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Des limites nuancées à l’intégration de la victime

Section II : La place encore relativement fragile de la victime sur la scène juridique

A- Une intégration mitigée en raison du fonctionnement des systèmes pénaux français et

2) Des limites nuancées à l’intégration de la victime

Il est tout de même difficile de vouloir reconnaître aux victimes les mêmes droits qu’aux autres acteurs tant le fondement même de ceux-ci semblent différents, tout comme leurs attentes (a). L’extension des droits de la victime et la prise en compte de ses souffrances risquent-t-elles finalement de conduire à une privatisation du droit pénal ? (b)

a) La nécessaire asymétrie entre les droits et les attentes des acteurs

Si l’argument de l’égalité des armes est largement invoqué pour reconnaître une place plus grande à la victime sur la scène juridique, celui-ci est à relativiser. La victime doit-elle user des mêmes armes que l’auteur ? Au demeurant, doit-elle réellement « se défendre » ? Du latin defendere qui signifie « repousser », ce verbe renvoie à l’idée d’une lutte pour la protection contre quelque chose ou quelqu’un123. Revient-il vraiment à la victime de lutter

120 Maria-Luisa Cesoni, Richard Rechtman, « La réparation psychologique” de la victime : une nouvelle

fonction de la peine ? », (2005), 85 : 2, Revue de droit pénal et de criminologie, 158-178.

121 Lynne N Henderson, « Revisiting Victims’ Rights », (1999), Utah Law Review, 383-442 à la p 43.

122 Susan Bandes, « Empathy, Narrative, and Victim Impact Statements », (1996) 62 :2 The University of

Chicago Law Review, 361-412.

123 Dictionnaire Larousse, en ligne <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9fendre/22618>

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dans le cadre du processus pénal alors même que c’est elle qui subit un préjudice ? Il semblerait que les termes « égalité des armes » et « droits de la défense » soient plus adaptés pour la situation du présumé innocent, quoique le débat sur la « présomption de victimisation » se tienne tout autant. La victime acquiert-elle son statut dès le début des procédures ou au prononcé du verdict final ? Cette dernière solution serait plus équitable parallèlement à la situation du mis en cause, même si en pratique cela ne semble pas être le cas. Par conséquent, vouloir mettre les droits de la victime sur le même pied d’égalité que l’auteur semble exagéré, quand bien même certaines juridictions n’hésitent pas à le faire124.

En outre, l’approche nécessairement subjective de la victime porte atteinte à l’objectivité du jugement pénal125. Ces notions sont toutefois complexes, chaque évènement ne pouvant être par essence totalement objectif ou subjectif. Les déclarations de la victime forcément empreintes de sa souffrance et de sa personnalité risquent tout de même d’influencer le juge et d’entraîner des disparités lors de la détermination de la peine126.

Enfin, la peine prononcée risque d’être en décalage avec la douleur ressentie par la victime. Une décision de justice n’étanchera pas toujours la soif potentiellement infinie de sa souffrance, justifiant ainsi l’opposition de certains à l’extension de ses prérogatives. Le caractère incommensurable de la peine, tout comme celui de la souffrance, risque de pousser la victime à considérer la sentence insuffisante127, ce qui est moralement compréhensible mais juridiquement inconcevable dans le système pénal classique. Un risque de privatisation de la procédure pénale au nom de ces souffrances abyssales est-il alors à craindre ?

b) Le risque de privatisation de la procédure pénale sous couvert de la souffrance de la victime ?

124 V. à cet égard : Cons. const., 23 Juillet 2010, n° 2010-15/23 QPC. 125 Barbot et Dodier, supra, note 116 à la p 411.

126 Donald J Hall, « Victims' Voices in Criminal Court: The Need for Restraint », (1991), n° 28 Amercian

Criminal Law Rev. à la p 233.

127 Caroline Eliacheff et Daniel Soulez-Larivière, Le temps des victimes, Paris, Éditions Albin Michel, 2007 à

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Le repenti et la prise de conscience du dommage favorisent l’apaisement social128. Le droit pénal dispose donc d’une portée réparatrice sensible à la réparation des victimes et a fortiori de leurs souffrances. Mais pour certains, les nouvelles mesures en faveur de l’indemnisation de la victime outrepassent l’étendue du droit pénal et conduisent à une confusion des procédures pénales et civiles129. Est-il possible de considérer que ces mesures ne représentent que le continuum du caractère réparateur du droit pénal ? Un tel raisonnement rend encore plus floue la frontière entre les deux procédures et donne naissance à une sorte « d’hybride

disgracieux130 ». Les victimes risquent ainsi de stigmatiser les coupables au rang de responsables et porter atteinte à la présomption d’innocence131 tout en dépassant le cadre des violences inhérentes au procès subies par l’accusé.

En outre, la prise en compte des intérêts particuliers de la victime reviendrait pour certains à retirer au procès pénal son intérêt premier de défense de l’intérêt général. Or, il est tout à fait plausible de considérer qu’une somme d’intérêts particuliers n’est en réalité que la réduction de l’intérêt général132. Autrement dit, la partie lésée qui souhaite faire valoir son propre intérêt cherche inéluctablement à défendre à plus grande échelle les valeurs de la communauté133. De plus, cette « intrusion » de la victime permet de faire contre-poids au la large pouvoir discrétionnaire des magistrats. Dès lors que l’intervention de la victime ou de ses proches se trouve encadrée dans le but d’éclairer la qualification juridique134, quand bien même leurs discours sont nécessairement teintés par les conséquences de l’infraction, peut- on encore parler de « privatisation » de la procédure pénale ? N’est-ce pas mieux de laisser à la victime la possibilité de s’exprimer dans la procédure plutôt que de l’occulter en risquant de voir resurgir ses frustrations sous la forme d’une vengeance privée dangereuse pour la société ? Seul bémol, la finalité thérapeutique invoquée précédemment met en exergue une volonté de soin purement individuelle. En ce sens, il serait possible d’y voir « un brouillage

128 Bertrand De Lamy, « responsabilité civile, responsabilité pénale : impossible divorce, mais liaison

dangereuse », (2013), Revue de Droit d’Assas, 52-59 à la p 52.

129 Ibid.

130 Ibid à la p 57 en référence à Jacques Henry Robert, Mélanges en l'honneur du professeur Jacques-Henri

Robert, LexisNexis, 2012.

131 Paul Ricoeur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique », dans Le juste, Paris, Éditions

Esprit, 1995 aux pp 41-70.

132 Philippe Conte, supra, note 37. 133 Ibid.

134 Xavier Pin, « La privatisation du procès pénal », (2002), n°2, Revue de science criminelle et de droit pénal

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des finalités du procès pénal »135, le procès ne répondant pas initialement à une fonction

seulement symbolique de réparation136. Faut-il alors élargir les finalités classiques pour mieux répondre aux besoins de la victime ou se tourner vers de nouvelles perspectives ? En définitive, cette évolution de la figure de la victime a inéluctablement conduit à l’élargissement de l’arsenal juridique mis à sa disposition.