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Une formation primaire aux quatre coins du Québec

Chapitre 2: Aux fondements d’une trajectoire intellectuelle (1909-1937)

2.2 Les années de jeunesse et de scolarité : un regard introspectif

2.2.1 Une formation primaire aux quatre coins du Québec

Tel que mentionné précédemment, Albert Angers est contraint en 1914 de cesser de pratiquer la médecine à partir de son cabinet de la rue Saint-Joseph. Cherchant une solution, il tombe sur une annonce publiée par le gouvernement dans le journal Le Soleil10. Celle-ci mentionne que l’on cherche un médecin-praticien désireux de s’établir dans le

8 Le mariage avec une jeune femme issue d’une famille fortunée permettant d’établir un bureau était une

pratique relativement courante pour l’époque, surtout pour de jeunes médecins issus de familles modestes ou de milieux ruraux. Cette réalité illustre la précarité d’emploi liée à la profession de médecin, qui fut longtemps marquée par des conditions de travail incertaines et par une instabilité financière qui força plusieurs praticiens, dont Albert Angers, à accepter des postes temporaires dans des régions éloignées. Sur le sujet, on consultera l’ouvrage de Denis Goulet et Robert Gagnon, Histoire de la médecine au Québec, 1800-2000. De

l’art de soigner à la science de guérir, Québec, Septentrion, 2014, 456 p.

9 C’est là une des caractéristiques particulières du parcours d’Angers, qui le distingue de la plupart des

intellectuels et militants traditionalistes qui ont, pour la plupart, fait leur cours classique.

65 village d’Armagh, dans le comté de Bellechasse. Le gouvernement offre une généreuse subvention dans le cadre d’un projet d’établissement de médecins dans les régions éloignées, proposant un salaire compétitif, une résidence à prix modique ainsi qu’une place réservée dans le répertoire gouvernemental pour de futures opportunités d’emplois11. Après réflexion, le couple décide de plier bagages en direction d’Armagh à l’automne 1914.

Le jeune François-Albert, alors en âge d’entrer à l’école primaire, est inscrit dans un couvent tenu par la Congrégation des Sœurs de la Charité afin d’y entamer des études primaires. Située au cœur du village, l’école est sise sur la rue du Couvent, à côté de l’Église Saint-Cajetan. François-Albert y complète sa première et sa deuxième année de primaire. Toutefois, dès 1916, son père reçoit une nouvelle offre d’emploi gouvernementale lui proposant de s’établir à Tadoussac, sur la Côte-Nord12. Petit havre de paix très éloigné des grands centres, le village de Tadoussac constitue une étape importante pour la famille Angers. En effet, Albert y gagne une réputation de médecin-spécialiste fiable et entreprenant, que notent les autorités gouvernementales. Quant au jeune François-Albert, il complète sa troisième et sa quatrième année dans l’école du village, en démontrant des aptitudes en mathématiques, en français et en histoire13.

Néanmoins, Albert souhaiterait que son fils ait accès à une éducation un peu plus poussée. Le couple décide d’envoyer leurs fils terminer ses études primaires au Collège des Frères du Sacré-Cœur à Montmagny14. Établissement pour garçons, le collège offre un

11 C’est là une pratique courant à l’époque, qui vise justement à attirer les médecins dans les régions éloignées

de colonisation. À ce sujet, voir l’étude suivante : Normand Séguin, L’institution médicale, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998, p. 75.

12 HEC, P027, boîte P027/Y99,0001, « Gala Grands Montérégiens 1993 ».

13 HEC, P027, boîte P027/Y99,0001, « Invité François-Albert Angers. - Télé-université, GERFI; no 98 ». 14 Ibid.

66 enseignement personnalisé et adapté à des classes regroupant entre 30 et 35 jeunes élèves. Jouissant d’une bonne réputation et considéré comme étant un excellent tremplin vers le collège classique, le collège de Montmagny est le dernier établissement que fréquentera François-Albert dans le cadre de ses études primaires.

C’est ainsi qu’à l’automne 1919, alors âgé de 10 ans, François-Albert entame sa 5e année. Or, l’expérience du Collège de Montmagny constitue une nouveauté pour le jeune

homme. Situé à plus de 300 kilomètres de la résidence familiale, l’établissement comporte un pensionnat pour les externes qui permet aux étudiants de poursuivre leurs études durant toute l’année scolaire, avec permission de retourner périodiquement au domicile familial durant les vacances. Les témoignages d’Angers suggèrent que l’expérience, dont celle du déracinement du foyer familial, est difficile à vivre durant les premières semaines15. Son passage est toutefois facilité par l’entregent et la courtoisie avec laquelle le corps professoral du collège cherche à intégrer les élèves dès leurs arrivées. Qui plus est, le collège de Montmagny lui offre, pour la première fois de sa vie, un environnement d’étude stimulant. S’exprimant sur le sujet en 1985, Angers vantera l’institution en affirmant que :

Le collège de Montmagny offrait un enseignement plus poussé que ce que j’avais expérimenté auparavant. Les matières qu’on y étudiait étaient très diversifiées, dont l’histoire universelle, l’algèbre, la géométrie, le français, l’anglais, entre autres […] Les professeurs étaient également très érudits et le corps professoral dans son ensemble comptait d’excellents pédagogues […] Somme toute, j’en garde un excellent souvenir et je suis resté très attaché à cette institution.16

15 Ibid. 16 Ibid.

67 Dans les années 1910 et 1920, le collège de Montmagny mène vers deux voies académiques bien distinctes17. D’abord, le collège offre une formation visant à préparer les jeunes à jouer un rôle dans les affaires, notamment à titre de commis-comptable. Quant à la deuxième voie, celle-ci mène les étudiants vers le collège classique, institution prestigieuse et emblématique des élites canadiennes-françaises18. À l’époque, les parents d’Angers souhaitent que leur fils emprunte la voie du collège classique, afin de lui assurer un avenir à la hauteur de leurs aspirations. Dès son entrée au Collège de Montmagny, Angers a donc une bonne idée de la voie qu’il doit suivre dans les prochaines années. Toutefois, ses plans académiques ne se concrétiseront pas comme prévu, et ce, pour des raisons de santé.

Depuis qu’il a cinq ans, François-Albert souffre de problèmes de vision (myopie) qui l’obligent à porter des lunettes19. Malgré son souci d’éducation pour son fils, sa mère Odulie l’incite continuellement à limiter ses heures de lectures afin d’éviter de fatiguer ses yeux. Or, vers l’âge de 11 ans, alors qu’il termine sa 5e année au Collège de Montmagny, Angers reçoit des nouvelles inquiétantes par rapport à sa santé oculaire20. Son médecin lui diagnostique un problème de myopie progressive, l’obligeant à revoir sa prescription tous les six mois. L’année suivante, au terme de sa 6e année et avant-dernière année de formation primaire, Angers se voit recommander par son médecin de cesser complètement ses études afin d’éviter toute aggravation de son problème de myopie. Inquiétés par ce diagnostic, les parents d’Angers acceptent à contrecœur que leur fils termine sa dernière année de scolarité

17 Ibid.

18 Sur les collèges classiques, voir notamment l’étude suivante : Louise Bienvenue, Ollivier Hubert et

Christine Hudon, Le collège classique pour garçons : études historiques sur une institution québécoise

disparue, Anjou, Fides, 2014, 424 p.

19 Pierre Harvey, Histoire de l’École des Hautes Études commerciales de Montréal. Tome II : 1926-1970,

Montréal, Éditions Québec Amérique, 2002, p. 107.

68 primaire, mais l’informent qu’il devra par la suite se résigner à prendre une pause21. Contrarié par le fait que ses parents ne lui indiquent pas clairement la raison de leur décision, François-Albert poursuit avec morosité ses études et adopte une attitude désinvolte envers ses proches en signe de mécontentement22.

Néanmoins, une discussion impromptue au Collège de Montmagny redonne espoir au jeune homme. Au contact d’un certain professeur, le frère Onésible, Angers apprend l’existence d’une institution qui lui permettrait de poursuivre des études tout en demeurant à la résidence familiale et qui, de plus, s’inscrit en continuité avec la voie offerte aux finissants du programme technique du Collège de Montmagny : le programme à distance de l’École des HEC de Montréal23. Ayant commencé à considérer la possibilité de devenir commis-comptable, la voie des HEC semble une avenue inespérée pour François-Albert. Réussissant avec brio les épreuves de fin d’études, ce dernier quitte Montmagny au terme de l’année scolaire 1922-1923 et retourne à Tadoussac au domicile familial.

La formation scolaire du jeune Angers est ainsi momentanément arrêtée. De plus, la perspective de poursuivre des études par correspondance aux HEC est elle aussi mise en veilleuse, due au fait que la direction de l’École considère qu’il est trop jeune pour entreprendre des études à distance24. Le directeur de l’époque, Henri Laureys, conseille

21 Ibid. Fait étonnant, François-Albert Angers ignore à l’époque à peu près tout de ses problèmes oculaires.

Comme il l’expliquera des années plus tard, ses parents étaient très réticents à lui donner l’heure juste quant à l’état de santé de ses yeux, et ce, malgré son insistance à avoir des précisions. Pouvant paraître comme un fait anodin, le problème oculaire d’Angers aura pourtant une influence relativement importante dans le parcours académique et professionnel d’Angers, lui qui souffrira jusqu’à l’âge de 70 ans de problèmes persistants jusqu’au moment où les progrès de la médecine lui permettront de régler une fois pour toutes cet embarras physique.

22 Ibid. 23 Ibid.

69 d’ailleurs au père de François-Albert de retarder le moment de l’inscription de son fils, en lui recommandant d’attendre que celui-ci « acquière de la maturité »25.