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Un réseau nationaliste effervescent : la Ligue d’action nationale et sa revue

Chapitre 2: Aux fondements d’une trajectoire intellectuelle (1909-1937)

3.1 Un réseau en développement : de l’université à l’agora

3.1.3 Un réseau nationaliste effervescent : la Ligue d’action nationale et sa revue

Introduit dans les cercles nationalistes via le réseau de professeurs des HEC, François-Albert Angers se voit ouvrir les portes de la célèbre Ligue d’action nationale à la fin des années 1930. Fondée en 1921 par Lionel Groulx et Omer Héroux et par des membres

30 HEC, P027, boîtes P027/Z,0006, P027/Z,0007 et P027/Z,0008, « Arbitrages : données sommaires ». 31 Ibid.

32 HEC, P027, boîtes P027/A1,0001 à P027/A1,0010, « Correspondance générale ». La correspondance

montre qu’Angers échange plusieurs lettres avec des membres du conseil d’administration de la Chambre de commerce de Montréal et avec certaines coopératives de consommation de la métropole et de la Rive-Sud.

134 de la Ligue des droits du français, la Ligue d’action française – et sa revue L’Action

française – partage au début des années 1920 certains idéaux communs avec sa consœur

française (Ligue d’action française de Charles Maurras) : la défense de la langue française, de la religion catholique, de la famille et d’un mode de vie paysan qui s’oppose à la modernité représentée par l’urbanisation et l’industrialisation33. Animée par le chanoine Groulx dès 1921, la Ligue affiche également une conception esthétique maurassienne (héritage latin, idéalisation de la France d’ancien régime) et un nationalisme intégral, qui revendique la mise en place d’un État national pour les Canadiens français34.

Quelques temps après la condamnation de L’Action française de Paris par le Vatican en 1927, la Ligue d’action française (canadienne-française) et sa revue mettent fin à leurs activités, essentiellement pour des motifs financiers. Ce n’est qu’en 1933, sous l’impulsion d’Esdras Minville, que le mouvement renaît de ses cendres avec la remise en activité de la Ligue d’action nationale et de sa revue, L’Action nationale. Minville est élu président de la ligue et s’entoure d’un comité de direction formé par des représentants de

33 Charles-Philippe Courtois, Trois mouvements intellectuels québécois et leurs relations françaises :

L’Action française, « La Relève » et « La Nation », thèse de doctorat (histoire), Université du Québec à

Montréal et Institut d’études politiques de Paris, 2008, p. 238-246.

34 Ibid., p. 286-288. Néanmoins, les chercheurs débattent encore de nos jours par rapport à la question des

conceptions inhérentes au nationalisme dans L’Action française de Montréal, quant à savoir si celles-ci étaient fondamentalement différentes et autonomes par rapport à celle proposé par Charles Maurras. L’historien Michel Bock a démontré que les thèses maurassiennes avaient assez peu pénétré les réseaux

collégiens, professionnels, journalistiques et ecclésiastiques. Bock note cependant que le modèle de « ligue intellectuelle » du mouvement maurassien, caractérisé par la mise en place d’une organisation autonome et

articulant une vision idéologique commune, avait eu une influence dans la structuration des regroupements intellectuels tels que la Ligue d’action française. Enfin il a également noté le transfert de certains moyens d’action (publications, maison d’édition, sections locales, etc.), qui auraient servi de modèles pour les plateformes de diffusion chez les regroupements intellectuels canadiens-français. Michel Bock, « L’influence du maurrassisme au Canada français : retour sur le cas de Lionel Groulx », dans Olivier Dard (dir.), Charles

Maurras et l’étranger. L’étranger et Charles Maurras, Berne, Éditions Peter Lang, 2009, p. 135-137. Yvan

Lamonde a lui aussi relativisé l’apport réel des thèses maurassiennes au Canada français, en arguant que l’influence de celles-ci furent délimitées à certains groupes isolés. À voir dans : Yvan Lamonde, Histoire

135 l’élite professionnelle canadienne-française où se retrouvent des avocats (René Chaloult, Wilfrid Guérin), des clercs (Lionel Groulx, Joseph-Papin Archambault, Albert Tessier), des universitaires (Hermas Bastien), des médecins (Philippe Hamel), des agronomes (Albert Rioux) et des journalistes (André Laurendeau, Léopold Richer, Harry Barnard, Eugène L’Heureux). Sous la présidence de Minville, la Ligue réoriente son action sous un angle résolument sociopolitique et aspire « à construire une doctrine pour orienter l’action dans le sens du nationalisme et du catholicisme social » tout en accordant « un rôle plus actif à l’État dans la restauration de l’ordre social »35. Minville préconise notamment « la planification, l’aménagement du territoire et la nationalisation des ressources naturelles, dont l’électricité » et il adhère à « la doctrine du corporatisme social qui cherche l’équilibre entre le capitalisme et le socialisme. Il met les intérêts économiques de la nation québécoise au centre de la pensée nationaliste »36. Qui plus est, Minville ouvre la Ligue à la possibilité de tisser des liens avec le monde politique, abandonnant son apolitisme d’antan :

Le rapport au politique change dans le cadre de la Ligue d’action nationale, car ses membres sont en contact avec des politiciens […] On continue de penser que les politiciens et les partis sont à la solde des intérêts étrangers et qu’ils font œuvre de division nationale, mais des opinions plus nuancées commencent à se manifester […] On commence à prendre conscience que si l’avenir de la nation passe par l’État, il faudra bien que les projets de restauration de l’identité nationale soient portés par des politiciens.37

Au tournant des années 1940, la ligue constitue l’un des principaux foyers du nationalisme canadiens-français. Grâce aux contacts amicaux qu’il a maintenus avec André Laurendeau, nommé directeur de L’Action nationale à son retour d’Europe en 1937, François-Albert

35 Action nationale, « Histoire de la Ligue d’action nationale », site web de L’Action nationale [en ligne],

https://action-nationale.qc.ca/recherche-par-auteur/numeros-2017/307-janvier-fevrier-2017/999-histoire-de- la-ligue-d-action-nationale, page consultée le 19 avril 2018.

36 Ibid. 37 Ibid.

136 Angers se voit sollicité afin d’intégrer la Ligue. Cherchant à préserver sa liberté intellectuelle, celui-ci n’intègre pas immédiatement la Ligue, mais il accepte néanmoins de tenir une chronique économique mensuelle dans les pages de L’Action nationale. Sa

première, publiée en septembre 1938, provoque quelques tensions au sein de la Ligue : « Le crédit social était la question d’actualité dans les milieux nationalistes. Ma première

chronique a donc naturellement été consacrée à ce sujet, sous le titre, '' Le miroir aux alouettes ''. Il en a résulté une polémique qui s’est étendue sur plusieurs années! »38. Prenant la défense de son ami, Laurendeau conseille à Angers de joindre officiellement la Ligue afin de faciliter son intégration et « éviter d’avoir des problèmes dans le futur »39.

Devenu membre de la Ligue, Angers se présente en septembre 1938 à sa première réunion. Il reviendra sur cette expérience en 1978, en insistant sur les détails entourant son introduction au militantisme de la Ligue d’action nationale :

J'y étais entré d'une façon plutôt insolite. Non sans conviction, mais en raison d'un conflit qu'avait suscité à l'intérieur du groupe un de mes articles. Esdras Minville et André Laurendeau souhaitaient m'associer à la Ligue, mais j'étais réticent, en tant que jeune économiste, de m'identifier étroitement avec ce que d'autres me conseillaient d'éviter : les chapelles. J'étais consentant à fournir mon apport comme collaborateur régulier, mais extérieur et sur les questions économiques, à une œuvre dont je partageais les idées en général, mais sans vouloir en porter l'étiquette. À l'occasion de l'incident mentionné, Laurendeau me fit valoir que quant à collaborer régulièrement, ce serait prendre une assurance sur ma liberté d'expression que d'être à l'intérieur et de défendre moi-même mes positions aux réunions de la Ligue, plutôt que d'avoir à subir toutes les tractations qu'avait provoquées mon premier article à la revue. Songeant avant tout à ma carrière d'économiste et à ses exigences, je n'étais

38 Jean-Marc Léger, Op. Cit., p. 49-50. En cherchant dans les archives de la Ligue d’action nationale, qui

sont relativement pauvres pour cette période, il n’est pas mentionné clairement qui sont les individus qui ont été vexés par l’article d’Angers, ceux-ci étant selon toute vraisemblance des partisans du créditisme. En somme, il s’agirait de membres réguliers qui auraient énoncé leur mécontentement lors des assemblées mensuelles d’octobre et de novembre 1938.

137 donc pas dans l'état d'ardeur du croisé patriote, qui était typique des jeunes de

l'entourage idéologique de l'abbé Groulx.40

Au sein de la Ligue, Angers tisse des liens avec de nombreux militants influents du mouvement nationaliste. Il se lie rapidement d’amitié avec des membres de l’ancienne Ligue d’Action française, dont le prêtre-éducateur Joseph-Papin Archambault (1880- 1966), l’avocat Anatole Vanier (1887-1985), le prêtre-cinéaste Albert Tessier (1895-1976), l’agronome Albert Rioux (1899-1983), le musicien Arthur Laurendeau (1880-1963), le romancier Harry Bernard (1898-1979), le philosophe et journaliste Hermas Bastien (1897- 1977), l’avocat René Chaloult (1901-1978) et le dentiste Philippe Hamel (1884-1954)41. Angers tisse aussi des liens avec de plus jeunes militants, tels que les journalistes Dominique Beaudin (1905-1979) et Roger Duhamel (1916-1985). Il retrouve également son ancien collègue Gérard Filion (1909-2005), devenu économiste à l’Union catholique des cultivateurs. Il fait également la connaissance du chanoine Lionel Groulx, figure centrale du mouvement d’action nationale dont il connaît peu l’œuvre, contrairement à une majorité d’intellectuels traditionalistes de l’époque42. C’est par l’entremise d’André Laurendeau qu’Angers est introduit au célèbre prêtre-historien :

Je devais me trouver rapproché de Groulx par cette amitié avec Laurendeau. Celui-ci était alors un des disciples fervents et le disciple préféré de l'abbé Groulx. Nos conversations tournaient donc fréquemment vers lui. Entre autres, André avait à cœur de me démontrer que l'abbé Groulx n'était pas séparatiste; j'argumentais très fort, d'après mes perceptions de lecteur du

Devoir, pour prouver et marquer ma méfiance à son égard. C'est donc à 40 Ibid.

41 L’étude de la correspondance d’Angers nous montre que ces individus sont les principaux membres de la

Ligue d’action nationale avec lesquels le professeur des HEC s’entretient durant la période étudiée.

42 La correspondance d’Angers avec Lionel Groulx demeurera d’ailleurs assez limitée. Jusqu’en 1967, à peine

25 lettres ont été échangées entre les deux. Celles-ci sont de nature essentiellement administrative, en lien notamment avec les activités de la Ligue d’action nationale et de sa revue. Ce n’est d’ailleurs que très tardivement dans sa vie qu’Angers en viendra à reconnaître la qualité de l’œuvre de Groulx, une œuvre marquée par des accents providentialistes avec lesquels il ne sera jamais entièrement à l’aise.

138 travers trente ans de travail en commun avec l'abbé Groulx, à L'Action

nationale, que va se former, et graduellement, mon opinion et mes sentiments

de haute admiration pour un homme dont je pris conscience qu'il était authentiquement grand à tous égards. Après mon entrée à L'Action nationale, je suis néanmoins resté très réservé à son égard pendant plusieurs années.43

Se rencontrant tous les mois au domicile de Lionel Groulx, les membres de la Ligue d’action nationale « étaient là une fois par mois, 10 fois par année, pour discuter de la tenue de la revue, du tirage, des finances, des thèmes […] On assistait aux réunions, pendant deux-trois heures, on réglait nos affaires, puis on repartait à nos propres activités »44.

Dès son entrée dans l’organisation, Angers est apprécié par les membres de la Ligue, comme le souligne Roger Duhamel:

Intelligent ce diable d’homme! Qui en douterait s’accuserait d’une myopie inquiétante. D’une forme d’intelligence toute spéciale que je n’ai éprouvé que de lui, celle du cérébral à l’état pur qui s’enivre lui-même des raisonnements de son discours […] Le plus curieux, c’est que cet économiste, par métier rivé à l’observation méticuleuse et objective des faits, a su transformer la logique en une sorte de passion froide. Personne en tout cas ne mettra en doute la sincérité de ses opinions. Quand beaucoup de ses compagnons ont varié, il est demeuré fidèle à son idéal, à ses convictions. C’était risquer d’être seul.45

Ce capital de sympathie est renforcé durant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’Angers s’investit assidument dans les activités de la Ligue. Ses articles percutants sur l’économie de guerre et ses prises de position de plus en plus nationalistes en font l’une des figures intellectuelles les plus en vue du mouvement anticonscriptionniste francophone, aux côtés d’André Laurendeau. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’Angers est approché, en 1942, par les dirigeants du Bloc populaire canadien.

43 Ibid., p. 359.

44 Gérald Filion cité dans Pascale Ryan, Penser la nation, Op. Cit., p. 165 45 Roger Duhamel, Bilan provisoire, Montréal, Beauchemin, 1958, p. 71-72.

139 Dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement canadien remet à l’avant-scène le projet de conscription par le biais d’une modification de la Loi sur la

mobilisation des ressources nationales en 194246. Semant l’inquiétude au Canada français, où le souvenir de la conscription de 1917 demeure frais dans les mémoires, les actions du gouvernement entraînent une vigoureuse mobilisation dans les cercles nationalistes qui débouche sur la fondation du Bloc populaire canadien, un mouvement politique fédéral et provincial mis sur pied en 1942. Prônant « l’indépendance et la neutralité du Canada, l’autonomie provinciale, l’égalité entre anglophones et francophones, une économie coopérative et des réformes axées sur la famille », le mouvement est dirigé par André Laurendeau au niveau provincial et, à partir de 1943, par l’avocat et ancien député libéral Maxime Raymond au niveau fédéral47. Transformé en parti politique, le Bloc populaire fait élire quatre députés, avec Laurendeau à sa tête, au niveau provincial lors des élections de 1944. Quant au fédéral, le Bloc est formé de cinq députés menés par Raymond.

Naturellement attiré par le programme du Bloc, François-Albert Angers est sollicité par André Laurendeau afin de s’engager publiquement au sein du mouvement politique. Œuvrant déjà au sein de la Ligue d’action nationale, il refuse l’offre de Laurendeau, du fait de sa volonté de se tenir loin des activités à caractère partisanes. Néanmoins, il accepte un poste de recherchiste, ce qui lui permet de contribuer aux activités du Bloc anonymement. La correspondance qu’entretient Angers avec Laurendeau et Raymond durant la période 1942-1947 témoigne de ses recherches visant à documenter différents dossiers défendus

46 Sur le contexte socio-politique canadien durant la Deuxième Guerre mondiale, on consultera l’ouvrage

incontournable d’André Laurendeau : La crise de la conscription 1942, Montréal, Les Éditions du Jour, 1962, 158 p. Pour une étude historique, on consultera l’étude suivante : Jack Granatstein et J. Mackay Histman,

Broken promises : A History of Conscription in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1977, 281 p.

140 par les chefs du Bloc, notamment les questions constitutionnelles, le régime fiscal, les pouvoirs des provinces face au gouvernement central, le coopératisme ainsi que les politiques sociales et familiales48. Militant de l’ombre, Angers n’en demeure pas moins un acteur influent qui joue un rôle central dans les prises de position du Bloc, étant donné la qualité de ses recherches49. Il entretiendra d’ailleurs une grande amitié avec le leader fédéral du Bloc, Maxime Raymond, avec qui il correspondra de longues années, même après la disparition du parti à la fin de la décennie.

La collaboration d’Angers au mouvement anticonscriptionniste ne passera pas inaperçu dans les cercles militants et nationalistes du Canada français. Jouissant d’une réputation enviable à un très jeune âge, le professeur des HEC est alors introduit, par le biais de la Ligue d’action nationale, à certains animateurs de la vie intellectuelle canadienne-française. Il se rapproche notamment de Léopold Richer (1902-1961), journaliste franco-ontarien, polémiste traditionaliste influent et fondateur de la revue Notre

Temps. Angers publiera plusieurs dizaines d’articles dans ce périodique durant la décennie

1940, signe de sa bonne entente avec Richer50. L’inventaire des articles publiés durant cette

48 HEC, P027, boîtes P027/A1,0004 à P027/A1, 0008, « lettre de François-Albert Angers à Maxime

Raymond », (janvier 1942 à décembre 1946); boîtes P027/A1,0004 à P027/A1,0009, « lettre de François- Albert Angers à André Laurendeau », (janvier 1942 à décembre 1947). Durant cette période, Angers échange une dizaine de lettres avec Raymond et une douzaine avec Laurendeau, la plupart traitant des orientations politiques du Bloc.

49 Par exemple, entre 1944 et 1946, Angers transmet plusieurs rapports de nature juridiques liées à un projet

de loi que souhaite proposer le Bloc afin de supprimer les appels du Conseil privé de Londres. On comprend ainsi que le professeur des HEC ne se limite pas à offrir des conseils de nature strictement économiques. Dans une lettre en particulier datée du 8 avril 1945, Angers énonce de nombreux arguments juridiques visant à solidifier la position du Bloc dans ce dossier. On peut y lire que ce dernier a passé plusieurs semaines à travailler sur ce dossier précis. À voir dans : HEC, P027, boîte P027/A1,0007, « lettre de François-Albert Angers à André Laurendeau », 8 avril 1945.

50 HEC, P027, boîte P027/A1,0003, « lettre de François-Albert Angers à Léopold Richer », 24 mars 1941.

Angers déclarera d’ailleurs son admiration à l’égard du style polémiste développé par Richer, style que lui- même développera dans les années à venir. Notons d’ailleurs que les articles qu’il soumet au périodique

141 période nous montre également qu’Angers signe quelques textes dans d’autres périodiques conservatrices, tels que Tirons franc, La Terre de chez nous, Le Semeur (de l’ACJC) et

Culture. De même, il signe régulièrement des articles économiques dans Le Devoir, à la

demande du directeur Gérard Pelletier51. Les deux hommes maintiennent d’ailleurs des liens cordiaux, Angers vantant les mérites de Pelletier dans sa gestion du célèbre quotidien montréalais52. Néanmoins, la majorité des articles que produit Angers sont publiés dans

L’Action nationale, le comité de rédaction requérant de lui une collaboration ponctuelle et

régulière. D’ailleurs, durant un bref intervalle (1943-1946), Angers occupe le rôle de codirecteur de la revue avec André Laurendeau et Roger Duhamel. Dès les années 1940, le jeune professeur possède donc une stature enviable dans le réseau des revues canadiennes-françaises.

Évidemment, un tel niveau d’activité intellectuelle ne se fait pas sans compromis. Devenu père à la fin des années 1930, Angers doit composer avec un horaire chargé qui lui laisse peu de temps pour les activités familiales. La fille de M. Angers, Denise, affirme d’ailleurs que son père n’avait pratiquement pas de passe-temps ou d’activités de loisirs, malgré un certain intérêt pour le jardinage53. Elle insiste pour dire que son père était un bourreau de travail, qui passait de longues heures dans son bureau les soirs et les fins de

retrouve ainsi plusieurs articles sur le coopératisme, le corporatisme, l’agriculturisme ou encore l’influence du catholicisme dans le développement social au Canada français.

51 « Les mêmes causes produisent les mêmes effets », Le Devoir, 30 décembre 1939, p. 15; « Où en sommes-

nous ? », Le Devoir, 18 novembre 1939, p. 10; « C’est de la conscription qu’il s’agit… », Le Devoir, 3 mars 1942, p. 1; « Une lettre de François-Albert Angers », Le Devoir, 15 mars 1945, p. 7.

52 HEC, P027, boîte P027/A1,0004, « lettre de François-Albert Angers à Gérard Pelletier », 2 février 1942.

Mentionnons aussi que Le Devoir met régulièrement de l’avant les publications d’Angers, mais aussi les conférences et les cours publics qu’il donne au sein de la SSJB de Montréal et de l’École sociale populaire.

53 Entrevue avec Denise Angers, 29 janvier 2018. Selon Mme. Angers, cet intérêt ne dura que le temps d’un

142 semaine54. Le peu de vacances que la famille Angers se permettait d’avoir se déroulait alors dans la région de La Malbaie, où François-Albert possédait un chalet hérité de son père. Malgré tout, Angers est décrit comme un bon vivant, attaché aux valeurs familiales, d’un naturel sociable et sympathique et possédant un bon sens de l’humour55. Homme droit et rigoureux, sévère et exigeant envers ses semblables et ses enfants, il pratiquait une discipline personnelle répondant aux idéaux catholiques.

Ainsi, nous constatons que François-Albert Angers est, dès les premières années de sa carrière à l’École des HEC, une personnalité dont le capital social et symbolique s’accroit de manière rapide et diversifiée. La centralité qu’il occupe dans le réseau institutionnel des HEC fait de lui un interlocuteur apprécié des milieux économiques et nationalistes56. Du fait de son savoir scientifique et de ses prises de position, il parvient rapidement à accroître son influence dans les différents milieux qu’il investit.