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Les conditions d’une entreprise réellement inclusive

Dans le document Handicaps et emploi (Page 179-183)

4.4 L E MILIEU DE TRAVAIL ENVISAGÉ COMME UN CONTINUUM

4.4.1 Les conditions d’une entreprise réellement inclusive

La première étape d’un processus d’inclusion vise à combattre les idées reçues et les discriminations qui en résultent, à l’embauche comme dans l’emploi.

De ce point de vue, la réalité que fait apparaître l’activité du Défenseur des droits est en décalage avec « un certain discours ambiant trop optimiste et rassurant ».

Le handicap, en tant que tel, suscite encore de réels préjugés. Ceux-ci dépassent l’appréhension de contraintes ou difficultés objectives, que des mesures de compensation adaptées peuvent permettre de lever. Les comportements discriminatoires sont intégrés par les personnes susceptibles d’en être victimes. De ce fait, elles hésitent à faire état d’un handicap lorsqu’il n’est pas visible. Il y a là un engrenage particulièrement pervers car il peut mettre en échec les politiques mêmes qui sont censées combattre la discrimination. C’est le cas pour la procédure de reconnaissance administrative de handicap (RQTH), qui vise à faciliter l’emploi des personnes concernées.

Paradoxalement celle-ci peut être vue comme un obstacle potentiel à l’embauche et délibérément occultée par ceux qu’elle était supposée protéger (cf. partie 2.2.4.2).

Les préjugés sont particulièrement marqués à l’encontre du handicap psychique qui reste l’objet d’un ostracisme marqué, même pour des personnes stabilisées, disposant de qualifications et parfaitement à même de tenir un poste donné (cf. partie 3.2.1.3).

Dépasser les clichés, lutter contre l’incompréhension ou le malaise que suscitent trop souvent les situations de handicap, combattre les discriminations, ne se décrète pas.

Il s’agit d’une entreprise de longue haleine, indissociable des efforts déployés pour familiariser les enfants, dès leur plus jeune âge, avec les situations de handicap à travers l’ouverture de l’école. De

ce point de vue, l’inclusion à l’école prépare à l’inclusion dans l’emploi et l’une est indissociable de l’autre. Même si les efforts déployés dans le cadre scolaire ne produiront leur plein effet qu’en différé sur une génération, ils constituent un moteur puissant pour changer le regard et l’attitude envers le handicap comme le montre clairement l’exemple italien.

4.4.1.2 Accueillir les personnes en situation de handicap

L’insertion professionnelle d’un travailleur handicapé demande plus que la non-nocivité de l’environnement, plus même que la bienveillance de la communauté de travail, souvent soulignée à juste titre comme une condition essentielle d’inclusion. Elle peut nécessiter d’ajuster les exigences de productivité et de rythme de travail considérées comme « normales » dans l’entreprise.

La directive européenne de 2000 sur la non-discrimination prévoit expressément l’adaptation des rythmes de travail parmi les mesures appropriées « efficaces et pratiques » destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap.

En effet, des fragilités, physiques ou psychiques, peuvent entraîner une fatigabilité plus importante et un niveau plus faible de résistance au stress.

Des personnes peuvent être parfaitement « employables » dans l’absolu et en mesure d’exécuter un travail d’excellente qualité, sous réserve de l’exécuter à leur rythme, qui n’est pas forcément celui du milieu de travail dit « ordinaire ». Pour certaines d’entre elles, la seule nécessité de devoir satisfaire à des objectifs quantitatifs, même adaptés, dans un espace de temps contraint, peut suffire à générer un stress paralysant.

Cette problématique est très perceptible sur le terrain, notamment dans l’examen des cas individuels et dans les discussions d’orientation au niveau des MDPH. Elle est pourtant rarement évoquée de façon explicite. La « lenteur » reste un tabou dans un monde productif où la rapidité est vue comme un synonyme de performance, et qui promeut la réactivité, les « méthodes agiles » et autres « techniques d’accélération ».

Le défi est considérable, dans un environnement productif où une population active vieillissante est confrontée à l’intensification du travail et au bouleversement des techniques.

La mesure en est donnée par les statistiques de l’enquête Emploi selon laquelle plus de 4 millions de personnes en France font état de problèmes de santé durables liés à des conditions de travail pénibles, ou, pour plus de 1,5 million, liés au stress professionnel.

En 2010, l’Afnor a élaboré une norme « handi-accueillante » qui pose des exigences et recommandations pour la prise en compte des handicaps, notamment en termes d’accessibilité des locaux et de gestion des ressources humaines. Les principaux aspects de la vie professionnelle y sont décrits pour aider l’entreprise ou l’organisme employeur à se poser les bonnes questions liées au handicap et faciliter ainsi l’insertion de la personne handicapée.

La volonté de favoriser ce type d’approche est traduite dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, qui prévoit un label pour distinguer les entreprises réalisant des efforts pour accueillir les personnes en situation de handicap.

Article 171 de la loi Pacte

Les sociétés qui justifient la mise en place d’une politique d’accessibilité et d’inclusion des personnes handicapées peuvent se voir attribuer un label

Mais l’accueil des personnes handicapées restera une démarche marginale dans l’entreprise si elle ne trouve à s’appuyer sur une politique plus large de prise en compte de la diversité et des vulnérabilités de toute nature.

À défaut, il est difficile d’espérer beaucoup plus que :

au mieux, la prise en compte de cas ponctuels, au nom de la responsabilité sociale de l’entreprise et dans une approche éthique ou compassionnelle ;

au pire, un effort d’« optimisation » du dispositif de l’obligation d’emploi, l’objectif étant alors pour l’employeur de se mettre formellement en conformité avec la loi avec le moins d’effort possible (cf. partie 4.2.1.2).

Les démarches handicap et diversité, loin de se juxtaposer, devraient être traitées en étroite corrélation.

4.4.1.3 Prendre en compte les fragilités de toute nature dans l’organisation de l’entreprise

L’objectif d’une politique d’entreprise inclusive ne saurait se résumer à l’augmentation de la part des « RQTH » dans les effectifs, même si celle-ci constitue, dans le contexte actuel, un marqueur important et présente une valeur mobilisatrice.

Car la population en situation de handicap, on l’a vu, ne se résume pas à celle des bénéficiaires de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Une perspective élargie est nécessaire pour prévenir l’apparition de difficultés de santé ou de limitations fonctionnelles liées à l’activité professionnelle, ou, lorsqu’elles n’ont pu être évitées, à les prendre en compte pour éviter qu’elles ne s’aggravent.

La prise en compte des salariés par ailleurs aidants familiaux de personnes malades, handicapées ou en perte d’autonomie est un sujet de préoccupation. La création d’un congé rémunéré pour s’occuper d’un proche en fin de vie (loi Léonetti), ou d’une personne handicapées (congé non rémunéré), puis l’annonce lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 d’un congé « aidant rémunéré » sont des mesures de nature à prévenir l’usure des salariés aidants, et à améliorer l’aide aux personnes handicapées par une plus grande présence de leurs proches en activité professionnelle.

La volonté d’identifier et de protéger un nombre croissant de travailleurs, considérés comme fragilisés par une vulnérabilité ou un attribut personnel (âge, sexe, handicap, difficultés sociales…), peut paradoxalement conduire à une mise en concurrence des intéressés ainsi catégorisés. Cette concurrence peut s’exercer entre catégories ou à l’intérieur d’une même catégorie. Ainsi, parmi les personnes reconnues « travailleur handicapé », celles dont le handicap nécessite des aménagements substantiels trouveront plus difficilement à s’employer que celles porteuses d’une déficience plus légère, ou sans incidence dans l’emploi qu’elles exercent.

Le risque est d’autant plus grand que cette volonté d’inclusion s’exerce dans un contexte de mise en tension des organisations de travail, tirées par des objectifs de résultat toujours plus exigeants.

Cette tension réduit objectivement les marges de manœuvre des managers, sommés simultanément de prendre en compte les difficultés ou caractéristiques individuelles de leurs collaborateurs (restrictions d’aptitude, maladies chroniques évolutives, illettrisme, addiction, seniors, personnes en situation de handicap, etc.) et d’atteindre les objectifs de performance qui leur ont été fixés.

Ainsi, des organisations de travail qui se veulent flexibles mais sont conçues pour fonctionner au plus juste, s’avèrent finalement rigides et excluantes. Les aménagements nécessaires pour tenir compte des particularités individuelles, fussent-il raisonnables, se heurtent aux standards de

productivité attendus et conduisent à évincer les personnes qui rencontrent des freins pour les atteindre.

Parcours de Mme D : quand l’intensification des rythmes de travail réveille les fragilités et conduit à l’exclusion (extraits)

Mme D. souffre d’un handicap psychique repéré dès l’enfance mais longtemps non diagnostiqué.

Elle a suivi une scolarité « classique » et obtenu un BTS en bureautique et secrétariat trilingue.

Après cette formation elle a suivi un parcours professionnel diversifié de plusieurs années et dans plusieurs entreprises. Ensuite, en interim pendant quatre ans, elle garde de cette période le souvenir d’expériences « très formatrices », lui ayant permis « de découvrir tous les services, tous les bureaux ». Pendant cette même période, cependant, les symptômes de son handicap « commencent vraiment à se faire sentir », et deviennent invalidants.

Elle obtient alors une RQTH, et orientée par Cap emploi, elle connaît une expérience d’un an décevante dans une grande collectivité publique. Elle a enfin « la chance », par l’intermédiaire de son réseau familial, d’être orientée vers une grande entreprise, dans un secteur d’activité qu’elle ne connaît pas, qui « cherche à recruter des personnes handicapées pour leur quota ». Elle y est embauchée tellement rapidement qu’« elle n’y croyait pas ». Lors de son entretien d’embauche, elle

« n’est pas rentrée dans les détails » et est restée évasive concernant son handicap. Son employeur ne lui a pas posé beaucoup de questions, mais elle regrette qu’il « ait cru bon d’avertir tous ses collègues qu’elle était handicapée », car « elle avait d’emblée une étiquette sur le front quand elle est arrivée ».

Au fil des années, le climat se dégrade dans l’entreprise. Celle-ci est entrée dans un processus de

« restructurations permanentes ». Mme D. change fréquemment de manager, les équipes sont mutualisées, avec des gens « pas toujours compatibles les uns avec les autres ». La pression « au résultat » augmente sur les salariés, les cadences de production sont de plus en plus surveillées, l’entreprise acquiert une réputation de « galérien ». Mme D. entre alors en conflit avec son responsable direct, qui « lui mène la vie dure, comme d’ailleurs à de nombreuses autres personnes », lui disant ouvertement « qu’elle a un problème ». Les relations qu’elle entretient avec ses collègues se dégradent également. Alors que Mme D. bénéficie, en raison de son handicap, d’une « petite tolérance » en termes de rythme de production, certains collègues ne le comprennent pas, arguant qu’ils ont « eux aussi, des difficultés » – elle souffre alors du fait que son handicap n’est pas visible, et qu’elle doit donc « en permanence se justifier ». Au sein du collectif de travail, le rythme devient pour elle de plus en plus difficile à soutenir, au regard de l’impact de sa pathologie et des traitements médicamenteux.

Mme D. prend alors la décision « d’arrêter », parce qu’elle « n’en peut plus » et « ne veut pas y laisser sa peau ». Elle propose à son employeur une rupture conventionnelle de son contrat de travail […], qui lui paraît « plus propre » qu’un licenciement pour inaptitude, lui permettant, après 12 années passées dans l’entreprise, de partir « la tête haute », même si les conditions financières sont « peut-être moins intéressantes ».

Source : IGAS, Handicap et emploi : étude de parcours individuels, Betterich A., Drolez B., Legrand-Jung B., Rapport IGAS n° 2018-006R, août 2018

Il est possible de sortir d’un traitement au cas par cas de situations individuelles en privilégiant une approche organisationnelle pour l’ensemble du collectif de travail. Dans cette logique, les vulnérabilités des salariés n’interrogent plus tant sur l’aptitude individuelle de ces derniers à s’adapter aux exigences de l’organisation, mais sur l’aptitude de l’organisation à prendre en compte la diversité de la population au travail, ce qu’elle produit de richesse mais aussi de contraintes.

Cette approche revient à adapter le travail à l’homme, et à ses fragilités quelles qu’elles soient, y compris de façon préventive, conformément aux principes généraux de prévention contenus dans le Code du travail. Les exemples d’entreprises ayant conçu leur organisation et environnement de travail dans cette perspective montrent qu’elle peut être source d’une amélioration des conditions de travail pour tous et de gains de productivité.

Comment adapter le travail à l’homme et à ses fragilités

- Concevoir en amont avec les bureaux d’études et des méthodes, des produits, équipements et services conçus pour tous et utilisables par tous. Cette logique de conception universelle (universal design) n’exclut nullement les adaptations particulières rendues nécessaires pour accueillir les personnes plus lourdement handicapées ou présentant des caractéristiques très spécifiques. Mais elle est de nature à les faciliter et à en réduire le coût ;

- Demander aux travailleurs handicapés, lors de la construction d’une usine, d’un atelier, d’une chaine de production, l’installation de nouveaux logiciels, ce que représente pour eux un environnement sans obstacle (amélioration pour tous) ;

- Raisonner en termes de collectif pour organiser le travail. Un aménagement collectif est plus gérable que la somme d’arrangements individuels, parfois difficilement compatibles, qui peuvent conduire à une paralysie de l’organisation, voire à des incohérences et injustices, au sein des équipes. La déficience d’une personne, ou sa vulnérabilité, est une donnée dont il faut tenir compte pour organiser le travail;

- Conduire des entretiens collectifs ou individuels réguliers afin de veiller au maintien d’un environnement favorable (management du travail, adaptation de l’organisation, régulation, réversibilité…) ;

- Ne pas imputer les frais d’aménagement d’un poste au compte de l’équipe qui accueille la personne handicapée ;

- Sensibiliser/former les personnes qui vont devoir travailler avec une personne handicapée pour faciliter les échanges et la compréhension mutuelle, et l’aider à faire face aux défis du lieu de travail par un soutien personnel (tutorat, compagnonnage).

Une autre forme d’adaptation du travail réside dans l’existence d’un milieu de travail spécifiquement destiné à développer l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés : entreprises « adaptées » aux personnes en situation de handicap ou établissements médico-sociaux d’aide par un travail conçu pour les personnes les plus fragiles. Depuis une dizaine d’années ces entreprises et établissements tendent à s’ouvrir vers le milieu de travail « classique », afin de favoriser au maximum une intégration complète dans la société.

4.4.2

Esat et entreprises adaptées, une vraie utilité économique et sociale

Dans le document Handicaps et emploi (Page 179-183)