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L’accessibilité en défaut

Dans le document Handicaps et emploi (Page 48-52)

2.1 L E NOUVEAU PAYSAGE DU HANDICAP

2.1.3 Les retards français

2.1.3.2 L’accessibilité en défaut

Dans son rapport précité, la Rapporteure spéciale de l’ONU indique avoir « reçu de nombreuses plaintes concernant les obstacles que les personnes handicapées rencontraient au quotidien en raison du manque d’accessibilité ». Les difficultés d’accès aux transports publics notamment sont

« un obstacle majeur qui compromet l’exercice du droit des personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie ».

Un enjeu majeur pour l’emploi

Souvent négligée lorsqu’on examine la problématique d’insertion professionnelle, l’accessibilité constitue pourtant une condition essentielle, qui ne se limite pas au lieu de travail.

En effet « l’employabilité » d’une personne handicapée dépend de la possibilité pour elle de trouver un domicile accessible et adapté à ses besoins, relié par des moyens de transport accessibles à un lieu de travail lui-même accessible, sur un poste aménagé de façon à compenser ou limiter la situation de handicap.

L’exercice professionnel lui-même peut impliquer des déplacements qui constituent autant d’obstacles si l’accessibilité n’est pas assurée.

Handicap moteur et déplacements professionnels : le témoignage de Madame M.

En fauteuil roulant depuis plusieurs années, je voyage la peur au ventre. Pourtant, les trajets professionnels pour Paris sont une habitude depuis plus de 20 ans. Depuis mon handicap, l’organisation de mes trajets pour la moindre réunion dans les agences ou les ministères est devenue très compliquée.

Les complications commencent dès la réservation de mon billet de train. Avec une seule place handicapée par TGV (parfois deux dans les nouveaux modèles), il est impératif de s’y prendre à l’avance. Il faut connaître les dates et horaires de la réunion prévue et parfois imposer aux collègues cette contrainte.

Ambitionner de prendre le train en fauteuil est aussi un pari risqué, où tout imprévu est difficilement rattrapable. Pour que le service Accès Plus vous amène effectivement au train, il faut arriver à l’accueil au moins 30 minutes avant le départ du train.

Parfois liés à la SNCF, les soucis s’accumulent : la panne de l’élévateur, ou de la porte de la voiture où se trouve la place handicapée, un changement de quai de dernière minute… et même un train trop chargé, il faudra attendre le train d’après, pendant que tous les voyageurs valides partent à l’heure prévue… Parfois, il faut laisser passer un voire deux TGV avant de finalement pouvoir monter à bord.

Ces procédures ont un coût : depuis six ans, je sais qu’il faut prendre un billet échangeable, plus coûteux, mais qui sera remboursé en cas de « retard », alors que ce retard est imputable au service.

Une fois arrivée en gare à Paris, le service Accès Plus vient me chercher dans le train. Mais il n’a pas l’autorisation de m’accompagner jusqu’au bus. Si certains dérogent gentiment à la règle, d’autres appliquent strictement le règlement. Ils me laissent devant la gare, avec sacs ou valises par terre (donc inaccessibles pour moi), voire les freins de mon fauteuil bloqués.

On pourrait penser au taxi. Mais les taxis adaptés sont en nombre insuffisant. L’adaptation de la voiture est coûteuse et, selon les chauffeurs de taxis interrogés, les aides publiques sont loin de la compenser. Les métros parisiens ne sont pas non plus accessibles. Une solution alternative existe par le biais de transporteurs. Le réseau PAM 75 est réservé aux franciliens, donc inutile pour un résident de province ou un visiteur étranger. D’autres transporteurs existent, proposés par des associations. Même en les contactant au moins deux semaines à l’avance, il est très difficile de les réserver pour mes réunions.

Bien heureusement, le service Accès Plus a été mis en place par la SNCF. Mais il est dommage que les personnels SNCF généralement compétents et serviables soient remplacés par des sous-traitants, dont beaucoup ne sont pas sensibilisés ni intéressés par le problème.

Malgré les complications, les bâtons dans les roues, parfois la nécessité de rester un jour de plus sur Paris, c’est souvent grâce à l’aide de voyageurs ou de personnels SNCF dont ce n’est pas la mission,

mais choqués de voir la maltraitance dont font l’objet les personnes handicapées, que j’ai réussi à faire plus de 100 trajets en six ans vers Paris.

Source : extraits d’un témoignage recueilli par l’IGAS

Une mise en œuvre toujours reportée

L’objectif d’accessibilité a été plusieurs fois réaffirmé au niveau législatif depuis 1975. Mais sa mise en œuvre n’est toujours pas achevée en 2019, soit 44 ans après.

La loi du 11 février 2005 rend obligatoire l’accessibilité à l’horizon 2015 de toute la chaîne comprenant le cadre bâti, la voirie, les aménagements des espaces publics, les systèmes de transport.

Constatant les difficultés de mise en œuvre, l’ordonnance du 26 septembre 2014, ratifiée par la loi du 5 août 2015, a reporté d’une durée pouvant aller jusqu’à neuf ans le délai de mise en accessibilité des infrastructures et des transports, et a introduit plusieurs dérogations et exceptions, y compris pour les nouveaux bâtiments publics. Des Agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) doivent être adoptés par les établissements recevant du public et en matière de transport public pour accélérer la mise en conformité.

Au 1er mai 2016, sur plus d’un million d’établissements ouverts au public, seuls 300 000 étaient pleinement accessibles.

S’agissant du logement, la loi du 23 novembre 2018 (dite loi Elan) portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, contient de nouvelles dispositions qui assouplissent les normes d’accessibilité pour la construction des bâtiments collectifs à usage de logements. Elle réduit de 100 % à 20 % la proportion de logements accessibles aux personnes handicapées dans la construction neuve. Pour le reste, est substituée à la norme d’accessibilité celle d’« évolutivité » (logement construit et agencé de manière à pouvoir être ultérieurement rendu accessible à l’issue de travaux simples).

Consulté sur le projet de loi, le Défenseur des droits estimait dans son avis du 11 mai 2018 qu’en réduisant fortement le quota de logements accessibles ces mesures « contreviennent au principe d’accessibilité universelle consacré par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et à une obligation qui existait dans le droit français dès la loi du 30 juin 1975 ».

Une approche restrictive

Contrainte spécifique ou nécessité universelle

La loi de 2005 est la seule à envisager l’accessibilité dans une perspective large, s’adressant à tous : « Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d'habitation, qu'ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique. »

Mais les lois qui suivent reprennent une approche de l’accessibilité mise en œuvre pour les seules personnes handicapées ou à mobilité réduite. Cette limitation est en contradiction avec la

« conception universelle », définie à l’article 2 de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées comme : « la conception de produits, d’équipements et de services qui puissent être utilisés par tous, dans la mesure du possible, sans nécessiter ni adaptation ni

conception spéciale. La "conception universelle" n’exclut pas les appareils et accessoires fonctionnels pour des catégories particulières de personnes handicapées là où ils sont. »

Car la problématique de l’accessibilité n’est pas limitée à une catégorie de population : ainsi le Défenseur des droits souligne-t-il, dans l’avis précité, que la limitation du pourcentage de logements accessibles semble peu compatible avec les besoins des personnes en situation de handicap et avec l’évolution globale des besoins de l’ensemble de la population compte tenu de son vieillissement. En effet, quand bien même un logement serait occupé par des personnes

« valides », s’il n’était pas pleinement accessible, ces dernières ne pourraient pas inviter ou héberger des amis ou parents handicapés, privant ces derniers de participation sociale.

Applications matérielles ou immatérielles

L’accessibilité est généralement limitée à une vision matérielle, qui envisage la configuration physique des bâtiments et équipements. Mais la problématique se pose dans bien d’autres domaines.

Le rapport de l’ONU précité aborde ainsi la question des modes d’information et de communication. Alors que la langue des signes française est reconnue comme langue officielle par la loi de 2005, le manque d’interprètes formés (400 interprètes pour la France entière) limite l’accès à l’information des 120 000 personnes sourdes et 360 000 malentendantes à l’information parlée et à certains services publics de base, quand bien même des efforts sont faits par nombre d’entre eux. La Rapporteure spéciale de l’ONU souligne également que « les informations sont rarement présentées sous des formes faciles à lire et à comprendre » et que

« les techniques de communication améliorées et alternatives restent extrêmement peu utilisées et méconnues ».

Un cadre législatif pour l’accessibilité numérique

La question de l’accessibilité numérique a fait l’objet de développements législatifs récents au niveau national et européen.

La loi du 11 février 2005 définit, dans son article 47, une obligation d’« accessibilité des services de communication publique en ligne des services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent » pour les personnes handicapées.

L’article 106 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique étend cette obligation au secteur privé pour les grandes entreprises.

Au même moment, le 26 octobre 2016, est adoptée au niveau européen une directive sur l’accessibilité numérique dans le secteur public (directive 2016/2102). Celle-ci fait des référentiels internationaux le standard minimum pour toute l’Europe. Elle se fonde sur une conception universelle de l’accessibilité : les standards définis ne s’appliquent pas uniquement aux personnes handicapées mais à toute personne susceptible d’être en situation d’exclusion par rapport au numérique. Par ailleurs, ce texte applique au numérique le concept des « aménagements raisonnables ».

La transposition de cette directive est faite par la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, dans ses articles 80 et 81, lesquels se situent toutefois dans le chapitre consacré aux travailleurs handicapés, en décalage donc par rapport à la perspective « universelle » de la directive.

Les lieux de travail, parents pauvres

Si les lieux de travail sont cités par la loi de 2005, ils ne sont pas repris dans les textes suivants relatifs à l’accessibilité, notamment dans l’ordonnance de 2014 précitée qui prévoit les agendas d’accessibilité.

L’accessibilité des lieux de travail est définie par le Code du travail, à travers deux séries de textes règlementaires qui distinguent entre locaux neufs et locaux existants :

dans les bâtiments neufs (ou les bâtiments existants ayant donné lieu à des aménagements substantiels), les dispositions applicables aux maîtres d’ouvrage lors de la conception de lieux de travail prévoient une obligation d’accessibilité aux travailleurs handicapés : « les lieux de travail, y compris les locaux annexes, aménagés dans un bâtiment neuf ou dans la partie neuve d’un bâtiment existant sont accessibles aux personnes handicapées, quel que soit leur type de handicap » (articles R. 4214-26 et suivants du Code du travail) ;

en dehors de ce cas, la portée des dispositions applicables aux employeurs utilisateurs de locaux de travail est beaucoup plus restreinte. Elle se limite aux aménagements indispensables en cas d’accueil d’un travailleur handicapé. La formulation retenue reste en deçà d’une obligation d’accessibilité.

Ainsi, les entreprises ne sont pas contraintes par les textes de faire des aménagements de locaux conformément aux exigences d’accessibilité des bâtiments neufs, dès lors qu’elles n’occupent pas de tels bâtiments. Par ailleurs, comme dans d’autres lois votées sur l’accessibilité, les aménagements apparaissent destinés aux travailleurs handicapés et non conçus dans une perspective d’accessibilité universelle.

Dans le document Handicaps et emploi (Page 48-52)