Engagements, rapport au politique et intégration sociale
III.3. La spécificité rurale des définitions et réalités de l’intégration sociale des retraités
III.3.2. Chez les nouveaux venus, l’intégration passe par l’effort volontaire
III.3.2. Chez les nouveaux venus, l’intégration passe par l’effort volontaire.
La perception de l’intégration sociale est fortement différente chez les personnes non natives, installées sur les territoires retenus, le plus souvent au moment de leur passage à la retraite. Globalement le sentiment exprimé est celui d’une bonne intégration mais l’évidence de cette intégration très présente chez les natifs est ici absente. En effet, ces
« nouveaux venus » expriment tous d’une manière ou d’une autre ce que leur intégration doit à leur volonté et à leurs efforts. Dans tous les cas, ils se positionnent comme acteurs de cette intégration. Deux registres principaux dominent dans lesquels se met en forme cette volonté d’être intégré : le registre culturel et le registre de la solidarité et de l’engagement. L’intégration passe nécessairement par la manifestation objective du désir de faire partie de ces communautés rurales.
III.3.2.1. Acculturation et effort d’engagement.
L’intégration spatiale qui s’opère de fait à travers l’acquisition d’un bien immobilier ne suffit pas à conférer d’emblée à ces personnes le statut de membre de la communauté.
Un processus d’acculturation se met le plus souvent en place, qui consiste à « oublier » certaines de ses références antérieures pour « adopter » des modes de vie plus proches de ceux des habitants natifs. A contrario les arrivants qui ne font pas cet effort sont victimes d’un certain ostracisme qui peut les conduire à quitter le territoire comme en témoignent ces propos. « Il n’y a que ceux qui sont en face qui ne sont pas acceptés… Elle est 1ère adjointe, elle s’occupe aussi à Genouillat de l’ADPG…. Elle vient de la région parisienne, elle veut mettre sa loi partout, il n’y a que eux qui vont nulle part, ils vont jamais chez les voisins, lui c’est encore pire…Ils ont acheté 8 ans avant nous…Avant, c’est elle qui s’en vantée d’ailleurs, ils avaient une maison dans l’Orléanais, et ils passaient tellement bien aussi, que les paysans ils se sont mis tous d’accord, ils ont été obligés de vendre leur maison, ils ne pouvaient plus rien faire….A part eux, les gens s’aident…. » (Dutel, 23,2). Ce qui est mis ici en exergue est l’absence d’effort pour prendre en compte les us et coutumes locaux. Le soupçon de parisianisme qui pèse a priori sur certains nouveaux venus constitue apparemment un obstacle, qui s’il n’est pas dépassé, hypothèque grandement les possibilités d’intégration dans ces milieux relativement fermés. Il faut apporter la preuve de sa volonté d’intégration à force de mimétisme et d’humilité. « Vous vous sentez bien intégrée ? ‐ Ah ça oui, pratiquement, dès le début, vous savez on n’a pas joué les parisiens qui arrivent, dès le début, on a été bien accueillis, dès le début, j’ai apprécié ma voisine qui est décédée depuis, elle m’a fait
une liste, elle m’a dit : vous avez le boucher qui passe tel jour à telle heure, le boulanger tel autre… bien je vous assure que j’ai apprécié, on était en plein travaux, on n’avait pas le temps de monter à Aigurande tous les jours, et bien je vous assure que j’ai apprécié, et puis après elle était encore valide quand on est arrivé, et puis après, elle avait tellement travaillé, tellement travaillé chez les autres, la pauvre, elle avait eu une drôle de vie, alors j’allais la voir régulièrement, c’était normal, et puis quand j’y allais pas, s’il y avait une semaine que j’y avais pas été, elle savait me le dire…oh, il y a longtemps que je vous ai pas vue… » (Madame Chapuis,23,2). Le fait d’exercer des fonctions municipales ne semble pouvoir exonérer personne de cet effort indispensable d’acculturation qui semble la clef du processus d’intégration. D’autres entretiens mettent également en évidence cette nécessité de faire abstraction de ses modes de vie ou de pensée antérieurs. Se manifeste ici le double effort de gommage de son origine et de serviabilité à l’égard du voisinage qui constitue, en l’absence de famille, l’un des supports essentiels de l’intégration. Ce double processus volontaire ne se fait pas sans difficulté. « Q : Est‐ce que, de ce point de vue, là, bon, vous êtes pas d’ici, ça c’est entendu, avec les gens d’ici, mais est‐ce que vous vous sentez quand même bien intégrée, localement ?‐ Oui. Mais je pense que franchement, je n’ai pas la même façon de vivre qu’eux, c’est vrai. Si. Je suis bien intégrée. Les gens sont très gentils. Je vois, quand j’ai perdu mon fils, les gens ont été vraiment très très… attentionnés… mais c’est vrai que… on n’a pas la même façon de vivre qu’eux aussi. Pour eux, que je vienne habiter ici toute seule, c’est pas normal ! C’est ça, déjà. Pourquoi ? Moi, toute contente d’être là, dans une maison, en dehors de tout… Ça leur paraît bizarre ! » (Héritier, 07,2)
Comme l’exprime cette personne, l’étrangeté de choix de vie autonomes et indépendants, à distance d’un support et de la communauté villageoise, est fortement ressentie par les autochtones. L’étranger se définit dans ces territoires comme celui qui ne vit pas conformément aux usages locaux et qui génère ainsi une méfiance rendant difficile l’approche et la compréhension mutuelle. Et même lorsque ces modes de vie paraissent semblables –habiter seule en étant veuve une maison dans un hameau isolé‐ à ceux de certains autochtones, c’est le sens de ces choix qui est questionné alors qu’il s’impose comme une évidence pour les natifs. « [Ça leur paraît bizarre, mais en même temps, y a bien des gens qui sont dans les mêmes situations, du pays ?] ‐ Oh, ils sont plus attachés… ils sont plus… Si, c’est vrai, parce qu’il y a madame, y en a une qui est au Villaret, qui est toute seule, aussi. Et qui est du pays. ‐Au Villaret ? [Oui. Mais peut‐être que je me trompe] Non. Parce que je l’ai encore vue hier. Alors elle, elle est heureuse comme tout, parce qu’elle a des anciens voisins, qui sont à la retraite, maintenant, et qui viennent habiter plus de la moitié de l’année. [rires] Mais elle, elle dit, oh, c’est pire que moi, parce qu’elle est toute seule dans son Villaret, elle ne conduit pas, elle n’a que ses jambes ou des amis pour la bouger. [Pour la transporter] Mais enfin, elle est du pays, elle est hébergée, tout le monde la connaît, quoi ! (Madame Héritier, 07,2)
Certaines personnes ressentent très nettement cette différence culturelle qui les sépare des natifs et mettent en œuvre des stratégies de rapprochement pour tenter de faire oublier qu’ils ne sont pas d’ici. « Q : et pour revenir sur « on vit pas de la même façon », qu’est‐ce qui vous différencie d’eux, à votre avis ? A part le fait que… donc vous êtes toute seule ici, vous très contente, eux très surpris ? H : Oui. [Comment ça se marque, la différence ?] C’est plus des sensations que des faits, en fait… [rires] [silence] Je vais pas à tous les enterrements.
Vous comprenez, des gens que je ne connais pas, j’y vais pas. Mais je me suis rendue compte qu’il fallait au maximum y être présent ! [silence] Et puis avec… les voyages du village, j’y vais pas beaucoup non plus. Vous savez, c’est que… j’ai pas l’air de m’intéresser trop à ce qu’ils font dans le village. C’est vrai, je le reconnais. [Et pourquoi ? Parce que ça vous intéresse pas ?] Parce qu’il faut faire un voyage, dans un autocar, qui dure la moitié de la journée ! [rires] Et ce qu’on fait ne m’intéresse pas toujours beaucoup. C’est vrai que j’ai pas les mêmes centres d’intérêt, si vous voulez. Alors, j’en ai fait un ou deux, et puis franchement, j’ai pas… donné suite. [Et…] Ils font un bon repas, ils font des choses comme ça, et moi, je mange peu… [Oui… Et…] Et puis ils connaissent ; ils racontent leurs histoires entre eux, moi, je me sens quand même un peu en dehors. Je raccroche, quand même, un peu, mais… [Et quand vous dites ils racontent leurs histoires entre eux, est‐ce que par exemple ils parlent en patois, ou… ?] Pas trop. Ça arrive. Ça arrive, mais enfin, pas trop. Mais ils ressassent toujours leurs vieilles histoires du pays… dans lesquelles je suis pas englobée, c’est sûr [en souriant]. Y a des fautes de ma part, hein, c’est sûr, je reconnais, hein ! [Ah non, mais moi, je vais vous dire, je ne suis pas la voix des gens du pays !]
Non, mais c’est vrai ! » (Madame Héritier, 07,2)
Cet extrait témoigne nettement des efforts consentis mais de la difficulté malgré tout à se sentir « englobée » comme dit cette femme. L’intégration se joue sur des faits mais plus difficilement sur le registre des sentiments et du symbolique. En conséquence, c’est une définition a‐minima de l’intégration qui se dessine chez les nouveaux installés qui contraste fortement avec cette « intégration d’évidence » décrite plus haut et si forte chez les natifs.
III.3.2.2. Une définition minimaliste et par défaut de l’intégration sociale : l’acceptation témoignée par le non‐rejet.
Si les nouveaux installés expriment le sentiment d’être bien intégrés et le souhait de rester sur ces territoires qu’ils ont investis le plus souvent dans le cadre d’un projet de couple, on peut déceler cependant dans leurs discours la menace ressentie d’un isolement qui pourrait les atteindre s’ils renonçaient à leurs efforts pour « en être ». Par ailleurs l’intégration fondée le plus souvent sur une vie de couple se trouve menacée lorsqu’un des deux conjoints disparaît. « vous vous sentez un peu isolée ? sans mon mari,
oui, je suis perdue… »sans votre mari oui je comprends mais je veux dire dans la Creuse – oh non pas du tout, je ne retournerais pas… » (Madame Georges, 23, 2).
D’une manière générale, le sentiment d’intégration s’exprime sur un registre minimaliste qui occulte la question de l’appartenance communautaire. Pour ces nouveaux installées, être intégré signifie avant tout avoir été bien accueilli, être accepté et ne pas subir une mise à l’écart qui se traduirait concrètement. « Là où j’habite il y a 5 personnes, 3 ménages. On s’entend bien ce sont des natifs du coin. Si besoin on donne un coup de main, on prend des nouvelles, on y va que si on en a besoin…on demande quelque chose c’est comme si c’était fait… (…) Creusois ils sont ce qu’ils sont, s’ils vous ont accepté c’est bon. » (Monsieur Berget,23, 2) La encore, il est possible d’observer qu’il ne s’agit pas d’une acceptation inconditionnelle mais conditionnée à des pratiques d’entraide, conformes à celles qui se jouent entre natifs. Néanmoins, pour certaines personnes l’intégration repose sur des relations privilégiées avec d’autres nouveaux venus ou en tout cas avec des personnes qui ont vécu une partie de leur vie en dehors de ces territoires ruraux.
« Q : Et justement, dans les relations que vous avez, c’est plutôt des gens du pays, ou c’est plutôt des gens comme vous qui sont venus s’installer ? H : oui. Oui. Y a eu peut‐être un peu beaucoup des gens extérieurs du pays qui se sont regroupés. Ça a été un peu ça. Oui. [Et c’est des gens qui viennent d’un peu partout ?] Mais c’est des gens qui avaient souvent une attache ici : ou un grand‐parent, ou… qui avaient… Des personnes comme moi, qui sont venues comme ça par hasard, y en a peut‐être un autre, c’est tout ! [D’accord] » (Madame Héritier, 07,2)
Ainsi, de ces entretiens se dégagent des conceptions et des pratiques différenciées de l’intégration sociale, qui sont intimement reliées aux parcours de vie des individus qu’elles concernent. La spécificité du fonctionnement « communautaire » de ces territoires ruraux se donne à voir et s’il convient « naturellement » aux natifs, elle exige des adaptations et des remaniements culturels pour les personnes récemment installées.
Cependant, dans les deux cas de figure, il importe de souligner l’importance du sentiment d’appartenance dans le processus de vieillissement et les stratégies qui sont mises en œuvre par les nouveaux venus pour se sentir inclus en territoire rural isolé.