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Une « complexité inouïe »

Dans le document Handicaps et emploi (Page 58-61)

2.2 L ES FISSURES INTERNES DU SYSTÈME

2.2.2 Une « complexité inouïe »

De multiples rapports et spécialistes du sujet s’accordent à considérer que la complexité administrative atteint un degré extrême dans le champ du handicap : « complexité inouïe » ,

« sidérante » , « probablement sans égale dans tout le système administratif français », « maquis institutionnel », « écheveau opaque », « système en apnée, traversé par la défiance », engendrant des « situations ubuesques ».

Trois rapports récents, chacun avec leurs mots, décrivent les conséquences pour les personnes handicapées de cette complexité :

Le rapport de Dominique Gillot, remis en juin 2018

« Les parcours professionnels des personnes handicapées restent marqués par une grande complexité. L’écheveau des institutions et des dispositifs reste opaque pour les personnes, source de découragement et d’iniquité dans l’accès aux droits. Les personnes ne sont pas toujours placées en position de définir par elles-mêmes, ou même à défaut de « s’approprier » le choix de leur orientation. Leurs parcours d’accès à l’emploi sont fragmentés, marqués par une succession de prises en charge par des interlocuteurs et référents […]. »

Le rapport d’Adrien Taquet et Jean-François Serres, remis en mai 2018

« Durant six mois, nous avons lu des milliers de témoignages dans lesquels se multiplient des situations ubuesques et des ruptures de droit qui dépassent l’entendement. […] Nous avons vu la rage, la révolte, le désespoir, nous avons perçu la peur de ceux qui sentent la pente du déclassement social […]. Nous avons rencontré des agents de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui « bricolent » pour faire fonctionner un système grippé, espérant répondre

au mieux aux attentes des personnes. Nous avons vu beaucoup de souffrance et d’incompréhension, de situations compliquées que le système rend plus compliquées encore. »

Les observations de la Rapporteure de l’ONU sur les droits des personnes handicapées

« L’abondance de prestations, services et structures est telle qu’il est difficile pour les personnes handicapées de s’y retrouver. D’autre part, le fort cloisonnement des différentes mesures, et leurs chevauchements fréquents, empêchent une gestion efficace des ressources et l’offre de solutions appropriées aux besoins des personnes handicapées. »

2.2.2.2 Le mille-feuille des dispositifs

Une offre de service (sur) abondante…

Il ne manque pas d’outils pour procéder à l’évaluation et à l’orientation des demandeurs d’emploi en situation de handicap. De nombreux dispositifs spécifiques ont été développés à cet effet, qui s’ajoutent aux outils de droit commun mobilisables par le service public de l’emploi.

La comparaison des aides offertes par l’Agefiph d’un côté, par le FIPHFP de l’autre, fait apparaître de multiples différences, pour les aménagements de poste ou du véhicule, pour la prise en charge des frais de transports, pour l’accompagnement humain, etc. Un exemple parmi d’autres est fourni par les dispositifs en faveur de l’apprentissage, pour lesquelles on compte trois dispositifs spécifiques, déclinés de façon différente par l’Agefiph et le Fiphfp, et comportant chacun plusieurs niveaux d’aide.

Forfait de 1 525 €. Forfait selon l’âge de l’apprenti : entre 1 000 € et 3 000€.

Source : IGAS-IGF, Le mode de financement de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, Auvigne F., Branchu C., Drolez B., Walraet E., Rapport IGAS n° 2017-083R, Rapport IGF n° 2017-M-044, décembre 2017 Un autre exemple est fourni par la « prestation d’appui spécifique » (PAS) qui figure au nombre des outils développés par l’Agefiph pour la construction du projet professionnel. Cette prestation recouvre elle-même cinq types de prestations différentes. La charge de la complexité pèse alors sur le prescripteur de terrain (appelé dans ce dispositif « prestataire expert du handicap »).

La concertation sur la transformation de l’offre de services menée au cours du deuxième semestre 2018 par la secrétariat d’État chargée des personnes handicapées a bien mis en évidence « une grande diversité de propositions d’accompagnement disponibles, mais sans véritable coordination, visibilité ni transparence ». En effet, loin de procéder d’une vision stratégique des besoins, l’offre a été construite par ajouts successifs et par juxtaposition des « catalogues » propres à chaque

institution. Selon le rapport IGAS-IGF de 2017, « le guide Metodia (mode d’emploi technique de l’offre d’intervention) de l’Agefiph liste 32 aides et le catalogue des interventions du FIPHFP en décrit 34 ».

L’Agefiph a depuis accompli un effort important pour resserrer et simplifier son offre qui reste cependant très fournie : on recensait en août 2018 pas moins de 14 prestations spécifiques pour construire un projet professionnel et 11 prestations spécifiques pour la formation. Toutes ne bénéficient pas du même niveau de notoriété et leur degré de mobilisation est très variable.

…. qui engendre des effets pervers

Paradoxalement, la richesse de l’offre entraîne nombre d’effets pervers. Ceux-ci sont particulièrement documentés pour ce qui concerne l’acteur majeur que constitue l’Agefiph, mais les observations pourraient s’appliquer à d’autres institutions.

Le revers de la médaille

Une évaluation réalisée en 2015, à la demande de l’Agefiph, soulignait que « le revers de la médaille d’une offre étendue, multiforme, multi-leviers, très technique, multi-partenariale, combinant des mesures phares et d’autres plus confidentielles, réside dans les difficultés importantes posées pour sa lisibilité et son appropriation, qui dans les faits restent difficiles et limitées. […] L’offre d’intervention reste très fragmentée. Du point de vue des partenaires et prescripteurs concernés, elle n’est pas encore tout à fait la

« boîte à outils » comprenant un nombre limité d’aides, facilement mobilisables » telle qu’elle est souhaitée par le conseil d’administration de l’Agefiph.

Source : Amnyos, TH Conseil, la Voix du client, Évaluation de l’offre d’interventions 2012-2015 de l’Agefiph, 28 juillet 2015

Une offre trop foisonnante pour être connue de tous

Les dispositifs sont trop nombreux pour être connus de tous. Chaque institution connaît et promeut d’abord son offre de services. Si les personnes reconnues handicapées peuvent bénéficier à la fois des offres de droit commun de Pôle emploi – déjà nombreuses – et des offres proposées par les acteurs spécialisés, les conseillers ont logiquement tendance à prescrire les aides qu’ils connaissent et dont ils ont l’habitude.

« Ainsi, l’accès de Pôle emploi à l’offre de services de l’Agefiph en matière d’accompagnement reste très limité. L’évaluation de l’offre réalisée en 2015 montre que Pôle emploi n’est à l’origine que de 9 % de la prescription des aides de l’Agefiph. Ces faibles niveaux de prescription de la part de l’opérateur qui accompagne les trois-quarts des demandeurs d’emploi reconnus handicapés posent question en termes de priorisation des publics et d’équité, dans un contexte de moyens nécessairement limités. De manière symétrique, si les Cap emploi connaissent beaucoup mieux l’offre de services de Pôle emploi, ils ne la mobilisent que peu, à l’exception de certains dispositifs spécifiques (tels que la mise en situation en milieu professionnel) et soulignent souvent les difficultés qu’ils rencontrent pour y accéder, soit parce qu’ils ne sont pas prescripteurs directs des aides et dispositifs, soit parce qu’ils n’ont pas accès en temps voulu à l’information sur leur disponibilité. »

Une offre trop rigide pour s’adapter aux besoins

Soucieuses de répondre à la diversité des situations que recouvre le handicap, les institutions tendent généralement à multiplier les dispositifs pointus supposés répondre à chaque cas de figure, plutôt qu’à définir des dispositifs souples et adaptables sur le terrain. Cette manière de procéder engendre de réelles difficultés :

elle revêt un caractère inflationniste, par l’ajout de formules nouvelles, ciblées pour répondre aux attentes et besoins non satisfaits ;

elle conduit les institutions à de fréquentes modifications de l’offre, définies de façon centralisée, qui accroissent les difficultés d’adaptation sur le terrain ;

la multiplication des dispositifs ne suffit pas à saisir la variété des cas de figure possibles et contraint trop souvent les professionnels de l’accompagnement à de délicats exercices d’acrobatie administrative pour faire tant bien que mal « rentrer dans les cases » les situations individuelles auxquelles ils sont confrontés.

Une initiative intéressante du côté de l’Agefiph ouvre des possibilités d’interventions dérogatoires à ses délégations régionales afin de répondre à des besoins non identifiés dans l’éventail des aides existantes. Mais cette modalité est encore peu utilisée, ce qui peut s’expliquer par un défaut de notoriété compte tenu de son caractère récent, ou par le décalage avec une culture peu encline à favoriser l’initiative au niveau local.

2.2.3

La recherche désespérée de la coordination

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