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Une sociabilité de voisinage différente selon l’inscription dans le   territoire et le statut social des personnes

Sociabilités et solidarités : indistinction ou différenciation

II.2  Des  sociabilités  de  voisinage  différenciées  selon  les  lieux,  selon  les  personnes et leur histoire de vie

II.2.3.  Une sociabilité de voisinage différente selon l’inscription dans le   territoire et le statut social des personnes

II.2.3. Une sociabilité de voisinage différente selon l’inscription dans le   territoire et le statut social des personnes.  

 

On constate en effet, quelque soit le territoire, une sociabilité de voisinage différente  selon l’origine des gens et leur statut social. La solidarité est ainsi plus forte pour les  personnes nées au pays, alors qu’il en va différemment pour les « nouveaux venus »,  encore que l’on note des différences selon le statut social. Monsieur A., qui habite un  écart ne regroupant que cinq maisons est très aidé par sa voisine – qui est son aide  ménagère depuis qu’il est à la retraite‐ qui lui rend de nombreux services bien au delà  des deux heures pour lesquelles elle est rémunérée : « Faut pas que je me plaigne, elle me  fait mes courses. Quand je m’ennuie, je vais chez elle. Elle va partir 3 semaines cet été, elle va me  manquer. C’est une femme d’exception ».(23,1) Monsieur C., qui précise qu’il ne voit pas ses  voisins tous les jours, indique qu’il invite des voisins plus âgés le jour de Noël.  

Pour les personnes arrivées sur le territoire plus tardivement, qui n’y sont pas nées, la  méfiance de la part des populations locales est de mise. Monsieur B41., qui est pourtant  maire depuis quasiment son arrivée en Creuse ( il y a 17 ans) explique : «  Les gens ici, ils  sont casaniers, ils sont par petits clans, par familles surtout, on peut dire clans. Si vous n’êtes pas  de la famille, ils ont du mal…J’ai été accepté d’une drôle de façon. J’étais chez le voisin, on faisait  connaissance…tout le bazar, et puis ils parlaient patois, mais en parlant patois, ils étaient en  train de se foutre de ma gueule. Je leur ai dit : je sais peut‐être pas le parler, mais je le comprends,  c’était fini, j’étais accepté, je comprenais leur langue ».(23,2) 

Quant à Madame C. qui vient de Paris, qui a pendant quelque temps été couturière,  dont le mari était ouvrier dans la chimie estime qu’ils ont été bien accueillis, n’ayant pas,  comme elle le dit « joué les parisiens: « Dès le début, on a été bien accueillis, vous savez, on  n’a pas joué les parisiens qui arrivent, dès le début, j’ai apprécié ma voisine qui est décédée  depuis, elle m’a fait une liste, elle m’a dit : vous avez le boucher qui passe tel jour à telle heure, le  boulanger à telle heure… bien je vous assure que j’ai apprécié, o était en pleins travaux… et puis  elle avait eu une drôle de vie, elle avait tellement travaillé que j’allais la voir régulièrement, c’était  normal aussi…. »(23,2) . 

Le voisinage est perçu différemment par certains. Ainsi, Monsieur D., arrivé depuis 15  ans en Creuse, jeune retraité, exprime une certaine déception par rapport à la société  locale, regrettant que les gens ne soient pas plus ouverts. « On s’aide, le menuisier me prête  sa machine, mais les gens demandent peu… . Je vois le petit voisin quand on propose des légumes  à sa femme, elle dit OK je veux bien et puis il passe le matin et dit « non, j’en ai », non non il  veut pas…» (23,1)  

C’est plus net encore chez Monsieur R., ancien centralien, né à La Châtre d’un père  médecin, qui a passé son enfance à Nouziers, avant de partir pour Tours puis Paris. 

Revenu à la retraite, il a voulu entrer au conseil municipal pour connaître un peu la  commune, ce qui est d’ailleurs significatif de son état d’esprit. Il ne dit pas : « pour  connaître les gens, nouer des liens ». Il ajoute : « j’étais pas dans mon milieu, ici ils sont  communistes… ». Il n’est donc pas resté longtemps au conseil municipal tout en disant  être en bons termes avec tout le monde, en ajoutant : «  Les gens de mon âge, il n’y en a  plus… Les autres ne viennent pas me voir, c’est pas l’habitude ici, on ne fait pas de visite ». 

Jusqu’il y a encore six ans, il allait à Paris tous les six mois pour voir sa famille, ses amis. 

«  A Paris, j’ai encore des relations, j’ai déjà l’école, l’Ecole Centrale, seulement je ne les vois pas,  ceux de ma promotion, ils sont tous disparus, mais il n’y a pas que ma promotion à Centrale. ». 

Le voisinage est pour lui inexistant. Certes, il est très dépendant et ne peut sortir, mais  se dit différent et un peu méprisant par rapport à la société locale.  

41 Qui était contremaître chez Renault dans la région parisienne, avait des grands parents agriculteurs

En Ardèche, la sociabilité de voisinage est également plus distante chez les personnes  venues de l’extérieur, dont certaines ont un réseau de relations très diversifié, tout un  réseau de connaissances et une vie finalement très mondaine. C’est surtout le cas de  Madame Duroux dont le mari était ingénieur, qui a beaucoup voyagé à travers le monde  et s’est installée en Ardèche où ils avaient une maison de famille. Ils ont d’ailleurs acheté  un autre appartement à Aubenas, un appartement plus petit qu’à Montpezat, plus facile  à habiter. A Aubenas, il est aussi plus facile de faire ses courses, il y a plus de  distractions. Elle et son mari participent à de nombreuses associations, dans lesquelles  ils ont parfois des responsabilités : relais Malakoff, Rotary Club…Lui est au conseil  d’administration de l’Union Nationale des Retraités et Personnes Agées (UNPRA),  président de la Société des Enfants et amis de Montpezat, président de la Société de  sauvegarde  des  monuments  anciens  de  l’Ardèche !!  Ils  ont  aussi  de  nombreuses  activités :  cinéma,  restaurant,  voyages  organisés…On  est  loin  ici  de  la  solidarité  mécanique de Durkeim : un réseau de connaissances très diversifié, une sociabilité très  distante pouvant difficilement être associée à une quelconque solidarité.  

Certaines personnes, très impliquées dans la vie locale, on un réseau de sociabilité  important.  C’est  le  cas  de  Monsieur  E.,  né  à  Montpezat,  revenu  après  avoir  été  instituteur dans différentes localités de l’Ardèche. Durant sa vie active, il a développé  dans le cadre de son activité professionnelle des activités extra‐scolaires : coopérative  scolaire, clubs de sport…Devenu veuf, il crée une association du 3ème âge puis se fait  remplacer au bout de 15 ans pour créer un  service d’aide à domicile. Il en va de même  pour Madame Bardin., en maison de retraite depuis peu, qui a été longtemps une  collaboratrice de Monsieur E.. Monsieur E. se rend  régulièrement à la maison de  retraite : «  Ah parce que je connais énormément de gens, et puis je vous dis, ils y sont très  sensibles. Ca leur fait plaisir. C’est un service à leur rendre, vous voyez ? Ah si. Moi quand  j’arrive là haut, mais si vous voyiez, si vous veniez avec moi « té le Félissou, qui arrive ». Y en a  qui me disent : « mais que tu es gentil de venir nous voir ». Voilà, et ben ça leur fait plaisir, et je  pense que si on les laissait de côté, ça serait pas meilleur hein… ». Dans le même entretien, il  nous dit : « Beaucoup me tutoient aussi… Dans le rue, les touristes qui viennent… alors qui  restent quelque temps, ils viennent passer quelques jours, quinze jours, trois semaines, ça dépend,  et alors dans le rue tout le monde m’appelle Félissou. Et alors, ils me disent, bonjour « Monsieur  Félissou ». Ca me ravit de bonheur… Au premier abord, il y a les marques de respect bien sûr. Le  vouvoiement, mais après, oh, vous savez…. »(07,1) 

Quant à Madame B., en maison de retraite depuis peu après des problèmes de santé, elle  confie : « Moi, y a beaucoup de gens qui me témoignent, par téléphone ou pour venir me voir. Ils  peuvent pas venir tous les jours, ça, je le comprends, mais j’ai souvent des visites. Oui, même de  la campagne. Je leur ai fait des visites, ils viennent me les rendre. Si, j’ai beaucoup de visites. 

Mais ça, je ne demande pas, moi. Je demande pas… comment expliquer ça ? C’est dur ça ! On 

demande pas un retour. Par exemple, j’ai donné, tu me donnes. Non, c’est pas ça, hein. Mais une  pensée… »(B,07,01). Madame B. à travers c s propos, évoque la pratique du contre‐don  encore très présente dans certaines sociétés villageoises. Selon Mauss, en effet, le don  pur  n’existerait  pas,  le  don  créant  une  obligation  pour  chacun  des  partenaires,  l’obligation de recevoir mais aussi de rendre. « refuser de donner, négliger d’inviter,  comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre, c’est refuser l’alliance de la  communion »(Mauss, 1924). Cette acceptation du don existait encore dans les sociétés  rurales, il y a peu, et existerait encore dans des territoires de plus en plus restreints  comme dans le canton étudié en Ardèche.  

En Creuse, l’implication dans la société locale est surtout le fait de personnes non  originaires du territoire. Monsieur D. (23,2) est vice‐président du cyclo‐club de Bonnat et  aide beaucoup à la fête de Linard mais regrette un peu le contexte local, une relative  fermeture de la société locale : « Non, non, on ne demande rien, ça me ferait plaisir de les  aider, non non, c’et pas la mentalité du creusois… ». Est‐ce du au fait qu’il n’est pas né dans  le pays ? Au fait qu’il est venu de la grande couronne parisienne, il y a une quinzaine  d’années ? Ou au fait, qu’il n’était pas agriculteur comme la plupart de ses voisins ?  Différentes explications sont possibles, mais le climat creusois y contribue aussi sans  doute.  

 

 A la lecture des entretiens réalisés, il ressort que le voisinage est perçu et appréhendé  différemment selon les lieux, selon les territoires ainsi que selon l’histoire de vie des uns  et des autres. Pour ceux qui n’ont pas bougé depuis leur enfance, les voisins sont restés  les mêmes, mais leur rôle a changé. Autrefois, existait une solidarité de voisinage plus  importante qu’aujourd’hui. On s’aidait pour les travaux des champs, on se voyait  souvent, on organisait des fêtes, des manifestations. Avec l’avancée en âge, les rapports  avec les voisins sont devenus moins fréquents, les pratiques d’entraide ont évolué, mais  la présence des uns ou des autres est appréciée, et compte dans l’organisation de la vie  quotidienne, en étant différente en Creuse et en Ardèche où plus de solidarité existe. La  sociabilité  de  voisinage  a  néanmoins  évolué,  les  relations  familiales  sont  souvent  privilégiées et certains davantage d’ailleurs en Creuse sont méfiants, ne font pas appel  facilement à l’autre. On retrouve même dans la parole de certains un discours faisant  état de la pénétration de la société du risque dans les relations de voisinage. A la  question : « Vous pourriez demander de l’aide », la réponse est : « On n’en demande pas… Là  aussi, c’est pareil, vous avez besoin d’un coup de main, la moindre bricole qui se passe, si vous  êtes obligé de faire marcher les assurances, et ben vous êtes dedans, c’est rudement compliqué  tout ça maintenant »( HilLombar, 07,1). Il est possible cependant que de tels propos soient  liés aux modifications des relations de voisinage observées fréquemment avec l’avancée 

en âge, le réseau relationnel tendant à devenir avec l’âge plus localisé et plus électif (  Merklé, 2006, Argoud, 2004).  

Pour les personnes « nouvelles venues », la sociabilité est différente.  La sociabilité  formelle  est  souvent  plus  importante  et  prend  parfois  la  forme  de  prise  de  responsabilités dans la vie politique locale ou la vie associative surtout lorsqu’il s’agit de  personnes appartenant à des milieux favorisés. Par contre, la sociabilité informelle est  moins développée, ce qui est parfois du à des problèmes d’intégration dans la société  locale, à une moindre proximité en termes d’histoire de vie. Mais le milieu social joue  aussi un rôle. En Creuse, où les nouveaux venus appartiennent à des catégories sociales  plus proches des locaux ( parfois fils ou fille d’agriculteur ou petit fils ou petite fille), la  reconnaissance  de  l’autre  considérée  comme  l’une  des  règles  constitutives  d’un 

« voisinage normal »(Drühle,2007) a été possible d’autant que très souvent les personnes  concernées ont cherché à s’intégrer en rendant par exemple des services ou en les  proposant. 

Quant aux relations avec les plus jeunes, elles sont peu nombreuses, ce que tous  expliquent par le processus de dépopulation caractérisant les deux territoires ainsi que  le vieillissement. « Oh, ici, il y a plus de jeunes. C’est un peu normal, avant il y avait du monde  dans les  campagnes. Et  maintenant,  les jeunes, qu’est‐ce  qu’ils ont  comme  boulot, rien ! 

« Berget, 23,1). La réponse est la même en Ardèche. A la question : « Les gens avec qui  vous êtes en relation, c’est plutôt de votre génération, ou il y a des plus jeunes ? »,  Monsieur Eustache (07,02) répond : « Oh, il y a de tout, de tout… Il y en a des beaucoup plus  jeunes comme je me suis occupé du foot… Il y en a beaucoup, je les revois, mais seulement  maintenant, il y en a beaucoup moins… ». 

Ceux qui ont des relations avec des plus jeunes sont effectivement ceux qui ont une vie à  l’extérieur plus développée du fait de leurs implications dans la vie locale. C’est le cas  des sœurs T. qui à la question : « Les relations avec les jeunes, ça se passe comment ? »  répondent : « Oh si, oh si, c’est bien, les jeunes, ils sont bien » et un peu plus loin dans le  même entretien : Au club, il y a des gens de tout âge, il y a des jeunes, ça va à partir de 60  ans… »(07, 2). Madame Chapuis (23, 2), tout en évoquant une moyenne d’âge élevée,  nous signale la participation de deux jeunes : « Au conseil, il y a deux jeunes conseillers, ils  ont pas 20 ans. C’est tout par ici, il n’y a que des vieux. Il y a aussi un couple de jeunes qui  habitent l’ancien café. On les voit jamais, sauf quand il faut voter. » 

Le contexte démographique des territoires investis (vieillissement de la population,  absence de renouvellement de la population du fait pour l’essentiel d’une offre de  travail très réduite) explique largement qu’il y peu de jeunes dans la population et par  voie de conséquence que les relations inter‐générationnelles soient peu importantes.  

Plus généralement, la sociabilité de voisinage évolue, a tendance à prendre de moins en  moins d’importance dans l’ensemble de la sociabilité, la sociabilité familiale prenant  souvent le relais.  

     

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