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L’apothéose récente d’une logique restaurative aux ambitions pérennes

Section I : La complexe intégration d’un nouveau modèle de justice en présupposée rupture avec

B- La traduction juridique de ce nouveau modèle de justice

2) L’apothéose récente d’une logique restaurative aux ambitions pérennes

Si la codification officielle de cette nouvelle forme de justice fut bien plus tardive en France qu’au Canada (a), l’éloignement de la logique punitive apparait désormais comme un idéal que les deux pays peinent parfois à suivre.

a) Une officialisation canadienne inspirante pour le droit français

La fondamentale réforme canadienne de 1996 qui concrétise le projet de loi C-41 codifie de nouveaux principes et objectifs pénologiques. La rétribution conventionnelle côtoie désormais les idéaux restauratifs. La dénonciation, la dissuasion et l’isolement sont maintenant envisagés au même titre que la réinsertion sociale, la responsabilisation de l’auteur ou encore la réparation des torts causés aux victimes504. Néanmoins, l’absence de hiérarchie entre tous ces objectifs réduit considérablement la portée de ces dernières dispositions une nouvelle fois subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge. Cette réforme substantielle a également donné naissance aux mesures de rechange505, accordées sous certaines conditions à certains délinquants. Elles peuvent prendre diverses formes comme par exemple l’exécution de travaux communautaires, la médiation, la restitution, le renvoi à des programmes spécialisés voire même une lettre d’excuse506. La réforme impose enfin aux juges d’envisager la possibilité d’infliger des sanctions moins contraignantes que la prison507, apportant ainsi une touche de modération et d’humanité aux procédures.

En France, ce n’est qu’en 2014 avec la loi dite « Taubira » que les pratiques de la justice restaurative seront textuellement officialisées, l’efficience européenne ayant certainement influencé ce choix508. D’abord, cette loi introduit au sein du C. pro. pén. fr. la définition de la justice restaurative et ses modalités d’exécution509. Cette disposition embrasse largement

504 Art. 718 C.Cr. 505 Art. 717(1) et s. C.Cr.

506 Directeur des poursuites pénales du Canada, supra, note 202, v. partie sur le dédommagement. 507 Art. 728.2 d) C.Cr.

508 V. par ex. Directive 2012/29/UE, supra, note 179. 509 Art. 10-1 C. pro. pén. fr.

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l’archétype restauratif en prévoyant en substance la participation active des parties, sous réserve de leur consentement préalable et de la reconnaissance des faits par l’auteur, à tous les stades de la procédure pour réparer les préjudices découlant de l’infraction510.

Aussi, elle instaure un nouvel article énonçant la double fonction de la peine — ambitieuse et quasi utopique — basée sur divers objectifs pénologiques comme la traditionnelle sanction de l’auteur, mais aussi la réhabilitation de ce dernier, la protection de la société, la prévention des infractions, la restauration de l’équilibre social ou encore le respect des intérêts de la victime511. Cet agencement similaire à celui du Canada engendre la même problématique concernant l’incertaine primauté des objectifs. Enfin, malgré ses ambitions humanistes, sa relative imprécision et son caractère complémentaire512 limitent notablement sa portée pratique.

En tout état de cause, l’intérêt particulier suscité par cette forme de justice éloignée de la logique classiquement punitive semble se confirmer encore un peu plus après la codification textuelle de chacun des systèmes.

b) L’éloignement relativement confirmé de la justice punitive

Au Canada, la jurisprudence de la Cour suprême a plusieurs fois dénoncé la logique classiquement punitive, s’inscrivant ainsi dans une dynamique plus corrective. Dans l’affaire

Gladue, elle dénonce ouvertement le recours à l’emprisonnement et souligne l’importance

du principe de modération et du recours aux mesures de rechange, notamment lorsque le mis en cause appartient à la communauté autochtone513, même si ces dispositions s’imposent à tous les contrevenants514. Cette décision constitue un véritable changement de paradigme car la Cour reconnait la nécessité du caractère réparateur d’une sanction515, position en totale adéquation avec la réforme de 1996. Elle nuancera tout de même son propos quelques années

510 Ibid.

511 V. à cet égard art.130-1 C. pén. fr.

512 V. à cet égard : Circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative applicable

immédiatement suite aux articles 10-1, 10-2 et 707 du code de procédure pénale, issus des articles 18 et 24 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014.

513 R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 66 fait référence aux « facteurs systémiques et historiques ». 514 Art. 718 .2 e) C.Cr.

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plus tard dans l’affaire Proulx, en considérant que dans le cadre de certaines infractions graves, ce type de mesures — en l’espèce le sursis — ne semble pas adapté pour répondre pleinement aux objectifs restauratifs issus de la réforme516. Cette décision semble assez contestable, d’une part car le délinquant autochtone ne bénéficie pas de la prise en compte des facteurs systémiques et historiques pourtant inhérents à sa condition et d’autre part, il n’est pas certain que l’emprisonnement assure réellement une meilleure réparation pour la victime. Ces décisions compatissantes ouvrent ainsi le débat sur l’équivoque tempérament curatif du processus pénal illustré par la très controversée « therapeutic jurisprudence » naissante des pays anglo-saxons. Considérée par certains comme une source de confusion entre le pénal et le civil, elle semble une porte de sortie enrichissante face à la crise du système pour d’autres517. Enfin, le Discours du Trône de 1999 a explicitement reconnu l’importance de la justice réparatrice au sein de la société canadienne, appuyé la même année par le document discussion de la CRDC518.

En France, une circulaire de 2017 précise les conditions d’application de la Loi de 2014 et mentionne également quelques exemples de pratiques, comme les rencontres condamnés ou détenus – victimes, les cercles de soutien et de responsabilité ou encore la conférence familiale519. Plus récemment, la Loi de Mars 2019520 contribue indirectement à pérenniser le mouvement restauratif en éconduisant un tant soit peu la logique punitive. Elle prévoit par exemple la suppression des peines inférieures à un mois et encourage l’aménagement par le JAP des courtes peines. Ces choix semblent pertinents puisque pour des individus peu marqués par la délinquance, comme c’est généralement le cas lorsque de faibles peines sont prononcées, la prison n’apparait pas l’outil le plus judicieux pour lutter contre la récidive, ni d’ailleurs pour assurer efficacement la réparation de la victime521.

516 R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 18. 517 Barbot et Dodier, supra, note 116 à la p 420.

518 Commission du droit du Canada, De la Justice Réparatrice À la Justice Transformatrice, Document de

discussion, Ottawa (1999).

519 Circulaire du 15 mars 2017, supra, note 512.

520 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

521 Selon l’association France-victime, la justice restaurative assurerait environ 30% de récidive de moins par

rapport à l’emprisonnement classique et avoisinerait un taux de satisfaction de 93% ; v. Thomas Coustet « Justice restaurative : un dispositif encore trop peu utilisé » (2019) Dalloz Actualité, en ligne < https://www.dalloz-actualite.fr/flash/justice-restaurative-un-dispositif-encore-trop-peu-

utilise#.X0F8eMhKhPY>. Même s’il convient évidemment de relativiser ces données statistiques, elles démontrent que la justice restaurative semble plus efficace que la justice traditionnelle.

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Finalement, malgré l’absence de consensus sur la notion initiale, la justice réparatrice semble en pratique s’imposer comme une solution humainement intéressante et théoriquement plus efficace que le régime classiquement rétributif. Cependant, comme ce dernier, elle doit aussi faire face à certaines limites qui réduisent sa puissance pratique.