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Un agencement inadapté à la prise en compte des besoins des victimes

Section II : Un agencement classique expression de la crise des valeurs judiciaires et de

B- Un agencement inadapté à la prise en compte des besoins des victimes

Outre le fait que le processus pénal contribue à l’exclusion de la victime (1), la réponse que ce dernier lui offre semble inadéquate au regard de sa situation (2).

1) Un processus pénal propice à l’exclusion de la victime

Si la victime se trouve effacée dans le processus pénal, c’est essentiellement parce que celui- ci met en avant ses propres intérêts au détriment de ceux de la partie lésée (a) et crée ainsi une situation incommodante à son égard (b).

a) La prévalence avérée des considérations systémiques sur les intérêts victimologiques

424 Christophe Béal, « Justice restaurative et justice pénale » (2018) 93:1, Revue Rue Descartes, pp 58‑71 à la

p 62.

425 Claude Lombois, Droit pénal général, Paris, Hachette, 1994 à la p 12.

426 Christine Lazerges, « De la fonction déclarative de la loi pénale », (2004), n°1, RSC à la p 194. 427 Cugno, supra, note 390 au para. 37.

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Le système pénal a historiquement été construit pour assurer le châtiment d’un individu qui par son comportement a porté atteinte aux valeurs protégées de la communauté. Malgré une reconnaissance progressive des droits de la victime et une place plus conséquente sur la scène judicaire, le système considère encore la réparation de son préjudice comme accessoire428. Ainsi, les audiences ne sont aucunement des lieux de débat où la victime peut exprimer individuellement sa parole et la subjectivité de ses souffrances429, mais représentent le théâtre de la manifestation de la vérité. L’issue du procès ne dépend quasi entièrement que de l’action des professionnels de justice. C’est pourquoi la victime a souvent le sentiment d’être dépossédée430 de son conflit et de subir des décisions allant à l’encontre de sa volonté et de ses intérêts. Ces dernières sont généralement orientées vers des objectifs — répressifs et pas toujours efficaces — de dénonciation, de prévention voire même de neutralisation. Encore, le caractère ésotérique du système pénal contribue à l’exclusion des profanes, comme la victime, en raison de son abstraction qui ne correspond en aucun cas à leur réalité431. De plus, dans bien des cas, comme celui des violences familiales, le conflit subsiste après la tenue du procès. Il semble même que la solution judiciaire soit encore moins adaptée à la situation des parties dès lors que le conflit est grave432. Le procès consiste finalement à rappeler l’interdit

social et à réaffirmer la règle de droit établie en misant sur un rapport de force433, ce qui conduit à s’interroger sur l’essence même du procès pour la victime.

Ce mode de fonctionnement qui peut paraitre archaïque semble peu adapté aux évolutions sociales et au besoin principal de réparation de la victime. Si la conciliation des objectifs de chacune des parties est textuellement prévue, ces derniers n’en demeurent pas moins largement incompatibles en pratique. Le système utilise la victime afin de parvenir à ses fins mais ne lui donne en aucun cas priorité dans des procédures qui n’ont pas été conçues pour elle. Par conséquent, l’État détient encore et toujours le monopole des incriminations, du

428 Jacques Faget, « Médiation et violences conjugales », (2004) Vol I, Varia, Champ pénal /pénal field au para.

8, en ligne < https://journals.openedition.org/champpenal/50>

429 Ibid.

430 Christie, supra, note 49.

431 Faget, supra, note 428 au para. 10.

432 V. à cet égard : Pierre Noreau, « La superposition des conflits : limites de l’institution judiciaire comme

espace de résolution », (1998), n°40, Droit et société, 585-612.

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bien-fondé des sanctions et de la violence légitime434 pour assurer la sécurité et la sûreté au détriment de l’humanisation des procédures et de l’aisance des victimes.

b) Un mode de fonctionnement incommodant pour les victimes

Lorsque la victime accède à la justice, elle porte déjà les conséquences physiques, sociales, psychiques ou encore financières qui découlent de l’infraction435. Mais elle doit encore trouver la force de témoigner. Pourtant, les victimes — particulièrement les mineurs dans le cadre d’agressions sexuelles — ont tendance à développer des symptômes d’anxiété, de stress post-traumatique et perdent la confiance et l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes436. La plupart d’entre elles craignent donc ce moment éprouvant et les sentiments de perte de contrôle et d’humiliation inhérents à l’exposition publique de leurs problèmes437. Ces éléments expliquent peut-être leur tendance à peu s’exprimer, à répondre laconiquement aux questions qui leur sont posées438 et à minimiser leurs traumatismes439. Aussi, les victimes semblent se distancier des procédures judiciaires et estiment qu’elles doivent prendre elles-mêmes en charge leur rétablissement en raison de l’ignorance des autorités à leur égard440. Elles sont généralement envahies d’un élan d’impuissance face au manque d’information et à l’exclusion qu’elles subissent alors même qu’elles ont, paradoxalement, intenté une action pour réduire ce sentiment441. Enfin, il n’est pas toujours aisé pour les intervenants des services de soutien d’adapter leurs méthodes face aux nouvelles formes de délinquance442.

434 Max Weber, Le savant et le politique, Coll. Le Monde, Paris, Union Générale d’Éditions, 1963 à la p 22. 435 Wemmers, supra, note 25 aux pp 91-93.

436 Isabelle V. Daignault, Martine Hébert et Marilou Pelletier, « L’agression sexuelle commise sur des mineurs

: les victimes, les auteurs », (2017), 50 :1, 5-337 aux pp 59-60.

437 Sonia Gauthier et Patrick Campeau, Les motifs de l'abandon des poursuites judiciaires criminelles dans les

causes de violence conjugale, Fiche de synthèse, Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale

et la violence faite aux femmes, Canada, (2009) à la p 1, en ligne < https://www.criviff.qc.ca/sites/criviff.qc.ca/files/publications/pub_158.pdf>

438 Suzanne Laflamme-Cusson « La déclaration de la victime au tribunal : évaluation de l’expérience du Palais

de Justice de Montréal » (1990) 23 :2, Criminologie, 73-88 à la p 76.

439 Ibid.

440 Katie Cyr et Jo-Anne M. Wemmers, « Empowerment des victimes d’actes criminels », (2011) 44 :2,

Criminologie, 162-150 à la p 137.

441 Ibid. à la p 145.

442 V. à cet égard : Jennifer Martin, Andrea Slane, Shannon Brown et Emory Martin, Analyse des lacunes au

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Certaines propositions associatives abondent ainsi dans le sens d’une meilleure prise en considération de la victime. C’est notamment le cas de France-Victimes, qui a avancé récemment dix-sept propositions tendant à véritablement prendre en compte les victimes d’une infraction à tous les stades de la procédure443. Structurées autour de la diminution de l'acceptation sociale d'un certain nombre de victimations du quotidien, de l’amélioration de la prise en charge de toutes les victimes et du renforcement de l’effectivité du droit de celles- ci, ces recommandations s’inscrivent en ligne directe avec la problématique de ce mémoire. Elles ne sont cependant aucunement contraignantes et risquent ainsi de ne pas être suivies d’effets. De plus, leur fragilité financière réduit leurs possibilités d’actions. Finalement, outre un changement systémique, c’est un changement des mentalités qui doit au préalable s’opérer, comme y invite la première proposition « Intégrer la notion d’empathie, de respect

et de solidarité dès le plus jeune âge ».

Par conséquent, le fonctionnement classique du système pénal ne semble pas s’intéresser suffisamment à la victime mais contribue au contraire à sa sur-victimisation, sans pour autant lui apporter les réponses qu’elle attend.

2) Une réponse pénale classique inappropriée à la situation des victimes

La réponse offerte à la victime se trouve inadaptée, d’une part en raison de ses limites structurelles (a) relatives au fonctionnement du système, et d’autre part en raison de ses limites conceptuelles (b) inhérentes aux diverses attentes des parties.

a) Les limites structurelles de la réponse pénale classique

La France et le Canada, comme de nombreux pays occidentaux, sont aujourd’hui confrontés au problème considérable de la surcharge des juridictions. L’absence de moyens humains et matériels contribuent à l’engorgement des tribunaux et a fortiori à l’allongement des

les enfants en ligne au Canada, Rapport préparé pour le Ministère de la Justice du Canada, Canada, (2019), en

ligne <https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/ad-ga/ad-ga.pdf>

443 Association France-Victimes, 17 propositions pour véritablement prendre en compte toutes les victimes

d’une infraction (2017), Propositions associatives, France, en ligne <file:///C:/Users/leila/Downloads/17Mesures-pour-les-victimes%20(2).pdf>

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procédures déjà initialement lentes. Il est donc fort probable que, pour réduire la surcharge de travail des juges, le Procureur — notamment en France — décide, en vertu du principe d’opportunité des poursuites, d’un classement sans suite444. Au Canada, le mécanisme de la négociation du plaidoyer de culpabilité, appelé aussi plea bargaining, permet également d’accélérer le processus, le « marchandage de la peine » aboutissant le plus souvent à une solution amiable entre les parties que le juge se contente d’enregistrer445. Si cela réduit la durée de la procédure, cette solution ne correspond pas forcément à la réalité car le contrevenant, après un rapide calcul coût-avantage, peut parfois choisir de plaider coupable alors même qu’il est innocent ou inversement.

Outre la pénurie de personnel, l’augmentation de la demande ne cesse de croitre, alors que le budget alloué stagne. Le coût de la justice peut donc se révéler un frein à l’obtention d’une réponse pénale, surtout lorsque la procédure nécessite l’intervention d’un personnel qualifié, comme des psychiatres ou des psychologues. Ce constat est encore plus flagrant au Canada, puisque les procédures sont plus dispendieuses et les conditions d’aides fort limitatives. Enfin, l’organisation territoriale de la justice met en porte-à-faux les personnes les plus éloignées, puisqu’il est difficile pour ces dernières d’accéder aux tribunaux et par conséquent d’obtenir une réponse à leur situation litigieuse446. Le découpage administratif canadien n’arrange d’ailleurs en rien cette problématique.

Au-delà des limites structurelles de la réponse pénale, celle-ci se trouve aussi confrontée à des limites conceptuelles.

b) Les limites conceptuelles de la réponse pénale classique

Comme expliqué précédemment, l’autorité naturelle de la justice sur les parties en cause l’incite à faire prévaloir ses propres intérêts. A l’issue du procès, il arrive donc que la réponse offerte corresponde plus largement aux besoins de la collectivité dans son ensemble et à l’avis de l’opinion publique, notamment lorsqu’il s’agit d’infractions particulièrement ignobles.

444 Faget, supra, note 428 au para. 5.

445 Mireille Delmas-Marty, Le flou du droit : du code pénal aux droits de l’homme, Paris, Presses Universitaires

de France, 2004 à la p 130.

446 Ministère de la Justice du Canada, Rapport, supra, note 385. Cette situation d’autant plus complexe pour les

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C’est ainsi que la jurisprudence française a hardiment redessiné les contours de la prescription pour pouvoir poursuivre une mère auteure d’un octuple infanticide447.

Aussi, la réparation pécuniaire quasi systématiquement offerte à la victime est certes nécessaire mais souvent « insuffisante au regard des traumatismes psychologiques et sociaux

durables que l’infraction a généré448 » Certaines douleurs, en plus d’être difficilement

quantifiables pécuniairement parlant, ne peuvent être apaisées par l’octroi d’une somme d’argent. Il s’agit plutôt pour certaines victimes de considérations d’ordre plus spirituel — tels que la dévalorisation du statut social, des relations familiales ou de travail ou encore la fragilisation de l’équilibre émotionnel449— difficilement perceptibles par le système pénal classique qui, déjà pressé par le temps et aux effectifs réduits, ne peut se permettre d’individualiser en profondeur son processus souvent automatique et dépersonnifié.

Outre l’effectivité plutôt relative des droits de la victime, sa reconstruction ne semble pas à l’ordre du jour de l’agenda judiciaire classique. Toutes ces limites, qui démontrent l’incapacité du système à répondre aux demandes des victimes, ont favorisé l’émergence d’un nouveau modèle de justice beaucoup plus axé sur les besoins et l’intercompréhension.

Chapitre II : La recrudescence des droits de la victime à l’aune du mécanisme de la