• Aucun résultat trouvé

Le travailleur handicapé « reconnu » administrativement

Dans le document Handicaps et emploi (Page 91-94)

3.1 L’ INSAISISSABLE TRAVAILLEUR HANDICAPÉ

3.1.1 Dénombrer les travailleurs handicapés : mission impossible ?

3.1.1.1 Le travailleur handicapé « reconnu » administrativement

Un premier niveau de réponse correspond à l’identification par l’administration d’une population présentant un certain nombre de critères qui la qualifient comme handicapée. Elle a, de ce fait, accès à un certain nombre de dispositifs ou d’aides réservées à cette situation. Cette population devrait donc pouvoir être mesurée à partir des statistiques issues de l’activité administrative.

Les statistiques d’origine institutionnelle

Dans le domaine de l’emploi c’est d’abord la qualification de travailleur handicapé, à travers la procédure de « reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », qui permet d’accéder à l’ensemble des dispositifs spécifiques prévus pour les travailleurs handicapés : notamment l’obligation d’emploi de 6 %, l’accompagnement par les Cap emploi, les aides de l’Agefiph ou du FIPHFP.

Les statistiques administratives comptabilisent le nombre de reconnaissances accordées chaque année. Elles ne permettent pas, en revanche, de connaître le volume de la population reconnue travailleur handicapé à une date donnée.

D'autres formes de reconnaissance administrative fondées sur d'autres procédures liées au handicap permettent également de bénéficier de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés sans passer par la procédure de reconnaissance : elles concernent essentiellement les titulaires de la pension d’invalidité, la carte d’invalidité, la rente d’accident du travail ou maladie professionnelle (AT-MP), l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

La statistique administrative permet de mesurer la population des « bénéficiaires de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (BEOTH) » en emploi à un moment donné dans un établissement privé ou public assujetti à l’obligation d’emploi.

Ce sont les services de l’Agefiph et du FIPHFP qui produisent cette statistique à partir de la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés (DOETH) remplie chaque année par les employeurs.

Pour l’année 2016, on dénombrait 690 000 bénéficiaires de l’obligation d’emploi dans les établissements assujettis :

460 000 dans le secteur privé (dont 75 % ont une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) ;

230 000 dans le secteur public (dont 54 % ont une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé).

Cette statistique permet de suivre le niveau de mise en œuvre de l’obligation d’emploi par les employeurs publics et privés. En revanche, elle ne fournit pas d’informations opérationnelles sur la population des travailleurs handicapés pour plusieurs raisons :

Par construction, les chiffres ne concernent que la population des travailleurs handicapés en emploi, à l’exception donc de ceux qui sont au chômage ou se sont retirés du marché du travail. Par ailleurs, ils ne couvrent que les travailleurs handicapés en emploi dans des établissements de plus de 20 salariés soumis à l’obligation d’emploi. Ce dernier point sera corrigé à l’avenir puisque la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 dite « avenir professionnel » a étendu l’obligation de déclaration à l’ensemble des établissements quelle que soit leur taille, ce qui devrait permettre d’avoir des chiffres plus complets sur l’emploi des personnes bénéficiaires de l’obligation d’emploi.

Paradoxalement, la population dite « bénéficiaire de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés » ne se limite pas aux personnes en situation de handicap. La loi étend le bénéfice de l’obligation d’emploi à des catégories de personnes qui ne sont pas nécessairement handicapées comme par exemple : les victimes civiles de guerre, les victimes d’actes de terrorisme, les pupilles de la Nation… La part de ces populations dans le chiffre total des bénéficiaires de l’obligation d’emploi est certes faible (1 % dans le secteur privé), mais leur ajout pose question quant à l’approche catégorielle de la population en situation de handicap.

Dans un avis récent, le Défenseur des droits a appelé à une révision des catégories énumérées

dans le Code du travail afin de recentrer l’obligation d’emploi sur les seules personnes handicapées.

On voit que le mode de recueil des statistiques précitées correspond plus à une logique de gestion administrative des dispositifs qu’à une logique de connaissance de la population en situation de handicap au travail et de ses caractéristiques.

Les statistiques recueillies par enquête

Pour dépasser ces contraintes, une autre façon d’appréhender le handicap administrativement reconnu consiste à interroger directement les personnes concernées.

C’est ce que fait l’enquête Emploi qui porte sur la population de 15 à 64 ans. Cette enquête identifie en son sein une catégorie de « personnes bénéficiaires d’une reconnaissance administrative du handicap » qui couvre les dispositifs mentionnés ci-dessus : RQTH, pension d’invalidité, carte d’invalidité, rente d’accident du travail ou maladie professionnelle (AT-MP), allocation aux adultes handicapés (AAH).

Le module handicap de l’enquête Emploi réalisé en 2011 évaluait à 2 millions le nombre de personnes bénéficiant d’une reconnaissance administrative du handicap dont 1,1 million de RQTH, soit 59 % du total.

La « reconnaissance administrative du handicap » désignée dans l’enquête Emploi est multiforme et relève de plusieurs acteurs, notamment :

les commissions départementales des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, pour la RQTH et l’AAH ;

le régime d’assurance maladie, pour la pension d’invalidité ;

le régime d’assurance accidents du travail et maladies professionnelles, pour la rente AT-MP.

Une personne peut être titulaire de plusieurs reconnaissances administratives. Ainsi, en 2011, 30 % des personnes ayant une reconnaissance administrative cumulaient trois types de reconnaissance ou plus.

Le dernier résultat disponible sur la base de l’enquête Emploi évalue à 2,8 millions le nombre de personnes bénéficiant d’une reconnaissance administrative de handicap en 2017. En six ans, entre 2011 et 2017, le nombre de personnes en âge de travailler bénéficiant d’une reconnaissance administrative de handicap est passé de 2 millions à 2,8 millions et a donc augmenté de 40 % selon les résultats de l’enquête Emploi.

Le biais de la logique administrative

Qu’elle soit mesurée sur la base des remontées de gestion des dispositifs ou par enquête auprès des personnes, dans tous les cas l’approche par le handicap reconnu correspond à une construction administrative et comporte un certain nombre de biais inhérents à la logique institutionnelle.

Le nombre des travailleurs handicapés dépend non seulement de la façon dont ceux-ci sont définis par les textes législatifs et réglementaires mais aussi de la façon dont ces textes sont interprétés et appliqués par les institutions et les professionnels en charge, ainsi que du comportement des personnes susceptibles d’en bénéficier et notamment des phénomènes de non-recours.

« Alors même que le handicap peut être vécu de différentes façons, […] ce qui unifie finalement les populations visées par la catégorie de handicap ne tient ni à une approche médicale (la reconnaissance commune de déficiences) ni à une approche sociale (l’expérience de l’inaccessibilité

de l’espace public), mais bien à l’application à un ensemble d’individus d’un même label, d’instruments épars mais identiques et à l’inscription de ceux-ci dans un même "monde local de production de droits". […]

Ce secteur – à la manière de beaucoup d’autres – repose davantage sur les instruments qui ont charpenté les relations entre les acteurs plutôt que sur une définition explicite, objective et communément admise des limites du champ d’action et des principes qui lui sont appliqués. […] La mise en équivalence de segments épars de population […] se réalise à l’aide d’instruments d’action publique identiques (barèmes, grilles d’évaluation, formulaires, prestations, droits, institutions spécialisées et professionnels plus ou moins spécifiquement dédiés). […] Cette construction instrumentale a pour conséquence de laisser la définition des frontières des populations concernées dans le flou. »

L’empilement des dispositifs et des définitions illustre cette difficulté à appréhender les catégories administratives comme un outil de définition du handicap.

Dans le document Handicaps et emploi (Page 91-94)