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L’émergence du modèle social

Dans le document Handicaps et emploi (Page 38-43)

2.1 L E NOUVEAU PAYSAGE DU HANDICAP

2.1.1 L’émergence du modèle social

La classification du handicap procède à l’origine d’une approche médicale. Le passage d’une vision portée par les médecins et fondée sur les déficiences individuelles à une approche sociale, mettant l’accent sur les environnements de vie et de travail, s’est échelonné sur plus d’un siècle.

Quelques jalons historiques

1893 Classification internationale des causes de décès

1948 6e classification internationale des maladies et des causes de décès (CIM)

1980 Classification des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) Le handicap comme conséquence d’une pathologie individuelle

2001

Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) Le handicap comme produit de la rencontre entre un problème de santé

individuel et des obstacles environnementaux

2.1.1.1 La vision classique du handicap : individuelle et médicale

Les classifications internationales des causes de décès, d’une part, et des causes de maladies, d’autre part, ont cheminé parallèlement jusqu’en 1948 où elles ont fusionné en une seule et même classification. En effet, dès sa création en 1945, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se voit confier l’évolution et la mise à jour de la cinquième révision de la classification des causes de décès.

La proposition, faite sans succès en 1938 par les autorités canadiennes, d'y joindre les causes de maladies est, cette fois, validée et la classification statistique internationale des maladies, traumatismes et causes de décès est adoptée en 1948.

Dans les années de l’après-guerre, les progrès de la santé publique qui se traduisent par l’augmentation de l’espérance de vie, la chronicisation de certaines pathologies, et le développement des séquelles des maladies soignées, la création d’une médecine de réadaptation, conduisent à dépasser cette première classification. Il ne s’agit plus seulement d’établir et de compléter un registre des maladies, mais également d’en mesurer les conséquences. À l’occasion de la préparation de la neuvième révision de la CIM, des recommandations sont formulées en 1975 pour développer une classification supplémentaire dédiée au handicap. Ce sera chose faite avec la publication, sous la direction du rhumatologue Philippe Wood, de « la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps », adoptée par l’assemblée générale de l’OMS en 1980.

L’analyse du processus conduisant au handicap y est définie en trois étapes, que l’on peut illustrer à travers l’exemple ci-dessous d’un carreleur s’étant facturé le fémur.

Le processus conduisant au handicap : l’exemple d’un carreleur s’étant fracturé le fémur

Source : Formation au guide-barème effectuée par la Direction générale de la cohésion sociale (2004, actualisation 2010)

Le schéma de Wood franchit une étape par rapport au modèle médical classique dans la mesure où il introduit une notion de désavantage social. Mais, en établissant une relation linéaire de cause à effet entre les déficiences de la personne et les désavantages qu’elle subit, l’approche demeure celle d’« un modèle individuel expliquant l’expérience sociale négative des personnes par leurs attributs personnels ».

De la classification de 1948 (CIM) à celle de 1980 (CIDIH), on garde le cœur biomédical mais en passant d’un premier modèle curatif, focalisé sur les lésions avec l’objectif traditionnel de guérison, à un modèle réadaptatif (celui des « rehabilitation sciences »), centré sur les notions de déficiences et de fonctions et faisant place au désavantage social. La déficience et l’incapacité doivent être compensées, réparées et permettre « malgré tout » une adaptation au monde social. La multitude des services et établissements que les sociétés contemporaines développées ont mis sur pied pour les personnes handicapées procède de cette approche, fondée sur un objectif de réadaptation.

2.1.1.2 L’accent mis sur les facteurs sociaux et environnementaux

La publication de la classification des déficiences, incapacités et handicaps se heurte aux critiques du mouvement international des personnes handicapées qui met en cause :

un regard sur le handicap formulé en termes négatifs : déficiences, incapacités, désavantage ;

une relation linéaire qui va de la déficience vers le handicap ;

une approche en termes individuels qui suggère des interventions ciblées sur la personne (soins, rééducation, etc.) au lieu de modifications de l’environnement.

Ce mouvement de contestation, porté par le courant issu des disability studies, prône un troisième modèle dit « modèle social du handicap » : là où le chemin de la CIDIH va essentiellement de l’individu à la société et en reste à l’idée de compensation, le nouveau courant estime qu’il faut changer de paradigme et partir de la société et de ses barrières. Il explique la situation de handicap vécue par une personne par l’ensemble des barrières physiques et socio-culturelles faisant obstacle à sa participation sociale et à l’exercice de sa pleine citoyenneté. Dans cette conception, ce n’est plus la personne qui doit s’adapter à l’environnement, mais l’environnement qui doit s’adapter à la personne. Selon les promoteurs de cette approche, le handicap est une construction sociale et non un attribut fixe d’un individu. Celui-ci est un sujet de droits et non un objet de soins.

Le modèle social du handicap a été porté au niveau international par les mouvements militants de personnes handicapées qui émergent aux États-Unis dans les années 70, dont l’un des plus représentatifs est l’Independant Living Movement, né en Californie à l’initiative d’étudiants handicapés de l’université de Berkeley. Ces mouvements sont porteurs d’une vision politique du handicap. Ils visent l’émancipation (empowerment) des personnes concernées qui doivent être mises en situation de décider pour elles-mêmes et de participer pleinement et sur un plan d’égalité à la vie sociale dans toutes ses composantes.

Un exemple simple permet d’illustrer concrètement les différentes approches du handicap et leurs implications opérationnelles :

Les différentes approches du handicap

Une personne arrive en fauteuil roulant en bas de l’escalier menant au bureau de poste et ne peut pas rentrer. Pourquoi ?

Action : guérir ou prévenir la maladie

(ex. : dépistage prénatal, vaccination contre la

Source : D’après Rioux M.-H., « Disability : the place of judgement in a world of fact », Journal of Intellectual Disability Research, 1997, 41 (2) et Ravaud J.-F., « Modèle individuel, modèle médical, modèle social : la question du sujet », Handicap. Revue de sciences humaines et sociales, n°81, 1999

On voit à travers cet exemple qu’au-delà du débat conceptuel, la façon d’approcher le handicap a des répercussions concrètes sur les politiques et les actions à mettre en œuvre. Celles-ci vont, selon le cas, privilégier :

soit une intervention centrée sur la personne, visant à réparer, réadapter ou compenser les limitations subies ;

soit une intervention centrée sur l’environnement, visant à éliminer les barrières susceptibles de générer des situations de handicap et à concevoir un cadre permettant l’égale participation de tous.

2.1.1.3 Le compromis : une approche du handicap fondée sur l’interaction des facteurs

Confrontée à ces débats, l’OMS est à la recherche d’un compromis, qui aboutit à l’adoption en 2001 d’une nouvelle classification : la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF – ou International classification of functionning, disability and health, ICF). Le handicap y est désormais défini comme une restriction de la participation sociale résultant de l’interaction entre une limitation d’activité, consécutive à un problème de santé, et des obstacles environnementaux. Cette nouvelle classification, qui permet d’intégrer dans une approche systémique les deux modèles du handicap – médical et social – marque une rupture par rapport à la vision classique du handicap développée au XXe siècle.

Le handicap n’est plus un attribut de la personne, un état individuel. C’est un concept dynamique qui décrit le fonctionnement d’une personne, avec ses caractéristiques propres, dans un environnement donné. Par ailleurs, le handicap n’est plus une spécificité définissant un groupe de personnes différentes des autres. C’est un phénomène humain universel, qui concerne tout un chacun.

Les schémas ci-dessous illustrent la différence avec l’approche linéaire de la précédente classification. Dans l’approche interactive, les facteurs environnementaux et personnels agissent sur la participation et l’activité de la personne, tout comme les problèmes de santé.

La déficience correspond à toute perte, malformation, anomalie d’un organe, d’une structure ou d’une fonction mentale, psychologique ou anatomique.

L’incapacité correspond à toute réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain.

Le handicap est le désavantage social pour un individu donné résultant d’une déficience ou d’une incapacité, qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle considéré comme normal, compte tenu de l’âge, du sexe, des facteurs sociaux et culturels.

Dans le contexte de la santé…

Les fonctions organiques désignent les fonctions physiologiques des systèmes organiques (y compris les fonctions psychologiques). Les structures anatomiques désignent les parties anatomiques du corps, telles que les organes, les membres et leurs composantes. Les déficiences désignent des problèmes dans la fonction organique ou la structure anatomique, tels qu’un écart ou un perte importante.

Une activité désigne l’exécution d’une tâche ou d’une action par une personne. Les limitations d’activités désignent les difficultés qu’une personne rencontre dans l’exécution d’activités.

La participation désigne l’implication d’une personne dans une situation de vie réelle. Les restrictions de participation désignent les problèmes qu’une personne peut rencontrer dans son implication dans une situation de vie réelle. Les facteurs environnementaux désignent l’environnement physique, social et comportemental dans lequel les gens mènent leur vie.

Cette nouvelle classification conforte le point d’entrée biomédical présidant aux déficiences/incapacités de la classification de Wood mais :

elle substitue au triptyque « fonctions et structures/activités/participation » celui des déficiences/incapacités/désavantage ;

elle diversifie les chemins entre les trois notions au lieu de se limiter à un lien de cause à effet univoque ;

elle intègre les facteurs personnels et environnementaux comme influençant les trois facteurs de base.

« Il en résulte trois conséquences essentielles :

la classification ne peut plus consister en une liste de difficultés (“ce qui ne va pas") car elle fournirait alors un instrument au service de la discrimination. Elle devient une description universelle du fonctionnement humain, présentée de manière neutre ;

elle introduit la notion de "participation" dans tous les domaines de la vie humaine (dont la vie professionnelle). Dès lors l’enjeu consiste à traiter les obstacles sociaux, ou l’insuffisance des "facilitateurs" nécessaires, qui s’opposent à la pleine participation de tous ;

en lien avec cet objectif, la classification inclut désormais une liste très large de facteurs environnementaux. »

Dans le document Handicaps et emploi (Page 38-43)