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Les droits de la victime dans les systèmes pénaux français et canadien

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Academic year: 2021

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(1)

Les droits de

la victime dans les systèmes pénaux

français et canadien

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Le

ïla Loucif

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole

Toulouse, France

Master (M.)

(2)

Les droits de la victime dans les systèmes pénaux français et canadien

Mémoire

Leïla Loucif

Sous la direction de

Alexandre Stylios, Professeur, Université Laval

(3)

iii

RÉSUMÉ

Si la France et le Canada sont deux pays à la culture occidentale commune et aux valeurs démocratiques partagées, leurs systèmes juridiques sont bien distincts. L’un est traditionnellement inquisitoire et légaliste tandis que l’autre est originellement accusatoire et de common law, même si tous deux semblent aujourd’hui tendre vers une structure hybride. Ces divergences systémiques entraînent nécessairement une intégration différente de la victime dans le processus judiciaire et plus globalement dans ces deux modèles procéduraux. La comparaison en l’espèce vise donc à déterminer quel système intègre au mieux la victime dans son processus pénal eu égard aux droits qui lui sont théoriquement reconnus mais aussi à leur effectivité pratique.

(4)

iv

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ... ix

REMERCIEMENTS ... xi

INTRODUCTION... 1

PARTIE I : LA RECONNAISSANCE THÉORIQUE DE LA FIGURE DE LA VICTIME ET DE SES DROITS DANS LES SYSTÈMES PÉNAUX FRANÇAIS ET CANADIEN ... 6

Chapitre I : L’intégration progressive de la victime ... 7

Section I : La place fluctuante de la victime justifiée par son histoire ... 7

A - Une victime jadis actrice principale progressivement écartée du système juridique ... 7

1) Une justice originairement privée ... 7

a) La responsabilité pénale collective inhérente à la vengeance ... 7

b) L’émergence de la notion de proportionnalité ... 8

2) Le tournant historique de la publicisation de la justice pénale ... 9

a) La fin de « l’âge d’or » de la victime et les premières tentatives étatiques de publicisation de la justice pénale ... 9

b) L’émergence et le maintien de la mise à l’écart de la victime dans le processus pénal 11 B - Un changement de paradigme lié à la bonification du statut de la victime ... 12

1) Des évolutions aux influences nationales analogues ... 12

a) L’impulsion des mouvements en faveur des droits des victimes... 12

b) La meilleure prise en compte de l’indemnisation de la victime ... 13

2) Des évolutions assujetties à un contexte international attentif aux intérêts des victimes . 15 a) L’individualisation du droit et la volonté de lutte contre l’impunité ... 15

b) Les projections nationales résultant de ces évolutions ... 17

Section II : La place encore relativement fragile de la victime sur la scène juridique ... 18

A- Une intégration mitigée en raison du fonctionnement des systèmes pénaux français et canadien ... 18

1) Des facteurs systémiques favorisant la mise à l’écart procédurale de la victime ... 18

(5)

v

b) La distinction des procédures accusatoires et inquisitoires ... 20

2) Les conséquences de ces facteurs systémiques sur l’intégration de la victime ... 21

a) L’intégration de la victime dans le processus canadien traditionnellement accusatoire 21 b) L’intégration de la victime dans le processus français traditionnellement inquisitoire devenu mixte ... 22

B - De vifs débats autour de la valorisation de la figure de la victime ... 23

1) Des avantages inéluctables à l’intégration de la victime dans ces systèmes ... 23

a) La tentative de régulation entre les droits des acteurs ... 23

b) La déférence eu égard aux objectifs pénologiques dans le respect des souffrances ... 24

2) Des limites nuancées à l’intégration de la victime ... 25

a) La nécessaire asymétrie entre les droits et les attentes des acteurs ... 25

b) Le risque de privatisation de la procédure pénale sous couvert de la souffrance de la victime ? ... 26

Chapitre II : La reconnaissance croissante des droits des victimes ... 28

Section I : L’étendue des principaux droits théoriquement reconnus aux victimes ... 28

A- L’affirmation de droits analogues néanmoins plus étoffés en France ... 28

1) La confirmation de l’information et de la participation de la victime ... 28

a) L’information substantielle de la victime... 29

b) L’affirmation de la participation de la victime ... 30

2) La consécration de l’indemnisation de la victime ... 31

a) L’indemnisation de la victime dans le système français ... 32

b) L’indemnisation de la victime dans le système canadien ... 33

B- Les conséquences de ces droits sur le rôle de la victime ... 34

1) Une victime globalement mieux intégrée dans le processus pénal français ... 35

a) L’expression d’une participation active à divers stades de la procédure ... 35

b) Un poids relativement plus lourd dans le droit français ... 36

2) Une indemnisation relativement plus conséquente dans le droit français ... 37

a) Une victime globalement mieux indemnisée dans le processus pénal français ... 37

b) La particularité de la constitution de partie civile comme garantie d’une meilleure prise en compte de l’indemnisation de la victime ? ... 38

Section II : L’émergence de droits particuliers pour certaines catégories de victimes ... 39

A- Des particularités justifiées par les caractéristiques de l’infraction en cause ... 39

1) La particulière prise en compte des victimes d’infractions sexuelles... 40

a) De relatives évolutions législatives en faveur de la situation de ces victimes... 40

(6)

vi

2) La particulière prise en compte des victimes d’infractions à caractère terroriste ... 43

a) Une action canadienne faisant écho à la constitution de partie civile ... 43

b) Une indemnisation particulière et une participation au processus punitif français ... 45

B- Des particularités justifiées par la qualité de la victime elle-même ... 46

1) La prise en compte de la particulière vulnérabilité des victimes mineures ... 46

a) Les préoccupations internationales concernant les droits des enfants ... 46

b) Des mesures visant la protection des mineurs dans les deux systèmes ... 48

2) La particulière prise en compte des victimes par ricochet ... 50

a) L’intégration plus conséquente de la victime dans le système français ... 50

b) L’extension démesurée de la portée de l’article 2 par les juridictions françaises... 52

PARTIE II : L’EFFECTIVITÉ PRATIQUE DES DROITS DES VICTIMES DANS LES SYSTÈMES PÉNAUX FRANÇAIS ET CANADIEN ... 55

Chapitre I : L’effectivité relative des droits reconnus aux victimes... 56

Section I : Des limites textuelles corroborées par une application jurisprudentielle relativement restrictive ... 56

A- Une effectivité limitée par la rédaction même des textes de lois ... 56

1) Des législations a priori prometteuses promouvant largement les droits des victimes .... 56

a) La promotion des droits des victimes dans la législation française ... 57

b) La promotion des droits des victimes dans la législation canadienne ... 57

2) Des législations en réalité peu innovantes réduisant l’effectivité des droits des victimes 59 a) La consécration de droits déjà existants dans le système français ... 59

b) L’édiction de mécanismes déjà existants dans le système canadien ... 60

B -Une effectivité bridée par une application jurisprudentielle limitée... 62

1) L’ambivalence des juridictions françaises concernant les droits des victimes ... 62

a) L’assise constitutionnelle parfois excessive de certains droits ... 62

b) L’encadrement parfois trop restrictif du Conseil d’État dans le sillage de la jurisprudence européenne ... 63

2) La timidité des juridictions canadiennes concernant l’application des droits des victimes ... 65

a) La circonspection des décisions relatives au dédommagement des victimes ... 65

b) La réserve relative des décisions entourant la protection des victimes... 66

Section II : Un agencement classique expression de la crise des valeurs judiciaires et de l’abnégation de la victime ... 67

A- La remise en cause du système pénal classique dans son ensemble ... 68

1) La crise de légitimité des systèmes classiquement rétributifs ... 68

(7)

vii

b) La critique de l’institution carcérale et du sens de la peine ... 69

2) L’alarmante répression législative sous couvert de l’instrumentalisation de la figure de la victime ... 71

a) L’accroissement de la répression législative au détriment de la crédibilité du système 71 b) Le danger de la prospérité du populisme pénal ... 73

B- Un agencement inadapté à la prise en compte des besoins des victimes ... 74

1) Un processus pénal propice à l’exclusion de la victime ... 74

a) La prévalence avérée des considérations systémiques sur les intérêts victimologiques 74 b) Un mode de fonctionnement incommodant pour les victimes ... 76

2) Une réponse pénale classique inappropriée à la situation des victimes ... 77

a) Les limites structurelles de la réponse pénale classique ... 77

b) Les limites conceptuelles de la réponse pénale classique ... 78

Chapitre II : La recrudescence des droits de la victime à l’aune du mécanisme de la justice restaurative ... 79

Section I : La complexe intégration d’un nouveau modèle de justice en présupposée rupture avec la logique traditionnelle ... 79

A- Une notion controversée sensible aux considérations humanistes ... 80

1) Des débats doctrinaux sur le concept même de justice restaurative ... 80

a) La conception autonome des courants abolitionniste et minimaliste ... 80

b) La conception intégrative des courants maximalistes ... 81

2) Une conception en rupture apparente avec les finalités de la justice conventionnelle ... 82

a) Un processus favorable au rééquilibrage du rôle des acteurs et à la prise en compte de leurs besoins ... 82

b) L’affranchissement des finalités traditionnelles de la sanction ... 84

B- La traduction juridique de ce nouveau modèle de justice ... 85

1) Les prémices d’un nouveau mode de résolution des conflits ... 86

a) Les amorces canadiennes en faveur de ce modèle de justice ... 86

b) Les amorces françaises en faveur de ce modèle de justice ... 87

2) L’apothéose récente d’une logique restaurative aux ambitions pérennes ... 89

a) Une officialisation canadienne inspirante pour le droit français ... 89

b) L’éloignement relativement confirmé de la justice punitive ... 90

Section II : Une nouvelle forme de justice en proie à diverses limites ... 92

A- L’oscillation entre autonomie et relative intégration au système pénal classique ... 92

1) Des mesures pratiques alternatives ou dépendantes du système pénal classique ? ... 92

a) Des mesures canadiennes plutôt en marge du système pénal conventionnel ... 93

(8)

viii

2) Une complémentarité chimérique en vertu d’une inévitable reproduction de la logique

institutionnelle classique ? ... 95

a) Une relation de complémentarité communément admise ... 95

b) Une inexorable reproduction de la logique institutionnelle classique ? ... 97

B- Les obstacles attachés au développement de ce nouveau modèle de justice dans les systèmes français et canadien ... 98

1) Les limites pratiques de ce nouveau modèle de justice ... 98

a) Une réussite conditionnée à l’existence de nombreuses variables... 99

b) Un modèle éclaté aux ressources insuffisantes ...100

2) Un modèle canadien encore amendable toutefois inspirant pour le droit français ...101

a) Des réalités socioculturelles distinctes influençant la réception de ce modèle...101

b) Les pistes d’amélioration envisageables pour chacun des systèmes ...102

CONCLUSION ... 104

(9)

ix

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

Art. : Article

ASE : Aide Sociale à l’Enfance

ASEAN : Association des Nations de l'Asie du Sud-Est

BAV : Bureau d’Aide aux Victimes

BAVAC : Bureau d’Aide aux Victimes d’Actes Criminels

BOFVAC : Bureau de l’Ombudsman Fédéral des Victimes d’Actes Criminels

CADHP : Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

Cass. Crim. : Chambre criminelle de la Cour de cassation

CAVAC : Centre d’Aide pour les Victimes d’Actes Criminels

C.cr. : Code criminel

CCDP : Commission Canadienne sur la Détermination de la Peine

CCDV : Charte Canadienne des Droits des Victimes

CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme

CESDH : Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme

CESEDA : Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile

CIDH : Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme

Civ. : Chambre civile de la Cour de cassation

CIVI : Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions

Cons. const. : Conseil constitutionnel

C. pén. fr. : Code pénal français

(10)

x

CPI : Cour Pénale Internationale

CRDC : Commission de Réforme du Droit du Canada

CRPC : Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité

CSJR : Centre des Services de Justice Réparatrice

DDHC : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

FAVAC : Fonds d’Aide aux Victimes d’Actes Criminels

FGTI : Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions

IFJR : Institut Français pour la Justice Restaurative

INAVEM : Institut National d’Aide aux Victimes Et de Médiation

JAP : Juge d’Application des Peines

LIVAC : Loi sur l'Indemnisation des Victimes d'Actes Criminels

LSJPA : Loi sur le Système de Justice Pénale pour les Adolescents

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

QPC : Question Prioritaire de Constitutionnalité

RDV : Rencontres Détenus-Victimes

ROJAQ : Regroupement des Organismes de Justice Alternative du Québec

SARVI : Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions

SCC : Service Correctionnel du Canada

SPIP : Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation

TIG : Travail d’Intérêt Général

TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda

(11)

xi

REMERCIEMENTS

Je tiens d’abord à exprimer toute ma gratitude aux professeurs Alexandre Stylios et Guillaume Beaussonie qui ont largement su s’investir et m’aider durant l’élaboration de ce mémoire, toujours avec bienveillance.

J’adresse également de sincères remerciements aux équipes pédagogiques de l’Université Laval et de l’Université de Toulouse, surtout au professeur Bertrand De Lamy qui m’a permis de réaliser cette expérience en m’acceptant au sein de son Master.

Je souhaite encore exprimer ma reconnaissance aux professeures Julie Desrosiers, Catherine Rossi et Jo-Anne Wemmers qui ont toujours répondu à mes attentes et ont judicieusement orienté mes recherches.

Je remercie aussi ma famille qui m’a encouragé, ainsi que Sarah qui a été d’une aide précieuse. J’adresse enfin un remerciement tout particulier à mon compagnon Younès qui m’a énormément soutenu tout au long de ce projet et plus largement depuis le début de mon parcours universitaire.

(12)

1

INTRODUCTION

L’omniprésence des victimes dans le phénomène criminel, tant de la délimitation des infractions qu’au prononcé du verdict final, justifie la nécessité d’une réponse à leurs voix bien trop souvent rendues inaudibles. Il est vrai que la structure initiale du procès pénal, aussi bien en Europe que sur le continent nord-américain, favorise leur mise à l’écart des procédures. Ainsi, une meilleure prise en considération de celles-ci s’avère primordiale, d’autant plus que « les victimes c’est comme les malades, un jour où l’autre c’est nous 1».

Historiquement, le terme « victime » du latin victima est entré dans la langue française en 1495 et renvoyait à l’idée d’une bête offerte en sacrifice à Dieu2. La victime n’était donc que le bouc émissaire, garant du bien-être de la société dans son ensemble. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour donner au mot victime le sens qui est le sien aujourd’hui, soit la personne qui subit un dommage3. Au-delà du cadre étymologique classique, le concept de victime a progressivement fait son apparition sur le plan juridique. Dans ce cadre, la société a toujours été perçue comme la victime principale d’une infraction et la personne, pourtant victime directe, s’est longtemps trouvée délaissée. La notion de victime a finalement évolué au fil du temps, sous l’influence notable d’une part, de l’évolution des mœurs relatives au concept d’individualité et d’autre part, des organisations internationales depuis les années 1950.

En France, la victime d’une infraction pénale est aujourd’hui définie à l’article 2 du Code de

procédure pénale4 comme étant celle qui a « personnellement souffert du dommage

directement causé par l’infraction5 ». Dans le même ordre d’idée, l’article 2 de la Charte

canadienne des droits des victimes6 définit la victime comme « le particulier qui subit des

dommages matériels, corporels ou moraux, ou des pertes économiques par suite de la

1 Micheline Baril, « Assistance aux victimes et justice pénale » (1981) 5:3 Déviance et société 277‑282, DOI :

10.3406/ds.1981.1089.

2 Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Éditions Le Robert, 2004, sub verbo « victime ». 3 Dictionnaire Larousse, en ligne <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/droit/26842> sub verbo

« victime », consulté le 25 Juin 2020.

4 Loi n° 57-1426 du 31 décembre 1957 portant institution d'un code de procédure pénale (ci-après le « C. proc.

pén. fr. »).

5 Art. 2 Code de procédure pénale français (Ci-après « C. proc. pen. fr ») 6 Art. 2 Charte Canadienne des Droits des Victimes (ci-après la « CCDV »).

(13)

2

perpétration ou prétendue perpétration d’une infraction7 ». Ces définitions quelque peu approximatives et vagues s’inspirent essentiellement de la Déclaration des principes

fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir du 11 Décembre 1985 de l’Assemblée générale des Nations Unies8, texte fondateur qui définit plus précisément les victimes comme étant « des personnes qui, individuellement

ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, […]»9. Ainsi, les victimes se trouvent catégorisées en un groupe dont

l’existence est subordonnée à la réalisation d’un préjudice10 qui n’a de sens que s’il ouvre sur un droit à la réparation11. Cependant, le droit pénal à tendance à s’exprimer principalement à travers sa fonction répressive, priorisant ainsi la sanction de l’auteur à la réparation de la victime12. Enfin la notion juridique de victime est fortement empreinte d’antagonisme, opposant radicalement l’auteur d’une infraction de celui qui la subit13.

Si la simplification juridique de la notion de victime est de rigueur, tant pour assurer une meilleure compréhension textuelle que pour faciliter le déroulement des procédures judiciaires, il est évident qu’au niveau sociologique et victimologique du terme la complexité est de mise. De nombreuses conceptions théoriques s’affrontent aujourd’hui et donnent lieu à de remarquables confusions sémantiques14, particulièrement en raison de la subjectivité inhérente à cette notion. Qui peut véritablement être considéré comme victime ? L’auto-victimisation doit-elle s’exprimer sur le pan juridique ? Quelle frontière fixer pour

7 Art. 2(1) Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c C-20 ; art. 2 Code

criminel, LRC 1985, ch C-46 ( ci-après le « C. Cr »).

8 Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes

d’abus de pouvoir, adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 40/34 du 29 novembre 1985.

9 La Décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures

pénales s’inscrit dans ce même état d’esprit.

10 Michela Marzano, « Qu’est-ce qu’une victime ? » (2006) 28:1 Archives de politique criminelle 11‑20 à la

p 1.

11 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Coll. Quadrige, Presses Universitaire de

France, 2000, sub verbo « victime ».

12 Eloi Clément, Les caractères de l’influence de la victime en droit pénal, thèse de doctorat en Droit, École

doctorale Sciences de l'homme, des organisations et de la société de Rennes, 2013 à la p 16.

13 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, ,Coll. Quadrige Presses Universitaires de

France, 2011, sub verbo « victime ».

14 Catherine Rossi et Arlène Gaudreault, « Cinquante ans de victimologie. Quelle place pour les victimes d’actes

criminels dans la revue Criminologie de 1968 à aujourd’hui ? », (2018), 51:1, Criminologie 271‑290 à la p 272,

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caractériser la perte de l’humanité d’un individu ou d’un groupe ? La dichotomie auteur/victime est-elle nécessairement binaire ? Faut-il percevoir l’âme de chaque être humain forcément noire ou blanche ou n’existe-t-il pas plutôt des nuances de gris en chacun de nous ? Tous ces questionnements semblent relever d’un autre débat, ô combien intéressant, mais qui à première vue outrepasse la sphère juridique. Pourtant, ces difficultés notionnelles, qui représentent « l’envers du crime »15 , ont forcément une résonance dans le milieu du droit : ce flou initial fait inéluctablement varier la notion de victime selon le champ juridique en question. Ainsi, une clarification, certes difficile mais néanmoins essentielle est requise. Il est vrai qu’il est complexe de réduire la victime à une seule et même définition car il existe en réalité autant de souffrances que de victimes. C’est pourquoi il serait judicieux d’envisager une typologie16 des victimes basée sur une approche pluridisciplinaire, gage d’une meilleure compréhension à leur égard et d’une prise en compte de leurs besoins plus que satisfaisante, pour en tirer, a fortiori, la substantifique moelle de la réparation.

En l’espèce, par souci de simplicité et de clarté, il convient de faire fi de ces observations victimologiques et de se concentrer exclusivement sur la définition juridique des personnes physiques17 victimes d’infractions pénales en France, soit les victimes de crimes et de délits18, et sur les victimes d’actes criminels au Canada, c’est-à-dire les victimes des crimes les plus graves.

Dans le système judiciaire, des droits sont accordés aux personnes reconnues comme victimes – d’où l’intérêt de circonscrire correctement la notion dès le départ – pour que celles-ci puissent faire valoir leur cause et demander la réparation de leur préjudice devant le juge. Ces prérogatives ne sont que la conséquence de leur existence dans la construction du droit

15 Micheline Baril, L'Envers du crime, Paris, L’Harmattan, 2002.

16 Xavier Pin, « Les victimes d’infractions définitions et enjeux » (2006) 28:1 Archives de politique criminelle,

49-72 à la p 49.

17 En France, les personnes morales sont aussi considérées comme des victimes, voir en ce sens Cass. Crim., 8

janvier 1998, Bull. crim. n° 7; Cass. Crim., 16 novembre 2005, Bull. crim. n° 297 ; Cass. Crim,. 14 novembre 2007, Bull. crim. n° 277 ; Au Canada, si les personnes morales peuvent se prévaloir des dispositions du C. cr., seules les personnes physiques ont droit à un dédommagement.

18 En France, un délit est puni de deux mois à dix ans d’emprisonnement et un crime est puni d’au moins quinze

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4

pénal. L’atteinte portée à la victime permet en effet de délimiter le comportement interdit19 mais aussi généralement de fixer la peine encourue 20 par le contrevenant.

Un droit représente une faculté, légalement ou règlementairement reconnue à quelqu’un par une autorité publique d’agir d’une telle façon ou de jouir d’un tel avantage21. La victime dispose ainsi dans le processus pénal de pouvoirs liés à sa qualité qui lui permettent de légitimer son action22. Globalement, en France et au Canada les victimes disposent d’un éventail de droits, tantôt analogues, tantôt distincts, qui tend à s’élargir au fil du temps.

C’est précisément cette ouverture qui provoque un débat au sein de la communauté juridique. S’il est vrai que le droit pénal est initialement doté d’une fonction expressive visant à sanctionner l’auteur d’une infraction tout en affirmant le pouvoir étatique, des efforts ont cependant été consentis ces dernières décennies par les politiques publiques pour octroyer plus de droits à la victime sur la scène juridique, tant dans l’Hexagone qu’outre-Atlantique. La réévaluation de cette place, opérée dans un contexte de crise de légitimité des institutions judiciaires et plus généralement du système dans son ensemble, n’a cessé et ne cesse encore aujourd’hui d’opposer bon nombre de juristes. Certains adhèrent à cette évolution tandis que d’autres considèrent cette reconnaissance de droits bien trop large et prématurée, le statut de la victime n’étant d’ailleurs aucunement établi légalement avant le verdict définitif rendu par les juridictions. Ces vives tensions complexifient alors les relations entre la victime et le système pénal, ce qui incite celui-ci à revoir son mode de fonctionnement pour tenter de redonner confiance aux justiciables et en l’espèce plus précisément aux victimes. Si les systèmes français et canadien reposent tous deux sur une tradition occidentale commune, leurs modèles procéduraux se trouvent néanmoins distincts, ce qui fait inéluctablement varier l’assimilation de la victime au processus judiciaire. Par conséquent, il convient en l’espèce de s’interroger sur les interactions entre la victime et les processus pénaux français et canadien, ce qui fait plus généralement écho à la question de son intégration, analysée par le prisme des droits qui lui ont progressivement été reconnus.

19 V. par ex. la référence à autrui dans l’infraction de vol art. 311-1 Code pénal français (ci-après le « C. pén.

fr. »).

20 Plus l’atteinte est forte, plus la peine sera élevée, v. par ex. art. 222-13 C. pén.fr.

21 Dictionnaire Larousse, en ligne <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/droit/26842> sub verbo

« victime », consulté le 25 Juin 2020.

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5

L’approche retenue pour répondre à cette problématique s’avère essentiellement comparatiste. Le positivisme trouve entièrement sa place puisqu’il s’agit de comparer objectivement les droits existants dans chaque système23, mais cela suppose également de porter un regard critique dans le but de donner une cohérence à l’ensemble de l’étude. Le «

virage herméneutique » entre alors en jeu24. Il s’agit au-delà de la simple reconstitution des faits, d’analyser les relations sociales et les valeurs en vigueur à chaque époque.

En raison des considérations historiques attachées à ce sujet, il convient d’opter pour un plan chronologique. Il s’agit tout d’abord de faire état de la reconnaissance théorique de la figure de la victime et de ses droits dans les systèmes pénaux français et canadien (Partie I) pour ensuite s’intéresser à l’effectivité desdits droits qui lui sont reconnus dans chacun de ces systèmes (Partie II), complétant ainsi parfaitement l’abstraction théorique des dispositions textuelles par l’étude de leur mise en œuvre concrète.

23 Hans Kelsen, « Qu’est-ce que la théorie pure du droit », (1992) 22 dans Droit et société, 551-559.

24 Michelle Cumyn et Mélanie Samson, « La méthodologie juridique en quête d’identité » (2013) Volume 71:2

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PARTIE I : LA RECONNAISSANCE THÉORIQUE DE LA FIGURE DE LA VICTIME ET DE SES DROITS DANS LES SYSTÈMES PÉNAUX FRANÇAIS ET CANADIEN

La compréhension d’un fait suppose préalablement la connaissance du contexte qui lui a précédé. Dès lors, pour appréhender l’évolution de la figure de la victime sur la scène juridique et la place que celle-ci y occupe aujourd’hui, il convient avant tout de revenir sur l’histoire de son intégration au sein de ces systèmes pénaux (Chapitre I) tout en s’intéressant aux droits qui lui ont progressivement été reconnus (Chapitre II) sur la scène juridique.

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7

Chapitre I : L’intégration progressive de la victime

Si la place de la victime dans le système juridique n’a cessé de fluctuer au fil du temps, tantôt cruciale ou tantôt secondaire comme l’illustre la complexité de son histoire (Section I), elle demeure encore relativement précaire aujourd’hui (Section II), notamment en raison des facteurs systémiques et des oppositions doctrinales relatives à l’extension de ses prérogatives.

Section I : La place fluctuante de la victime justifiée par son histoire

Si initialement la victime jouait un rôle crucial dans la résolution de son litige, elle s’est progressivement trouvée écartée du système et remplacée par d’autres acteurs (A). Récemment, un regain d’intérêt pour sa personne a conduit à une réévaluation de sa place sur la scène juridique (B).

A - Une victime jadis actrice principale progressivement écartée du système juridique

Le caractère originairement privé de la justice primitive (1) a progressivement laissé place, dès le début du Moyen-Âge, à un autre modèle fortement influencé par le mouvement de publicisation du droit (2).

1) Une justice originairement privée

Cette forme de justice, essentiellement basée sur la notion de responsabilité pénale collective (a), a contribué à l’émergence du principe fondamental de la proportionnalité (b).

a) La responsabilité pénale collective inhérente à la vengeance

Depuis l’aube de l’humanité, le droit pénal existe et ses finalités varient en fonction des mœurs associées à chaque époque. D’importantes sources témoignent de son existence

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ancienne, comme l’Ancien Testament, le Code de Hammurabi ou encore la Loi hébraïque25. Chaque système cherche en effet à incriminer des comportements qu’il considère comme déviants et qui portent atteinte aux valeurs protégées qu’il défend. La présence de la victime est donc bien intrinsèque au phénomène criminel. Pour comprendre la place qu’elle occupe, il est essentiel de remonter aux origines de la justice pénale.

Initialement, la justice des sociétés primitives gravitait principalement autour de la vengeance privée. L’absence d’organisation, de centralisation du pouvoir et de protection sociale laissait alors les membres de ces communautés livrés à eux-mêmes26 en les encourageant à se défendre par leurs propres moyens. Ce « devoir27 » de vengeance, tant individuel que collectif, accordait une place prépondérante à la victime dans le système. Celle-ci pouvait se venger personnellement ou par le biais de son clan ou de sa famille, sans aucune restriction d’ordre moral28, et imposer à l’auteur la réparation du préjudice causé. Le fondement de la responsabilité pénale était alors le dommage subi et non l’éventuelle culpabilité de l’auteur29.

Finalement, cette vengeance illimitée s’est progressivement estompée au profit d’une justice plus raisonnée, favorable à une rétribution proportionnée à la gravité de la faute morale.

b) L’émergence de la notion de proportionnalité

La sédentarisation des peuples primitifs, la centralisation du pouvoir et l’émergence du droit canonique sont autant d’éléments qui ont progressivement conduit à limiter la sévérité des réactions excessives qui mettaient assurément en péril la stabilité de la communauté30. Ainsi, l’idée d’une sanction proportionnée a pris racine dans ces systèmes, comme l’illustre la Loi du talion, désignée par la célèbre maxime « œil pour œil, dent pour dent ». Cette conception de la justice, combinant l’admission des représailles dans la limite de la gravité de l’acte commis, conçoit la culpabilité morale comme fondement d’une rétribution adéquate. Ainsi,

25 Jo-Anne M. Wemmers, Victimologie : une perspective canadienne, Montréal, Presses de l'Université du

Québec, 2017, 13-26.

26 Adolphe Prins, Science pénale et droit positif, Bruxelles – Paris, Éditions Bruylant, 1899, Section première :

période primitive ou coutumière au para 12.

27 Imposé aux parents les plus proches dans le cadre d’une vengeance de sang, v. à cet égard : Pellegrino Rossi,

Traité de droit pénal, 4e éd., Paris, Librairie de Guillaumin et Cie, 1872 à la p 13.

28 Claire Saas, « Victime en justice : la place de la victime dans le droit pénal français », (2004), 27:2, Vacarme,

47-50.

29 Ibid.

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9

la vengeance ne disparait pas complètement mais se trouve encadrée par l’éminent principe de proportionnalité, qui fonde encore nos systèmes actuels31.

La justice de cette époque demeure essentiellement privée, dans la mesure où la victime supporte le déclenchement du processus et agit à titre principal dans le but d’obtenir la réparation de son préjudice32. Considérée juridiquement comme l’égal de son auteur dans un système favorable à la confrontation entre les deux parties, elle doit cependant supporter seule la charge de la preuve33. Procéduralement, elle a le choix entre négocier avec l’auteur de son préjudice ou laisser l’autorité centrale le punir34. Ce système dit de « composition tarifée » permet de substituer des sommes pécuniaires à la vengeance pure et simple, sans encore une fois l’écarter pleinement, comme l’illustre l’instauration du wergled, tant dans le milieu anglo-saxon que dans la tradition germanique.

Peu à peu, ce mode de résolution des conflits s’impose légalement et écarte progressivement la victime des procédures. Un véritable « contrôle social » apparaît, fort de sens dans la construction du droit pénal moderne, accentué d’autant plus par la création des États aux XIe et XIIe siècles, qui souhaitent accaparer le monopole de la justice.

2) Le tournant historique de la publicisation de la justice pénale

Le mouvement de publicisation de la justice pénale signe la fin de « l’âge d’or » de la victime et sa mise à l’écart des procédures judiciaires (a) et ce jusqu’au début du XXe siècle (b).

a) La fin de « l’âge d’or » de la victime et les premières tentatives étatiques de publicisation de la justice pénale

La naissance de l’État et la redécouverte tardive des principes de droit romain au début du Moyen-Âge, mettent en exergue une nouvelle perspective de la justice. La prévention des infractions et le rétablissement de la paix sociale deviennent désormais d’intérêt public. La

31 V. à cet égard : art. 130-1 C. pén. fr. pour la France et art. 718 C.Cr. pour le Canada. 32 Saas, supra, note 28.

33 Wemmers, supra, note 25.

34 Guillaume Beaussonie, La victime de l’infraction, notes de cours dans le cadre du séminaire de procédure

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société est alors considérée comme la victime première d’une infraction, évinçant par la même la victime principale, qui était pourtant jusqu’alors toujours présente dans le processus judiciaire35. La figure triangulaire du procès change de perspective, opposant désormais le juge, le poursuivant et l’accusé. Ainsi, la vengeance originellement personnelle et privée est finalement devenue générale et publique36, favorisant d’ailleurs les excès relatifs à l’exemplarité des peines. Pourtant, l’intérêt public n’est-il pas en vérité constitué d’une somme d’intérêts individuels ?37 En ce sens, était-il vraiment utile et nécessaire de remplacer la victime, en particulier son rôle de vengeur ?

C’est au XIIe siècle que l’intervention de l’État dans le domaine judiciaire s’illustre dans les systèmes anglo-saxons. En Angleterre, la poursuite civile ordinaire et son lot de dommages et intérêts inhérents à la « loi du méfait » laisse peu à peu place à « la loi criminelle », dont l’État veille à la bonne application38. Les Constitutions de Clarendon de 1164 matérialisent le début de la « publicisation » du droit en listant les infractions considérées comme des crimes graves relevant de la juridiction de l’État. Ainsi, les indemnités payées par les contrevenants ne cessent d’alimenter les caisses royales, affermissant par la même le pouvoir étatique au détriment des justiciables et favorisent la scission entre le droit civil et le droit pénal39. Le caractère privé de la justice s’effondre au profit d’un conflit aux traits grandement publics et marque ainsi la fin de « l’âge d’or » de la victime40. Ce mouvement de publicisation s’observe également en France, notamment dès les prémisses relatives à la création du ministère public en 130341. Ce dernier représente la société et concrétise ainsi la mise à l’écart de la victime des procédures. De plus en plus exclue, elle peut tout de même participer au procès, à condition d’être admise à se constituer partie civile42.

35 Ibid à la p 19.

36 Rossi, supra, note 27 à la p 16.

37 Philippe Conte, « Remarques sur la conception contemporaine de l’ordre public pénal », dans Droit et

actualités, Mélanges Jacques Béguin, LexisNexis Litec, 2005 à la p 141.

38 Alan N. Young , Le rôle de la victime au sein du processus judiciaire : une analyse bibliographique 1989 à

1999, Rapport préparé pour le Ministère de la Justice du Canada, Gouvernement du Canada, Canada, (2001),

en ligne <https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr00_vic20/p2.html>

39 Wemmers, supra, note 25. 40 Ibid.

41 Grande ordonnance de réformation du royaume du 18 Mars 1803. 42 Beaussonie, supra, note 34 à la p 5.

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L’intervention de l’État a ainsi graduellement modifié l’orientation du système pénal. L’objectif initial de réparation des torts a laissé place à la répression des comportements, ensuite complétée par un objectif de réhabilitation de contrevenant. Cet attrait étatique à l’égard de la justice pénale soustrait à la victime son propre litige. Cette distanciation s’accentue encore par la suite, tant en France qu’au Canada.

b) L’émergence et le maintien de la mise à l’écart de la victime dans le processus pénal

La Révolution Française constitue le paroxysme de l’éloignement de la victime du processus judiciaire. Le régime grandement marqué par la res publica latine envisage sa disparition totale dans le procès. Si cette période est marquée par l’émergence du mouvement des Lumières, qui dénonce les inepties et l’arbitraire du système de justice d’Ancien Régime, le combat a néanmoins tendance à se focaliser principalement sur l’auteur d’une infraction. Ce cruel manque d’attention à l’égard de la victime s’illustre aussi à travers les textes juridiques de l’époque, comme la célèbre DDHC qui n’y fait aucunement référence. Certaines nuances permettent de relativiser quelque peu ces observations, comme l’intolérance naissante relative au viol à la fin du XVIIIe siècle, concrétisée juridiquement bien des années plus tard43. Les régimes autoritaires qui succèdent à ces événements contribuent encore un peu plus à ce mouvement d’exclusion. Favorables à un État fort concentrant tous les pouvoirs44, ces régimes envisagent le droit pénal comme exclusivement public. Seule la citation directe permet à la victime d’exister dans le processus, une bien maigre consolation comparativement aux prérogatives dont elle disposait initialement.

Le système canadien, largement inspiré de la common law et du droit anglais, construit son propre modèle au XVIIe siècle et opte pour une procédure de « l’altercation » entre accusateur et accusé, laissant ainsi peu de place à la victime45. Depuis, le mode de

fonctionnement du système est resté quasiment le même, laissant à la victime la possibilité de dénoncer l’infraction par le biais de sa plainte sans pour autant contrôler la suite des

43 V. à cet égard : Georges Vigarello, Histoire du viol XVIe -XXe siècles, Paris, Éditions Seuil, 1998.

44 En dépit de la séparation prévue art. 16 DDHC.

45 Alexandre Stylios, L’aveu dans les traditions occidentales accusatoire et inquisitoire, une brève histoire de

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évènements. Le système priorise les relations entre l’État, le juge et le contrevenant et relègue la victime au rang de simple témoin à charge contre un accusé, qui une fois condamné paye sa dette à la société46. Il faut d’ailleurs attendre la fin du XIXe siècle pour que la réparation accordée à la partie lésée soit réintroduite dans le Code criminel47.

Si la victime faisait jusqu’alors l’objet d’un réel manque de considération, outre des débuts reluisants, d’importants facteurs au cours du XXe siècle lui ont permis de retrouver ses lettres de noblesse au sein de systèmes quelque peu transformés.

B - Un changement de paradigme lié à la bonification du statut de la victime

Cette évolution des mentalités favorable à une réévaluation de la place de la victime est le fruit de plusieurs facteurs, tant nationaux (1) qu’internationaux (2).

1) Des évolutions aux influences nationales analogues

Le poids considérable des mouvements en faveur des droits des victimes au milieu du XXe siècle en France et au Canada (a), a engendré d’importants changements législatifs principalement dans le domaine de l’indemnisation (b).

a) L’impulsion des mouvements en faveur des droits des victimes

Le mouvement en faveur de la situation des victimes prend sa source aux États Unis au cours des années 1960 -1970 pour ensuite irradier l’Europe et le Canada48. La remise en question des valeurs sociales de l’époque et des institutions répressives invite à reconnaitre l’importance du rôle des parties dans la résolution du conflit49.

L’influence des mouvements féministes fut également lourde de sens dans la construction du système. Dans ce contexte de discriminations en tout genre, la volonté d’égalité entre les

46 Wemmers, supra, note 25. 47 Ibid.

48 Wemmers, supra, note 25 aux pp 43-54.

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hommes et les femmes favorise une meilleure prise en compte de la victimisation et conduit à des changements législatifs dans le cadre de certaines infractions50, vecteurs d’innovations sociales comme l’obtention du droit de vote ou l’indépendance financière des femmes. Qui plus est, cette même période est aussi propice à la dénonciation des abus et des maltraitances subies par les enfants51. L’importance de ces mouvements n’est plus à prouver, tant ceux-ci incitent aux changements de mentalités et ce d’autant plus aujourd’hui grâce aux nouveaux moyens de communication, comme l’illustre entre autres le mouvement #Me too.

En tout état de cause, la lutte des mouvements en faveur des victimes, comporte d’importantes similitudes dans les deux systèmes, même si l’activisme pro victime est plus important au Canada qu’en France52. Le combat s’intensifie dans les années 1980 et l’humanisation des pratiques délétères du système de justice fondé sur le patriarcat se matérialise peu à peu. En France, le BAV voit le jour au sein du ministère de la justice en 1983 à la suite du rapport Miller. En 1986, la mise en place d’un réseau associatif sous l’égide de l’INAVEM traduit cette volonté de changement, quand bien même l’influence de ce dernier dans le domaine juridique reste à relativiser. Au Canada, un groupe d’étude mandaté par le ministère de la justice dépose en 1983 un rapport53 visant à améliorer la situation des victimes dans le processus judiciaire. Le changement fut assez lent, et ce malgré l’influence notable d’importantes personnalités comme Micheline Baril54. De plus, le découpage provincial du système canadien favorise des disparités d’application.

Enfin, plus généralement l’attrait du XXe siècle pour la criminologie et les autres sciences sociales symbolise la montée des intérêts particuliers de la victime, moteur d’importantes réformes législatives en faveur d’une prise en compte plus générale de son indemnisation.

b) La meilleure prise en compte de l’indemnisation de la victime

50 Notamment dans le cadre des infractions sexuelles et des violences conjugales.

51 Arlène Gaudreault, « Les lois et chartes qui enchâssent les droits des victimes d’actes criminels : réflexions

autour de l’expérience canadienne », (2010), Les Cahiers de PV à la p 1.

52 Wemmers, supra, note 46.

53 Groupe d’étude fédéral-provincial canadien sur la justice pour les victimes d’actes criminels, La justice

pour les victimes d’actes criminels, Rapport, Gouvernement du Canada, Ottawa (1983).

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Au Canada, le Code criminel de 1892 prévoit déjà la mise en place d’un régime de dédommagement des victimes en cas d’infractions poursuivies par mise en accusation55 ou par procédure sommaire56. Puis, la réforme de 192757 accorde la possibilité pour le tribunal d’ordonner une réparation en cas de dommage ou de perte causé par l’infraction. Enfin, la

Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels58 concrétise cet attrait réparateur dans la province québécoise. Elle donne une définition large de la victime59 et lui accorde, entre autres et sous certaines conditions, le droit de recevoir des informations sur le système de justice pénale et l’état d’avancement du dossier, d’être protégée contre l’intimidation et les représailles, de recevoir du soutien, d’être indemnisée et d’obtenir la restitution de ses biens60. Elle permet également de mettre en place un BAVAC, un réseau de CAVAC et comprend certains éléments relatifs à l’utilisation du FAVAC. Ce dernier est d’ailleurs alimenté par la suramende compensatoire61, une disposition récemment désavouée par la jurisprudence de la Cour Suprême62.Enfin, la mise en place récente de la déclaration de la victime63 fournit à cette dernière l’occasion de s’exprimer sur les conséquences du crime, aiguillant ainsi le choix du juge concernant une éventuelle ordonnance de dédommagement.

Cette même volonté est perceptible dans l’Hexagone, particulièrement sous l’influence des organisations européennes64. Une loi de 197765, ensuite complétée par une loi de 198366, donne naissance en France à la CIVI. L’indemnisation au départ plafonnée, subsidiaire et seulement pour les préjudices corporels les plus graves fut améliorée quelques années plus tard avec la mise en place d’un fonds particulier pour les victimes de terrorisme67. Principalement alimenté par des contrats d’assurances – et ce encore aujourd’hui malgré

55 Art. 836 C.Cr.1892. 56 Art. 511 C.Cr. 1892.

57 Loi concernant le droit criminel, SRC 1927, c. 36.

58 Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels, LRQ ch A-132.

59 Elle englobe les victimes directes, leurs proches et les personnes à leur charge. 60 Gaudreault, supra, note 51 à la p 5.

61 Art. 737 (1) C.Cr.

62 V. à cet égard : R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599 qui déclare la suramende compensatoire

obligatoire inconstitutionnelle.

63 Art.722 C.Cr.

64 V. à cet égard la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes du

Conseil de l’Europe, Strasbourg, 24 Novembre 1983.

65 Loi n° 77-5 du 3 janvier 1977 garantissant l'indemnisation de certaines victimes de dommages corporels

résultant d'une infraction.

66 Loi n°83-608 du 8 juillet 1983 Renforçant la protection des victimes d’infractions. 67 Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme.

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quelques tentatives infructueuses pour élargir les sources de son approvisionnement68 – il offre une réparation intégrale et à titre principal. Ce système sera finalement généralisé à toutes les victimes en 199069. Enfin, cet arsenal fut complété par la mise en place récente du SARVI70 qui permet aux victimes de recouvrer des sommes que la CIVI ne peut allouer. Cette effervescence relative à l’indemnisation, ensuite suivie d’un essor des droits fondamentaux, est corrélative à la prise de conscience de la communauté internationale.

2) Des évolutions assujetties à un contexte international attentif aux intérêts des victimes

Cette période propice à l’individualisation et à la lutte contre l’impunité (a) fut juridiquement traduite au sein des législations nationales, tant française que canadienne (b).

a) L’individualisation du droit et la volonté de lutte contre l’impunité

L’indignité de la seconde guerre mondiale a encouragé les États à juger les auteurs de ces atrocités avec la mise en place de célèbres tribunaux. L’idée d’une responsabilité pénale individuelle et d’une justice internationale pour lutter contre l’impunité prennent alors racine dans les consciences. Cependant, l’accent est tout de même mis sur le coupable potentiel, la victime ne constituant qu’une préoccupation secondaire.

Cette volonté punitive se trouve bientôt assortie d’un engouement mondial pour la protection des droits humains. D’abord en Europe, avec la création de la Cour européenne en 1959, garante de la bonne application de la Convention71. Puis, le contient américain lui emboîte le

68 L’article 49 de la Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant

l'efficacité des sanctions pénales avait prévu d’instaurer une majoration de 10 % de certaines amendes dont les

amendes pénales afin de financer l’aide aux victimes. Cette disposition a cependant été déclarée contraire au principe d’individualisation des peines par le Conseil constitutionnel (ci-après le « Cons. const. ») Cons. const., 7 août 2014, n° 2014-696 DC considérants 25 à 28.

69 Loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant le code de procédure pénale et le code des assurances et relative

aux victimes d'infractions.

70 Loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des

peines.

71 Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Schengen, 4

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pas avec l’élaboration la même année de la CIDH complétée par la création de la Cour en 1979, toutes deux responsables de l’application de la Convention américaine72. Enfin, bien plus tardivement, quelques pays africains s’accordent pour donner naissance à la CADHP puis à la Cour73, créée en 1998 mais entrée en vigueur seulement en 2004. Malgré la volonté établie de condamner les auteurs d’infractions, ces juridictions doivent faire à la lente évolution des mentalités propre à chaque culture, à un manque de ressources et à la volonté des États qui obstrue largement la voie des droits humains. L’efficacité au regard de la situation des victimes est donc toute relative, sans compter l’effectivité discutable d’autres organismes, dont il est impossible de traiter par manque de temps74.

Le combat contre l’impunité, sous l’impulsion éminente de l’ONU75, connait un regain d’intérêt significatif dans les années 1990, corrélativement à la création de tribunaux pénaux internationaux76 et de la CPI. Pour la première fois, la victime devient un acteur à part entière et peut participer77, être représentée par un avocat et demander la réparation de son préjudice78. Aussi, le mécanisme de la compétence universelle, mis en œuvre pour pallier la carence des États dans l’application de l’adage aut dedere aut judicare, permet à la Cour de poursuivre un auteur sans aucun lien particulier. Cet impératif de défense de la communauté internationale induit de facto une meilleure prise en compte des intérêts de la victime. Cette compétence utopique sur le papier se révèle tout de même assez sélective en pratique, au service des États puissants et conditionnée à leur volonté de coopération79.

Quoi qu’il en soit, l’importance accordée aux droits humains et la poursuite des auteurs d’infractions internationales engendrent un accroissement de considération pour la situation des victimes. Un mouvement général de fondamentalisation du droit se traduit alors dans les législations nationales, tant française que canadienne.

72 Convention américaine relative aux droits de l'homme, San José, 22 Novembre 1969 73 Garantes de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Nairobi, 27 juin 1981.

74 V. par ex. le Comité Arabe des droits de l'homme et la Commission Intergouvernementale de l’ASEAN sur

les droits de l'homme.

75 V. à cet égard : la Déclaration de 1985, supra, note 8. 76 Notamment la création du TPIY en 1993 et du TPIR en 1994.

77 Art. 15 et 68 (3) du Statut de Rome et art. 83 à 93 du Règlement de procédure et de preuve. 78 Art. 75 du Statut de Rome.

79 Fannie Lafontaine, « Criminels de guerre au Canada ? La valse hésitations historique entre poursuites et

expulsions », (2018), document n°12, Canada et droit international : 150 ans d’histoire et perspectives d’avenir à la p 9.

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b) Les projections nationales résultant de ces évolutions

En 1906, la Cour de cassation admet la constitution de partie civile devant le juge d’instruction80. Dès lors, contrairement au système canadien, la présence de la victime aux côtés du juge pénal et du ministère public est entièrement légitimée. S’inscrivant dans cette évolution législative, la loi de 190181 consacre le droit à l’assistance judiciaire pour les personnes en situation de précarité financière et facilite ainsi l’accès à la justice. La loi du 22

Mars 1921 accorde le droit à l’assistance d’un avocat pour la partie civile et rééquilibre ainsi

la situation des parties82. Il faut attendre le début du XXIe siècle pour que le mouvement de fondamentalisation du droit prenne tout son sens, notamment avec l’édiction de la capitale

loi du 15 Juin 200083 qui instaure le célèbre article préliminaire84. Celui-ci prévoit que

« l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». Pareillement, la loi du 1er Juillet 2008 élargit encore le champ

des droits des victimes en en créant de nouveaux. Plus récemment, la loi du 15 Août 2014 étend et renforce les droits des victimes tout au long de l’exécution des peines85. A noter que cette phase se veut désormais respectueuse de leurs intérêts puisqu’elles peuvent théoriquement saisir l’autorité judiciaire en cas d’atteinte86. Enfin, la loi d’Août 201587 regroupe symboliquement les principaux droits substantiels de la victime.

Outre la transposition de la compétence universelle au sein du Code criminel88, l’intérêt croissant pour la victime dans le système nord-américain a trouvé une large traduction juridique au cours des dernières décennies. L’Enoncé canadien de 198889 s’inscrit dans la mouvance de la Déclaration de 1985 en prônant des valeurs de courtoisie, de compassion,

80 Cass. Crim., 8 décembre 1906, Bull. n° 44. 81 Loi du 10 juillet 1901 sur l’assistance judiciaire.

82 Ces prérogatives sont déjà reconnues au prévenu depuis la Loi du 8 décembre 1897 ayant pour objet de

modifier certaines règles de l’instruction préalable en matière de crimes et de délits.

83 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des

victimes.

84 Art. préliminaire C. proc. pén. fr.

85 Elle affirme notamment le droit d’information de la victime au moment de la libération de l’auteur 86 Art. 707 al 2 C. proc. pén. fr.

87 Loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne 88 Anciens art. 7(3).71 à .77 du C.Cr., abrogés par la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

L.C. 2000, c. 24.

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de respect et de prise en compte des intérêts des victimes à toutes les étapes du processus pénal. Il sera finalement entériné par la Déclaration canadienne de 200390. La loi liberticide de 201291 met également en avant le rôle et les intérêts des victimes dans le processus correctionnel en augmentant la répression à l’égard des contrevenants. Ce contexte sensible aux droits des victimes se révèle propice à l’émergence de la CCDV92. Ce texte fondateur qui

reprend largement les idéaux onusiens s’avère novateur dans la prise en compte de leurs droits comme composante d’une bonne administration de la justice93.

Si la situation de la victime s’est améliorée au fil du temps, son ancrage au sien du processus pénal est encore précaire, freiné par divers facteurs systémiques.

Section II : La place encore relativement fragile de la victime sur la scène juridique

L’intégration nonchalante de la victime au sein du système de justice s’explique en partie par le fonctionnement même de ce dernier (A), sans compter que la réévaluation de sa place oppose bon nombre de juristes, tant en France qu’outre-Atlantique (B).

A- Une intégration mitigée en raison du fonctionnement des systèmes pénaux français et canadien

Des facteurs systémiques propres à chaque système contribuent à l’éloignement procédural de la victime (1) et font inéluctablement varier son intégration au sein de chacun d’eux (2).

1) Des facteurs systémiques favorisant la mise à l’écart procédurale de la victime

Si les systèmes pénaux français et canadien sont tous deux sensibles aux influences rétributivistes et utilitaristes (a), leurs modèles procéduraux n’en demeurent pas moins différents (b), l’un proche du modèle inquisitoire, l’autre du modèle accusatoire.

90 Déclaration canadienne de 2003 des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité. 91 Loi sur la sécurité des rues et des communautés L.C. 2012, c. 1.

92 Charte canadienne des droits des victimes, L.C. 2015, c. 13, art. 2. 93 Préambule CCDV.

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a) L’opposition nuancée des modèles rétributif et utilitariste

Historiquement, deux modèles de justice s’incarnent dans les systèmes pénaux : la justice rétributive et la justice distributive. La première s’apparente à une sanction punitive infligée conséquemment à la violation d’une norme, tout comme la pensée rétributiviste. La seconde consiste plutôt dans la répartition des avantages en conformité avec les normes morales en vigueur à une certaine époque94, faisant plutôt écho au courant utilitariste. Ces modèles à première vue opposés sont en réalité symétriques, l’une étant pour la conformité aux normes ce que l’autre est pour la violation de celles-ci95.

Pour les partisans du rétributivisme, tels que l’École de la Justice absolue d’Emmanuel Kant ou le droit canonique du Moyen- Âge et sa conception très restreinte de la dignité humaine96, l’auteur d’une offense mérite d’être châtié et doit pour cela expier sa faute à travers une punition. Cette conception morale est implicitement sous-jacente dans les systèmes pénaux modernes français et canadien car le simple fait de prévoir des peines relatives à la violation d’une valeur protégée par un comportement « moralement blâmable » est en soi l’expression même du rétributivisme. Le principe fondateur d’opportunité des poursuites s’inscrit également dans cet état d’esprit, faisant nécessairement jouer les considérations morales du procureur qui choisit discrétionnairement de la suite d’une affaire. A contrario, le courant utilitariste97 prône l’utilité sociale des peines et estime que tout ce qui n’est pas nécessaire n’est pas légitime. Ce concept qui cherche à maximiser le bonheur collectif est aujourd’hui juridiquement exprimé, comme l’illustre l’article 8 de la DDHC.

Ces deux philosophies ont finalement tendance à se compléter aujourd’hui dans bon nombre de dispositions, françaises comme canadiennes. Les objectifs de détermination de la peine98 inhérents au principe de proportionnalité dans ces systèmes mettent en lumière « l’amalgame

94 Jean-Paul Brodeur, « Justice distributive et justice rétributive » (2007) 24:1 Philoso 71‑89 à la p 72, DOI :

10.7202/027425ar.

95 Ibid.

96 Pierre Landreville, Les fondements et les enjeux de la détermination de la peine en droit pénal provincial ,

XIe des conférences des juristes de l'Etat, 1992 à la p 214, en ligne

<https://www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca/files/documents/6l/f3/lesfondementsetlesenjeuxdeladetermina tiondelapeine.pdf>

97 V. à cet égard : Cesare Beccaria, Des délits et des peines, Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1877 ;

John Stuart Mill, L’utilitarisme, Paris, Édition Flammarion, 2018.

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judicieux99 » de ces deux notions, dont la fusion théorique simple en apparence se révèle en réalité bien plus complexe.

En somme, le rétributivisme se focalise sur la punition à administrer au contrevenant quand l’utilitarisme se fonde sur la protection sociale au sens large, ce qui écarte toute considération envers la victime principale. Si les systèmes pénaux français et canadien semblent reposer sur ces idéaux semblables, le fonctionnement procédural de chacun est bien distinct.

b) La distinction des procédures accusatoires et inquisitoires

Malgré des influences similaires, les procédures judiciaires sont bien distinctes dans ces deux systèmes. L’un répond plutôt aux critères de la procédure accusatoire tandis que l’autre est relativement soumis aux règles de la procédure inquisitoire. La première met en avant le rôle de parties nullement hiérarchisées lors d’un procès contradictoire, public et oral. L’importance du juge s’avère ici capitale car ce dernier joue le rôle d’arbitre entre les deux thèses qui s’offrent à lui. La seconde privilégie quant à elle la recherche de la vérité par un juge indépendant qui conduit personnellement l’instruction factuelle et juridique du dossier de preuves pertinentes constitué avant procès. La procédure est écrite et secrète sauf pour les parties qui ont accès au dossier, dont la victime.

Même si historiquement, le système accusatoire était majoritairement répandu en Europe, ce dernier s’est progressivement effacé en France au profit d’un modèle relativement inquisitoire au XIIIe siècle sous l’influence des tribunaux ecclésiastiques. Dans les pays anglo-saxons, le modèle accusatoire demeure encore aujourd’hui largement prédominant.

Malgré tout, l’opposition entre ces deux modèles n’est pas absolue et rend la frontière entre les deux systèmes en question relativement poreuse. Il est vrai que ces deux traditions revêtent aujourd’hui des éléments communs qui rendent leurs différences moins marquées et favorisent la naissance de systèmes hybrides100, fruits d’une combinaison de modèles101. En droit canadien, il arrive parfois que l’accusé soit contraint de soumettre des preuves incriminantes contre son gré, comme l’illustrent l’obligation de fournir un échantillon

99 R. v. Willaert (1953), 105 C.C.C. 172, C.A. (Ont.). 100 Stylios, supra, note 45 à la p 26.

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d’haleine en cas de conduite sous substance ou encore la nécessaire communication de la défense d’alibi au ministère public avant le procès102. Quant au droit français, il se trouve quelque peu empreint du mode de fonctionnement des systèmes dits accusatoires en reconnaissant une place à l’équité procédurale et à l’égalité des armes lors du procès103.

Ces similitudes et ces divergences systémiques ne sont pas sans conséquences sur l’intégration de la victime au sein de ces systèmes pénaux.

2) Les conséquences de ces facteurs systémiques sur l’intégration de la victime

Le fonctionnement du modèle accusatoire propre aux systèmes de common law accorde généralement peu de crédit à la situation de la victime sur la scène juridique (a) — sous réserves de quelques évolutions récentes — tandis que le système français, aujourd’hui plutôt mixte, lui octroie une place plus importante (b).

a) L’intégration de la victime dans le processus canadien traditionnellement accusatoire

Dans les pays anglo-saxons, comme le Canada, le modèle accusatoire demeure largement prédominant et l’importance accordée à certains acteurs du système revient nécessairement à négliger la victime. Si elle joue un rôle fondamental dans la dénonciation du crime lors de son dépôt de plainte à la police, seul le poursuivant — c’est-à-dire le procureur de la Couronne —peut choisir de la suite à donner aux évènements en fonction des preuves en présence104 . Son choix se concentre de surcroît sur la prévention des intérêts de la société et non pas sur ceux de la victime principale. Dans de très rares cas, il est possible que les autorités respectent la volonté de la victime de ne pas poursuivre l’auteur des faits105.

Ce mode de fonctionnement impose une collaboration considérable de la victime au système de justice. Ce raisonnement est même poussé à l’extrême car si la victime refuse

102 Stylios, supra, note 45 à la p 27. 103 Ibid

104 Art 579.1 C.Cr.

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