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Des législations en réalité peu innovantes réduisant l’effectivité des droits des victimes

Section I : Des limites textuelles corroborées par une application jurisprudentielle relativement

A- Une effectivité limitée par la rédaction même des textes de lois

2) Des législations en réalité peu innovantes réduisant l’effectivité des droits des victimes

Cette absence d’innovation est perceptible tant dans la loi française (a) qu’au sein de la loi canadienne (b).

a) La consécration de droits déjà existants dans le système français

Le sous-titre « Des droits des victimes » ne constitue en réalité que le réceptacle de ces derniers et se contente de les synthétiser, qui plus est de manière lacunaire. A titre d’illustration, le droit d’information de l’autorité judiciaire n’est autre qu’une reprise d’anciens articles relatifs aux enquêtes préliminaires et de flagrance329. Encore, le mécanisme de la constitution de partie civile ou les règles relatives à l’indemnisation de la victime sont restées les mêmes. Ainsi, elle ne peut toujours pas faire appel de l’action publique ni requérir une peine à l’encontre du mis en cause. Reconnaître une telle prérogative irait peut-être un peu loin, risquant de faire écho à la vengeance privée originelle.

A priori, rien de bien nouveau sous le soleil donc, hormis l’évaluation personnalisée

permettant aux victimes d’identifier les mesures de protection dont elles auraient besoin330. Cette disposition met en lumière la prise en compte de leur vulnérabilité, qui risque d’ailleurs de s’accentuer par la suite, dans le cadre d’infractions particulières relatives aux violences331. A noter également qu’une généralisation de droits, qui n’étaient jusqu’alors admis qu’à la phase juridictionnelle, est aussi prévue et constitue à ce titre une légère originalité332.

Malgré tout, la frêle place occupée par cet article conduit nécessairement à relativiser son apport. Il ne constitue qu’un sous-titre de plus333 dans le sillage de celui sur la justice

329 Relativement aux art. 75 et 53-1 C. pro. pén. fr. 330 Art. 10-5 C. pro. pén. fr.

331 A mettre en perspective avec art. 10-2 6° C. pro. pén. fr. 332 V. art. 10-2 7° à 9° C. pro. pén. fr.

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restaurative instauré par la loi de 2014. De plus, la sanction massive du Conseil constitutionnel à son égard334 accentue encore sa modestie originelle335.

Par conséquent, l’instauration de ce sous-titre unificateur semble donc plutôt répondre à des considérations pédagogiques dans un souci de clarté et d’accessibilité de la loi. Il constitue en ce sens l’aboutissement des réformes antérieures — parfois jugées incohérentes — vouées à la légitimation de la situation de la victime sur la scène pénale336.

Finalement, à la lecture de ce qui précède, la reprise de droits et mécanismes déjà existants limite notablement l’effectivité des droits de la victime dans le système français, exactement comme dans le système canadien.

b) L’édiction de mécanismes déjà existants dans le système canadien

Le droit à l’information de la victime est tout de même assez limité. Il est impossible pour une victime d’être informée de l’existence, de l’avancement ou de l’issue d’un processus de déjudiciarisation ou de plaidoyer337, sous réserve de quelques nuances en matière de violences conjugales338 et d’agressions sexuelles339. La Charte ne prévoit pas non plus de droit d’accès au dossier d’enquête, ce qui marginalise encore un peu plus la victime dans le déroulement du processus. Surtout, elle semble obtenir dans le cadre du procès des renseignements seulement sur demande340, ce qui neutralise la portée de ce droit et

334 Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-719 DC, AJDA 2015. 1566 relativement aux art. 8 et 9 de la loi, le

premier complétant l'art. 706-15 du C. pro. pén. fr. relatif à l'information de la victime dans le cadre d'un recours à la CIVI après condamnation de l'auteur de l'infraction et le second prévoyant la majoration d'amendes et de sanctions pécuniaires afin de financer l'aide aux victimes.

335 Guillaume Beaussonie, Nicolas Catelan et Marc Segonds, « Chronique législative – Droit pénal » (2015),

n°4, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé pp 911 à 959 au para 210.

336 Guillaume Beaussonie, « La légitimité de la victime de l’infraction » dans La victime de l’infraction pénale

(dir.: Cédric Ribeyre), Paris, Dalloz, 2016 à la p 50.

337 Marc Etienne O’Brien, Les droits des victimes d’actes criminels, article diffusé à des fins pédagogiques dans

le cadre du cours DRT-1714, inédit à la p. 6.

338 V. à cet égard : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Violence conjugale, Directive VIO-1, Canada

(2019) en ligne < http://www.dpcp.gouv.qc.ca/ressources/pdf/envoi/VIO-1.pdf>

339V. à cet égard : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Agression sexuelle et autres infractions à

caractère sexuel envers les adultes, Directive AGR-1, Canada, en ligne <http://www.dpcp.gouv.qc.ca/ressources/pdf/envoi/AGR-1.pdf>

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conditionne le résultat, une nouvelle fois341, au pouvoir discrétionnaire du juge et ne le rend que partiellement effectif. Également, le droit à la protection tel qu’il est abordé ne garantit la mise en œuvre d’aucune mesure concrète mais permet simplement à la victime de faire valoir ses intérêts. Au demeurant, si elle dispose d’une information particulière sur la possibilité de déposer plainte en cas de violation d’un droit prévu par ladite Charte342, aucun droit d’action, aucun dédommagement343 ni aucun appel344 n’est possible dans un tel cas, ce qui réduit sensiblement l’intérêt de la précédente disposition. Encore, son droit à la participation n’a que très peu évolué, puisqu’elle ne peut toujours pas contester la décision de ne pas poursuivre le contrevenant et peut seulement « donner son point de vue »345 , ce qui démontre bien que le système de justice jouit d’un fonctionnement propre et autonome indépendant de la victime. De plus, même si elle s’exprime lors du processus de détermination de la peine, elle ne devient pas une partie à part entière pour autant346. Finalement, aucun droit au délai raisonnable ni aucune mesure sur la représentation ne sont évoqués. La victime se trouve donc seule face à une procédure qui peut durer fort longtemps et perdre de son intérêt. Enfin, si son dédommagement est largement évoqué dans la CCDV et dans le Code criminel, ce droit reste amplement soumis au pouvoir discrétionnaire du juge, comme en dispose la jurisprudence Zelensky347. Si le texte invite les tribunaux à se concentrer sur ce dédommagement, il ne les contraint aucunement, ce qui explique certainement la tendance des juges à ignorer ce droit.

Par conséquent, à l’instar de la loi française, la CCDV se révèle plutôt un instrument codificateur et unificateur des différentes pratiques déjà mises en place. Il semble plus approprié d’user du terme « pratiques » plutôt que « droits », car il s’agit plutôt en substance d’une prise en considération globale des recommandations de la victime et non d’une véritable intégration au sein d’un système qu’il conviendrait peut-être de bousculer un tant

341 L’interprétation de la Charte par le juge se fait dans la limite de la bonne administration de la justice, v. art.

20 CCDV.

342 Art. 6 c) CCDV. 343 Art. 28 CCDV. 344 Art. 29 CCDV. 345 Art. 14 CCDV.

346 V. à cet égard : R v. BP, [2015] NSJ No 253 (CP N-E) au para 27. 347 R c Zelensky, supra, note 200.

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soit peu348. Qui plus est, le statut et le rôle de chaque acteur n’est pas clairement définit, au risque de générer confusion et égarement349 chez les victimes.

Si l’effectivité des droits des victimes se trouve affaiblie en raison d’une réelle prudence textuelle, la pratique des tribunaux a également tendance à encourager ce phénomène.

B -Une effectivité bridée par une application jurisprudentielle limitée

Alors qu’une ligne directrice concernant les droits des victimes parait difficilement perceptible en raison de l’ambivalence des juridictions françaises (1), la jurisprudence canadienne plutôt frileuse en ce domaine semble bien établie (2).

1) L’ambivalence des juridictions françaises concernant les droits des