Engagements, rapport au politique et intégration sociale
III.3. La spécificité rurale des définitions et réalités de l’intégration sociale des retraités
III.3.1. Un sentiment permanent et partagé d’intégration sociale chez les natifs
III.3.1.1. Une intégration d’évidence qui repose sur la continuité de vie, une certaine permanence et la parenté
Lors des différents entretiens menés, aucune des personnes rencontrées n’a exprimé le sentiment de se trouver en marge, à l’écart de la vie locale, et ce quelques soient les handicaps ou les problèmes de santé qui les affectent. « Dans la vie locale, vous êtes bien intégré ? Oui oui oui. Vous participez un peu à la vie locale ? Quelquefois, quand il y a quelque activité, on y va bien, le 14 ou 15 ( juillet), je sais pas ce qu’il y a, il y a une petite fête, on ira bien, un vide grenier je crois, je sais pas ce que c’est, m’enfin bon. » (Collange, 07, 2,)La notion d’intégration qui s’exprime ici est celle qui fut présente au cœur du rapport Laroque en 1962 et plus généralement dans les politiques sociales des années 60 et qui voulait signifier la place possible de chacun dans une société en pleine croissance et en recherche d’un progrès et d’un bonheur communs.
Les éléments recueillis lors de l’enquête auprès d’anciens exploitants agricoles expriment clairement cette vision très positive de l’intégration sociale.
Sentiment d’intégration (source enquête FDSEA, 2006).
sentiment intégratio
"oui, très intégré oui, assez intégré non, peu intégré non pas du tout"
TOTAL OBS.
Nb. cit. Fréq.
189 42,9%
156 35,4%
23 5,2%
3 0,7%
441
La somme des pourcentages est inférieure à 100% du fait des suppressions.
Ce fort sentiment de faire encore partie de la « communauté locale » doit être souligné car il contraste avec le désarroi, les sentiments d’isolement et d’exclusion qui s’expriment souvent en milieu urbain et s’exprime en des termes parfois inattendus
« vous ne vous sentez pas isolé ? : ‐ on est pas mal déneigé, on est pas mal » (Monsieur Collange, 07,1).
III.3.1.1. Une intégration d’évidence qui repose sur la continuité de vie, une certaine permanence et la parenté.
Les personnes rencontrées sont, dans leur grande majorité, ancrées dans le territoire où elles résident depuis plusieurs générations. Leurs parents et grands‐parents occupaient la maison où elles demeurent aujourd’hui. Ces personnes n’ont pas changé de lieu de vie au cours de leur existence ou quand elles l’ont fait, ce n’était que pour parcourir
quelques kilomètres qui les séparaient d’un conjoint, d’un hameau à un autre. « oui enfin moi j’étais sur la commune d’à côté et puis je suis venu à Mazan ‐Et moi mes parents habitaient sur Mazan, c’est la maison paternelle de mon père ‐Et quand ils sont partis moi j’ai gardé la propriété, de justesse ça été…oui…parce qu’il n’y avait pas le confort, on vivait comme on était habitué… » (Lassagne Roger, 07,1). Cette inscription territoriale ancestrale confère aux personnes le sentiment d’être à leur place et la plupart ne peuvent envisager de changer de lieu, même pour trouver à quelques kilomètres un confort plus urbain qui pourrait leur permettre d’affronter plus « facilement » les aléas de la vieillesse ou encore dans le cadre de loisirs. « ‐et alors pour ainsi dire vous n’êtes jamais parti d’ici ni l’un ni l’autre ? on est parti trois jours à Lourdes en 81…en 81 non en 2001, on aurait pu faire quelques voyages organisés…on l’a jamais fait maintenant on pourrait en faire mais ça me dit rien » (Lassagne Roger, 07,1)
Chez les anciens exploitants, cette situation est frappante puisque 85 % des répondants habitaient au même endroit avant la retraite dont 80% dans la même maison.
Lieu de vie avant la retraite.( Source enquête FDSEA 2006.)
Lieu habitat avant Nb. cit. Fréq.
Non réponse 3 0,7%
au même endroit 376 85,3%
ailleurs précisez 62 14,1%
TOTAL OBS. 441 100%
Ancienneté dans la maison (Source enquête FDSEA 2006.)
ancienneté maison
Nb. cit. Fréq.
Non réponse 32 7,3%
moins de 5 ans 18 4,1%
entre 6 et 15 ans 37 8,4%
plus de 15 ans 354 80,3%
TOTAL OBS. 441 100%
Cette continuité du lieu de vie se renforce d’une présence familiale élargie sur les territoires concernés. Pour la totalité des enquêtes natifs, les parents habitaient déjà la commune et de nombreux membres de la famille se trouvent encore aujourd’hui sur le territoire. C’est la continuité des lignées qui est ainsi assurée. Chez les anciens exploitants, cette continuité de l’habitat avec les générations parentales est aussi importante. Les parents habitaient déjà dans la commune pour 67 % des répondants et
habitent encore la commune pour 15% . (étant donné l’âge avancé des répondants, il est fort probable que les autres n’ont plus leurs parents)
Présence des parents dans la commune (Source enquête FDSEA, 2006)
Nb. cit. Fréq.
Non réponse 27 6,1%
oui 299 67,8%
non 115 26,1%
TOTAL OBS. 441 100%
Au‐delà de cette continuité de vie qui s’exprime vis‐à‐vis des générations précédentes, c’est aussi la présence de membres d’une famille élargie sur le territoire qui garantit l’inscription territoriale et l’insertion sociale des plus vieux. Si rares sont les personnes de notre échantillon d’entretiens qui ont encore leurs parents sur le territoire en raison de leur âge avancé et de la forte probabilité du décès de leurs parents, chez les anciens exploitants ils sont encore 15 % à mentionner la présence de leurs parents dans le périmètre de la commune.
Cette continuité de l’inscription familiale sur le territoire génère également des liens élargis, au‐delà des frontières de la famille traditionnelle. Ainsi, les liens de parenté se développent et se superposent aux relations de voisinage. L’évocation de cette femme veuve qui s’occupe habituellement de ses deux frères célibataires est une bonne illustration de cet état de fait : « Tous, tous les 5 il n’y avait pas de maternité à l’époque, enfin je sais pas si ça existait, à l’époque, on est tous nés, dans la maison justement c’était une grand‐
mère à mon mari, c’est maman qui me l’a raconté, elle habitait sur le route du Roux vers le tunnel. Pierrette, elle est née en bas. Ils étaient 7, c’étaient des frères, mon papa avec le papa de Pierrette étaient frères, il y avait 5 garçons et deux filles. Au village c’était des grandes familles la plus grande c’était au roseau, en face de l’église, y’en avait 16 enfin il y en avait qui étaient morts mais il y en avait 11 ou 12 qui étaient en vie quoi » (Mme Vigne, 07,1)On constate particulièrement sur le territoire ardéchois une forte endogamie qui se donne à voir notamment au cimetière local, dans lequel une dizaine de patronymes se retrouvent sur la plupart des tombes. Un réseau de parenté très dense s’est noué et chacun se trouve ainsi mêlé à l’histoire locale qui s’est construite dans le creuset des histoires familiales.
Et lorsque l’édile local se trouve inscrit dans cette toile de parenté, chacun reconnaît en lui non seulement le neveu ou l’arrière petit cousin mais aussi le garant des intérêts d’un collectif agrégé tant par les liens du sol que par les liens du sang. « il y était aujourd’hui le maire au Roux ? ‐je ne sais pas ‐ c’est notre neveu, sa mère …comment ça marche, sa mère était
une sœur de ma femme, ils avaient une propriété, ils sont partis le mari est décédé » (Monsieur Collange, 07,1)
La présence de membres de la famille élargie sur le territoire concourt à ce sentiment d’intégration qui implique aussi la continuité transgénérationnelle de l’existence. Même si l’on peut constater que rares sont les enfants d’exploitants agricoles qui ont réinvesti dans l’agriculture, ils n’en demeurent pas moins dans une proximité géographique qui fait d’eux des passeurs d’intégration pour leurs parents, tout comme le sont parfois les voisins. C’est à travers les services qu’ils rendent que leur présence est précieuse mais aussi en ce qu’ils garantissent, du simple fait de leur existence proche, la présence de toute une famille et la reconnaissance d’un nom dans la sphère sociale.
Parmi nos enquêtés natifs, 3/ 6 en Creuse et 6/7 mariés et ayant eu des enfants, ont leurs enfants à proximité –même commune ou communes voisines‐ . on peut observer ici que l’ attachement au territoire et la continuité de vie transgénérationnelle est plus marquée en Ardèche qu’en Creuse.
Globalement dans l’enquête FDSEA, la présence d’une famille élargie dans les communes de résidence des enquêtés se confirme. En effet, 57.8% des répondants ont des enfants dans la commune, 34.7% des petits enfants, 35% des frères et sœurs et 38%
des cousins.
La continuité est donc assurée, à travers l’inscription dans les lieux mais aussi dans les fonctions et pratiques d’engagement partagées. Ainsi certaines personnes ayant exercé des fonctions au sein des conseils municipaux, ont laissé place dans cette instance à leurs fils. Certains avaient eux‐mêmes pris la place de leurs pères dans ces fonctions. « Cʹest‐à‐dire qu’on était au conseil municipal. ‐Vous ?‐Pendant 18 ans. Maintenant c’est le fils qui y est. » (Lassagne Roger, 07 ;2). Cet intérêt manifeste pour la « res publica » témoigne de ce sentiment d’intégration. Les personnes rencontrées sont concernées par les affaires de la commune, qu’il s’agisse du déneigement, de l’enfouissement des lignes électriques ou des services développés en direction des personnes âgées. Et cet intérêt ne se limite pas à l’expression d’une attente de prise en charge mais plus encore à la prise en considération des difficultés financières des communes ou des remaniements structurels introduits par le projet de communautés de communes.
Cette continuité de vie semble un élément contribuant essentiellement au sentiment d’intégration qui se définit ici sous sa forme sociologique première, et dans ses dimensions structurelles et culturelles. Ce qui semble justifier ici ce sentiment fort d’intégration versus appartenance est l’existence de liens d’interdépendance qui s’expriment dans un territoire à structure « quasi‐communautaire » reposant sur un régime de parenté élargie et de socialisation par les fondements culturels anthropologiques du monde rural.
III. 3.1.2. Un sentiment d’intégration variable selon l’âge, l’information