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Une greffe incomplète et un faible niveau d’appropriation

Dans le document Handicaps et emploi (Page 152-155)

4.2 M OBILISER LES DIFFÉRENTS DISPOSITIFS LÉGAUX

4.2.2 Les aménagements raisonnables, un dispositif méconnu

4.2.2.2 Une greffe incomplète et un faible niveau d’appropriation

La « révolution » potentiellement contenue dans le concept d’aménagement raisonnable n’a pas (encore ?) produit ses effets en France, que ce soit dans le droit ou dans la pratique.

Au plan juridique, la greffe demeure incomplète

Par rapport aux conventions internationales

La Rapporteure spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées a attiré l’attention sur une insuffisante prise en compte de ce concept d’aménagement raisonnable dans le droit et la pratique française. Dans ses observations préliminaires suite à la visite effectuée en France en octobre 2017, elle « constate avec étonnement que le concept d’aménagement raisonnable, prévu à l’article 2 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ratifiée par la France, n’est pas reconnu en matière d’emploi ». Elle estime que « de plus amples efforts sont nécessaires afin d’assurer l’inclusion effective des personnes handicapées sur le lieu de travail, notamment par le biais d’aménagements permettant leur recrutement et leur évolution professionnelle ».

Comme le souligne le Défenseur des droits, la Rapporteure vise plus spécifiquement l’absence de mention expresse de l’obligation d’aménagement raisonnables dans la législation française relative à la discrimination. En effet, les dispositions de la loi de 2008 qui définissent la discrimination n’y font pas référence. L’obligation d’aménagement raisonnable figure dans le Code du travail, non pas sous le titre relatif aux discriminations mais sous celui relatif aux travailleurs handicapés.

De ce fait, le droit français s’expose aux critiques formulées par le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies sur le caractère insuffisant et incomplet des lois nationales destinées à lutter contre les discriminations. Le Comité considère qu’il y a « une compréhension insuffisante de l’approche du handicap sous l’angle des droits de l’homme » et que « nombre de lois et politiques nationales perpétuent l’exclusion et l’isolement des personnes handicapées ».

Par rapport au droit européen

Le Défenseur des droits relève que la directive européenne du 27 novembre 2000 n’a été que partiellement transposée dans la législation nationale et qu’« un tel défaut de transposition par la France est susceptible de faire l’objet d’une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne ». L’Italie a déjà été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne à cet égard (CJUE, 4 juillet 2013, Commission c.Italie, C-312/11).

Pour ce qui concerne la France, l’absence de mention de l’aménagement raisonnable dans la loi de 2008 sur les discriminations peut s’analyser comme un défaut manifeste de transposition.

On note également une divergence entre le droit français et le droit européen pour ce qui concerne les bénéficiaires de l’obligation d’aménagement raisonnable. Le droit français réserve ce dispositif aux personnes dont le handicap est administrativement reconnu. En revanche le droit européen, qui favorise une acception large de la notion de personne handicapée, ne pose aucune condition de reconnaissance administrative à la protection de la personne handicapée au travail ni à son droit à un aménagement raisonnable.

Le cadre juridique français apparaît donc plus restrictif sur plusieurs points que le droit international et européen qu’il est supposé transposer.

Les implications financières sont mal prises en compte

L’intégration ou le maintien en emploi d’un travailleur handicapé n’impliquent pas nécessairement des aménagements coûteux.

Les aménagements : un coût globalement faible

L’administration américaine mène une enquête en continu auprès des entreprises sur le coût et l’impact des aménagements qu’elles effectuent pour faire face à des situations de handicap.

Il en ressort que dans près de 60 % des cas les aménagements effectués n’ont entraîné aucun coût supplémentaire. Dans 36 % des cas, ils ont entraîné un coût unitaire ponctuel (one time cost) dont le montant médian est de 500 $. Dans 4 % seulement des cas ils se traduisent par un accroissement pérenne des charges annuelles.

Source: Job Accommodation Network (US Department of Labor), « Workplace accommodations : low cost, high impact », 2018

L’obligation d’aménagement signifie que le coût des adaptations nécessaires pour intégrer ou maintenir en emploi un travailleur handicapé incombe à l’employeur. Mais le principe trouve ses limites dans le caractère « raisonnable » des aménagements : l’employeur n’est tenu d’y procéder que si les charges en résultant pour lui ne sont pas « disproportionnées ».

L’appréciation du caractère ou non disproportionné des charges suppose une analyse au cas par cas et aucun exemple de jurisprudence n’est venu à ce jour éclairer l’application de ces dispositions.

Selon la directive européenne, celle-ci doit prendre en compte la taille de l’entreprise, ses ressources, et les aides financières qu’elle peut mobiliser.

La direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, sollicitée sur ce point par l’IGAS et l’IGF, considère que deux éléments rentrent en ligne de compte : « d’une part les mesures prévues doivent être appropriées et d’autre part les coûts financiers ne doivent pas être disproportionnés au regard de la taille et des ressources financières de l’employeur et de sa capacité à obtenir des fonds publics ou toute autre aide ».

Cette problématique a des implications concrètes lorsqu’il s’agit de définir les conditions d’intervention de l’Agefiph et du FIPHFP qui visent précisément à rendre les aménagements possibles, sans que l’employeur ne soit confronté à des charges disproportionnées.

La logique des aménagements raisonnables pourrait conduire à mieux cibler l’effort financier, les fonds publics intervenant à titre complémentaire de ceux de l’employeur, pour la part excédant « le raisonnable ».

Cette logique n’est pas appliquée dans les conditions actuelles d’intervention de l’Agefiph et du FIPHFP, comme le soulignent l’IGAS et l’IGF dans leur rapport sur le mode de financement de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés.

Les pratiques montrent un faible niveau d’appropriation

L’intérêt que suscite chez les chercheurs et universitaires cette nouvelle approche et sa traduction juridique contraste avec sa faible notoriété auprès de ceux qui sont supposés l’appliquer.

Tant du côté employeur que salariés, ces dispositions apparaissent méconnues et peu utilisées. Il s’agit pourtant de dispositions au fort contenu protecteur pour le salarié et assorties de sanctions dissuasives pour l’employeur.

Le Défenseur des droits déplore que « l’obligation d’aménagement raisonnable reste largement méconnue des employeurs et plus généralement des acteurs de l’insertion professionnelle des personnes handicapées et donc peu respectée ».

Du côté universitaire, on souligne que « la faiblesse du contentieux engagée sur le terrain des aménagements raisonnables en France soulève la question de l’effectivité des règles inscrites dans le Code du travail ».

Même du côté des administrations en charge de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, ce cadre juridique est très peu mis en avant.

Divers facteurs contribuent à expliquer cette situation

Une première raison, évidente, tient au caractère encore relativement récent des dispositions, introduites dans le droit français par la loi de 2005. Cette nouveauté pourrait suffire à expliquer leur faible mobilisation par les acteurs. Catégorie juridique originale dans le contexte français, le concept d’« aménagement raisonnable » n’a pas été accompagné d’un effort important de diffusion et d’explication.

Mais la très faible montée en charge du dispositif au cours de la décennie écoulée amène à rechercher d’autres facteurs explicatifs, comme :

le maintien des dispositions juridiques antérieures, qui est susceptible d’entraîner une certaine confusion dans l’esprit des acteurs. Ceux-ci, y compris au niveau des tribunaux, tendent à se référer de façon préférentielle à des dispositifs connus et éprouvés comme le droit au reclassement et à « oublier » le dispositif des aménagements raisonnables ;

la difficulté d’acclimater, dans la culture et les pratiques juridiques françaises, des notions qui nécessitent une appréciation au cas par cas, comme le caractère « approprié » d’un aménagement ou le niveau « disproportionné » des charges entraînées. Développées dans des pays où prédomine une approche jurisprudentielle du droit, elles se heurteraient en France à une certaine aversion des acteurs pour l’incertitude juridique qui en résulte, particulièrement en l’absence d’une jurisprudence étoffée sur la question.

la moindre judiciarisation de la société française. Si le recours au tribunaux constitue dans les pays anglo-saxons un mode d’action privilégié des personnes handicapées et de leurs organisations pour lutter contre les discriminations, il n’est pas une pratique courante dans notre pays, notamment dans le domaine de l’emploi. Le registre de l’action civile en particulier, dont la directive européenne a ouvert la voie pour obtenir réparation d’une discrimination indirecte, reste encore très peu fréquenté en France.

Dans le document Handicaps et emploi (Page 152-155)