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Les limites pratiques de ce nouveau modèle de justice

Section II : Une nouvelle forme de justice en proie à diverses limites

B- Les obstacles attachés au développement de ce nouveau modèle de justice dans les systèmes

1) Les limites pratiques de ce nouveau modèle de justice

La réussite de la justice restaurative est en vérité conditionnée à l’existence de nombreux facteurs (a) tenant principalement à l’attitude et aux relations entre les parties ainsi qu’au type de comportement reproché. Aussi, l’éclatement de ce nouveau modèle et l’insuffisance des ressources dont il dispose menacent encore son efficacité et son potentiel (b).

556 Selon Jérémie Bentham, « Punir, c’est infliger un mal à un individu, avec une intention directe par rapport

à ce mal, à raison de quelque acte qui paraît avoir été fait ou omis. » v. Théorie des peines et des récompenses,

tome II, Londres, Dulau, 1811 à la p 2.

557 V. par ex, Philippe Mary, Insécurité et pénalisation du social, Bruxelles, Labor et Fides, 2003. 558 Chassaing, supra, note 555.

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a) Une réussite conditionnée à l’existence de nombreuses variables

Si certaines victimes ont besoin de voir l’auteur de leur préjudice reconnaitre ses torts lors d’un face à face, d’autres ne se sentent pas prêtes, ne ressentent pas le besoin voire même angoissent à l’idée de la mise en œuvre d’un tel processus560. C’est pourquoi un nombre significatif de victimes refusent d’y prendre part561 en raison du temps écoulé depuis l’infraction, de la peur de représailles ou bien de la nature de ses liens avec l’auteur562. Le bénéfice de ce processus varie donc en fonction de la personnalité de la partie lésée et de l’expérience liée à sa victimisation563. De plus, il existe assez peu de documentation sur le dédommagement, de sorte qu’il est difficile de savoir si les victimes se trouvent satisfaites de simples excuses du contrevenant ou si une action concrète à son égard est nécessaire564. Le type d’infraction et ses conséquences sont également déterminants. Si ce modèle est essentiellement utilisé lorsque celle-ci est de moindre gravité et souvent contre les biens, certaines études mettent en avant l’intérêt d’un tel processus dans le cas de crimes violents565 comme les agressions sexuelles ou les tentatives de meurtre. Or, beaucoup de victimes ne souhaitent pas s’engager dans cette démarche émotionnellement trop lourde566. Cela est d’autant plus indéniable lorsqu’une violence répétitive engendre une rupture de liens comme dans le cas des conflits familiaux ou conjugaux. Les victimes préfèrent alors s’éloigner de leur agresseur sans régler ni pacifier la situation. Lorsque les rapports de force se trouvent inégaux en raison du sexe, de l’âge, du statut social, de l’environnement culturel voire même de l’ethnie, le processus restauratif a tendance à engendrer des résultats peu équitables567.

560 V. à cet égard : Jo-Anne M. Wemmers et Marisa Canuto Expériences, attentes et perceptions des victimes à

l’égard de la justice réparatrice : analyse documentaire critique, Centre de la politique concernant les victimes,

Division de la recherche et de la statistique, Canada, (2002), 1-45 à la p 37 en ligne < https://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr01_9/rr01_9.pdf>

561Ibid à la p 3.

562 Gaudreault, supra, note 474 à la p 6. 563 Ibid à la p 7.

564 Ibid à la p 6.

565 V. à cet égard James Dignan et Michael Cavadino, (1996). « Towards Framework for Conceptualizing and

Evaluating Models of Criminal Justice from a Victim's Perspective », (1996) 4 :3, International Review of Victimology, aux pp 153-182.

566 V. à cet égard : Gaudreault, supra, note 474 à la p 8. 567 Kim, supra, note 450 à la p 153 au para. 112.

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L’attitude du délinquant est également un élément crucial. L’investissement affectif issu de la reconnaissance de ses torts face à la victime n’est pas toujours aisé à supporter568. Il doit également convaincre de son désir d’amendement, c’est-à-dire qu’il doit exprimer un remord et une volonté de changement sincères. Il est néanmoins possible que certains feignent ce sentiment sans aucune intention réelle simplement pour éviter une sanction punitive, ce qui reste toutefois difficile à prouver.

Enfin, la volonté de rééquilibrage des acteurs peut aussi être discutée au regard de la participation de ces derniers. Trop de victimes servent de prétexte à l’intervention éducative du délinquant, ne se trouvent pas suffisamment impliquées et n’ont pas toujours le temps de se familiariser avec ce processus569. Il arrive même que ces dernières subissent des pressions pour participer à certains procédés alors que cela est totalement contreproductif570. Aussi, l’action réparatrice est la plupart du temps déclenchée autour de l’auteur du délit571.

Au-delà des nombreuses variables qui limitent son efficacité, ce modèle de justice se trouve éclaté et dispose de ressources insuffisantes.

b) Un modèle éclaté aux ressources insuffisantes

Outre l’absence de clarté et d’uniformité conceptuelle sus évoquée, le manque d’information des acteurs et de communication à l’égard des usagers limitent considérablement leurs connaissances sur le dispositif restauratif et ses pratiques572.

Aussi, la durée du procédé et l’intersubjectivité que celui-ci suscite complexifient l’obtention d’un accord entre les parties573. Encore, le financement de ces mesures nécessite d’importants moyens matériels mais surtout humains difficiles à mettre en œuvre. La formation des acteurs est d’ailleurs une problématique récurrente compte tenu du caractère personnalisé et

568 V. à cet égard : Gaudreault, supra, note 474 à la p 7. 569 Ibid.

570 Ibid à la p 5. 571 Ibid.

572Sid Abdellaoui, Nicolas Amadio et Patrick Colin, Freins et leviers de la justice restaurative en France, Note

de synthèse, France, aux pp 8-9, (2016) en ligne <http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/view/freins- et-leviers-de-la-justice-restaurative-en-france-2/>

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individualisé de ce processus qui empêche une application systématisée574. Le manque de préparation des intervenants, parfois bénévoles et peu expérimentés, les rend inaptes à répondre correctement aux besoins des parties car ces derniers n’ont pas pu évaluer décemment les motivations de chacun. Lorsque des professionnels de la justice sont en cause, un brouillage des compétences575 voire même un conflit d’intérêt risquent de se produire. Il est donc essentiel de promouvoir une coopération bienveillante, ce qui n’est pas toujours le cas576, entre le monde judiciaire classique et la sphère restaurative pour éviter l’instrumentalisation de la figure de la victime et du système conventionnel par d’éventuels détracteurs.

Enfin, la diversité des expérimentations restauratives, encore plus marquée outre-Atlantique en vertu du découpage fédéral et provincial du pays, réduit ce modèle à un simple « concept

fourretout 577» donnant lieu à une multitude de pratiques qui en réduisent la teneur et les

potentialités578.

En comparant le processus restauratif des deux régimes en question, il semblerait que le modèle canadien, néanmoins encore amendable, puisse largement inspirer l’archétype français.

2) Un modèle canadien encore amendable toutefois inspirant pour le