cassation299, celle-ci a finalement changé son fusil d’épaule pour reconnaitre artificiellement l’existence d’un préjudice « découlant

directement des faits de la poursuite300» pour ces victimes en vertu du « spectacle des

blessures infligées 301» dans le cadre des infractions contre la personne. Or cette souplesse

constitutive d’un subterfuge contra legem a conduit la jurisprudence à élargir toujours plus cette catégorie, au détriment de la cohérence et de la sécurité juridiques.

Leur délimitation assez floue dépasse assurément le cadre familial. La jurisprudence a en effet admis la concubine302, la maitresse303 ou encore les amis très proches304de la victime principale. Sans poser initialement les jalons ni fixer de critères objectifs pour délimiter cette notion, elle s’est rapidement trouvée dépassée et à du apporter des limites par petites touches successives sans que ne se dégage une réelle harmonie d’ensemble, même s’il semble acquis que les préjudices purement pécuniaires soient exclus. Elle a par exemple refusé le préjudice

296 Rossi, supra, note 288 aux pp p 294- 303.

297 Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, RLRQ c I-6. 298 Ibid à la p 259.

299 V. à cet égard : Cass. Crim., 29 Novembre 1966, JCP 1967, II, 59. 300 Cass. Crim., 9 février 1989, Bull. crim. n° 63.

301 Ibid.

302 Cass. Ch. Mixte, 27 Février 1970, D. 170 201.

303 Cour d’appel de Riom, 9 novembre 1978, JCP., II, n°19107. 304 Cass. Crim., 20 mars 1973, Bull. crim. n° 137.

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économique d’un tuteur d’enfant dont les parents sont décédés des suites d’une infraction pénale305 ou le préjudice matériel d’un héritier qui invoque l’appropriation frauduleuse subie par son ascendant306. La silhouette de cette notion totalement tributaire de l’appréciation du juge s’apparente à la souplesse des systèmes de common law, ce qui est assez troublant dans un système aux aspirations légalistes et légicentristes.

Des décisions plus récentes illustrent encore la confusion qui entoure le statut de ces victimes. La Chambre criminelle a considéré que leur préjudice devait relever de « l’ensemble des

éléments constitutifs de l’infraction307 ». Or que signifient ces termes ? Lorsqu’une infraction est en cause, ne faut-il pas déjà que tous ces éléments constitutifs soient caractérisés ? Face à ces interrogations, la jurisprudence est venue préciser que ce préjudice devait également avoir porté « directement atteinte 308» à la victime, revenant ainsi à l’un des critères disposé par le code. À quoi bon maintenir ces précisions jurisprudentielles si le résultat obtenu est en réalité le même que celui prévu par le texte ? Finalement, cette nouvelle motivation de la Cour de cassation n’apporte rien de concret et illustre les incertitudes jurisprudentielles qui entourent des notions brumeuses et complexes, exactement comme celle de ne bis in idem309.

Ces enchevêtrements résultent peut-être de l’emploi du terme « préjudice », qui trouve parfaitement à s’appliquer dans le droit civil mais sûrement moins dans le droit pénal. Qui plus est, l’expression « découle directement » insinue le caractère médiat du préjudice. Pourtant ces tournures linguistiques sont purement hypocrites et donnent l’illusion du respect des critères textuels alors même que l’atteinte ne semble pas être directe à proprement parler. Cet ingénieux stratagème vise à mettre en exergue la souffrance des proches et reconnaitre ainsi une place à la victimisation secondaire dans le cas d’infractions considérées particulièrement graves. Pourtant, le fait de reconnaitre des prérogatives pénales à ces victimes, qui n’agissent bien souvent que dans le cadre d’une réparation, ne contrevient-il

305 Civ. 2e, 9 décembre 2010, n° 09 69 819.

306 Cass. Crim., 20 mai 2008, Bull. crim. n° 123. 307 Cass. Crim., 21 novembre 2018, n° 17-81.096. 308 Cass. Crim., 12 mars 2019 n°18-80.911.

309 V. le changement de motivation récent de la Cour de cassation qui impose désormais le critère ambigu des

« faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable » Cass. Crim., 26 octobre 2016, n°15-84.552, publié au bulletin. Certains évènements sont mis en

place pour tenter d’éclaircir la situation, v. à cet égard le colloque « Le principe ne bis in idem et les concours d’infractions pénales », Université Paris II, 28 Novembre 2019.

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pas à l’essence même du texte ? Le pouvoir discrétionnaire du juge ne semble donc pas avoir de limite, quand bien même la loi pénale est censée être d’interprétation stricte.

Après être revenu aux sources de l’histoire de la victime pour mieux comprendre la place qu’elle occupe aujourd’hui sur la scène juridique ainsi que l’éventail des droits qui lui sont reconnus, il convient de s’intéresser à l’effectivité pratique de ces derniers, véritable gouvernail qui donne un sens et un intérêt aux dispositions théoriques (Partie II).

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PARTIE II : L’EFFECTIVITÉ PRATIQUE DES DROITS DES VICTIMES DANS