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L’alarmante répression législative sous couvert de l’instrumentalisation de la figure de la

Section II : Un agencement classique expression de la crise des valeurs judiciaires et de

A- La remise en cause du système pénal classique dans son ensemble

2) L’alarmante répression législative sous couvert de l’instrumentalisation de la figure de la

L’accroissement de la répression législative au détriment de la crédibilité du système pénal (a) contribue à préserver le dangereux mouvement dit du « populisme pénal » (b).

a) L’accroissement de la répression législative au détriment de la crédibilité du système

Le gouvernement Harper illustre parfaitement cette tendance répressive au nom de l’hypocrite sécurité de la société. Il interdit d’abord le sursis pour certaines peines d’emprisonnement398. Puis, il durcit le régime des peines en diminuant le « crédit de

détention provisoire399 », qui pouvait être accordé à un contrevenant400. Cependant, la jurisprudence nuance cette mesure en retenant le ratio d’un jour et demi pour un comme étant la norme401. La même année, il défend aux personnes condamnées à perpétuité de présenter une demande de libération conditionnelle après avoir purgé quinze ans de leur peine402, alors même qu’aucun nouveau meurtre n’avait été commis à cette époque par une personne en

396 Art 718.2 d) C.Cr.

397 Art. 718.2e) C.Cr ; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para 66 insiste sur la prise en compte des facteurs

« systémiques » et « historiques ».

398 PL C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis), 1e sess., 39e lég., (sanctionné le 31

mai 2007), LO 2007, c 12 : pour les personnes encourant une peine de dix ans d’emprisonnement ou plus

399 Richard Dubé et Margarida Garcia, « L’opinion publique au fondement du droit de punir : fragments d’une

nouvelle théorie de la peine ? », (2018), 42 : 2, Déviance et Société, 243-275.

400 PL C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant

prononcé de la peine), 2e sess., 40e lég., sanctionné le 22 octobre 2009, LO 2009, c 29. 401 R. c. Summers, 2014 CSC 26, [2014] 1 R.C.S. 575.

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liberté conditionnelle403. Enfin, le projet C-54 apporte la touche finale en allongeant la durée de plusieurs peines et en augmentant encore les peines minimales obligatoires404.

Le même vent de répression s’observe en France. La Loi « asile-immigration »405 qui durcit

les conditions d’entrée et de séjour des étrangers et criminalise l’aide qui peut leur être apportée406 ; la Loi dite des « fake-news 407» et plus récemment la Loi Avia408 qui représentent d’importants obstacles à la liberté d’expression ou encore Loi visant à renforcer et garantir

le maintien de l'ordre public lors des manifestations409, illustrent cette législation liberticide.

En outre, la multiplication des incriminations affirme à merveille cette volonté répressive au détriment de la cohérence législative. Par exemple, l’article prévoyant le blanchiment par le biais d’un concours à une opération de dissimulation410 n’est autre qu’une infraction de recel411, tout comme le délit de non-justification de ressources412.

Finalement, cette législation excessive basée particulièrement sur l’opinion publique du moment — incluant ainsi les victimes — invoque la protection de cette dernière pour se justifier. Or cela revient en vérité à confondre légitimation décisionnelle issue de l’intérêt public et légitimation inspirée de l’opinion publique413, ce qui risque de compromettre l’intégrité du système qui se base davantage sur ce qui est cru que sur ce qui est su414 et contribue pleinement à la « démocratie d’opinion 415». Par conséquent, comment les victimes peuvent avoir aujourd’hui confiance dans un système qui utilise leurs discours ou ceux de

403 Marlene Jennings, Témoignage dans le cadre du projet de loi C-36, (2 Novembre 2009), n°45, 2e sess., 40e

lég., Comité permanent de la justice et des droits de la personne, enregistrement n°1645.

404PL C-54, Loi modifiant le Code criminel (infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants), 3e sess., 40e lég.,

deuxième lecture au Sénat le 24 mars 2011.

405 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une

intégration réussie.

406 A noter que le Conseil constitutionnel a réduit la portée de l’art. L622-4 du CESEDA au nom du principe de

fraternité, V. à cet égard : Cons. const., 6 juillet 2018, n° 2018-717/718 aux considérants 7 à 10.

407 Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information.

408 Loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. A noter qu’une

grande partie des dispositions ont été censurées par le Conseil, v. Cons. const., 18 juin 2020, n° 2020-801 DC

409 Loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des

manifestations.

410 Art. 324-1 al. 2 C. pén. fr.

411 Art. 312-1 C. pén. fr. sous réserve de ne pas avoir à prouver l’infraction d’origine. 412 Art. 321-6 al. 1 C. pén. fr.

413 Dubé et Garcia, supra, note 399 au para. 48. 414 Ibid au para. 39.

415 Antoine Garapon, « Une société de victimes », dans Les révolutions invisibles, (dir. : Daniel Cohen), Paris,

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leurs proches416 pour contenter ses propres fins au détriment de leurs véritables besoins ? Ce fonctionnement contribue dangereusement à la prospérité du populisme pénal.

b) Le danger de la prospérité du populisme pénal

Ce faux semblant de protection prétendument humaniste s’avère en réalité extrêmement attentatoire aux libertés individuelles. D’une part, le mis en cause se retrouve « la victime » d’un système qui semble indifférent à sa condition humaine au nom de considérations sécuritaires, tels les utilitaristes qui louaient largement les peines perpétuelles. La peur et l’exigence de sécurité totale constituent les passions les plus terribles de la politique417 car la volonté de conservation appartient à la pure violence et auto-alimente la victimisation. Ainsi, le prétexte de réunion de l’humanité autour d’un ennemi commun caractérisé par l’infamie de son crime, comme par exemple le pédophile418, est d’autant plus satisfait par l’édiction démesurée de ces lois répressives. D’autre part, ces mesures favorisent l’incarcération des individus et restreignent les influences positives de tout processus de réhabilitation. Ceci compromet la protection de la société, paradoxalement à ce qui était initialement prévu419. Le problème réside donc dans l’approximation des représentations, souvent erronées du souci de réparation des victimes. Celles-ci sont catégorisées comme telles dans un tourbillon médiatique affolant qui se moque de la propre perception qu’elles ont d’elles-mêmes420. Les histoires hier oubliées sont aujourd’hui mises sous le feu des projecteurs et instrumentalisées par des « entrepreneurs de mémoire » qui profitent du caractère peu structuré des groupes de victimes pour assouvir des ambitions politiques personnelles421. Le problème n’est donc pas la place de la victime en tant que telle mais bien l’exploitation qui en est faite pour

« radicaliser le droit de punir 422» Pourtant, cette « culture de la plainte423 » ne permet pas

416 Catherine Rossi « Les proches des victimes d'homicide face à la justice : le grand malentendu », (2014), 3 :3,

Les cahiers de la justice, 441-460 au para. 6.

417 Cugno, supra, note 390 au para. 25 en citant Spinoza. 418 Ibid.

419 Ibid au para. 50.

420Guillaume Erner, « Compassion et société des victimes », (2007), 6:249, Le Journal des psychologues aux

pp 45‑46 au para. 5.

421 Ibid.

422 Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette, 2005 à la p 14.

423 Guillaume Erner, La société des victimes, Paris, La Découverte, 2006, 223 p., compte rendu de Christophe

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aux victimes de se reconstruire. De plus, ce n’est pas la gravité de la peine qu’elles ont tendance à dénoncer — même s’il est vrai que les victimes forment un groupe hétérogène dont certains membres réclament effectivement un durcissement des peines — mais bien l’éloignement de la procédure pénale vis-à-vis de leurs de leurs attentes, puisqu’elle ne répare pas suffisamment le mal subi424. Il convient enfin de mentionner le danger d’autopoïèse ou d’autotrophie de la norme425 car cette sur-incrimination multiplie les conflits de qualifications et met en péril la cohérence juridique426.

Finalement, miser sur des relations sociales fortes capables de supporter certains heurts parait préférable à la précaution excessive et à la tolérance zéro prônées par les conservateurs car le plaisir de vivre est supérieur à la peur qui accompagne l'espoir de vivre un jour en toute sécurité427. Il semble difficile pour les systèmes pénaux français et canadien de se relever

d’une telle crise de légitimité, d’autant plus que leur agencement ne permet pas de prendre suffisamment en considération les besoins des victimes.