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Influences intellectuelles et réseautage parisien

Chapitre 2: Aux fondements d’une trajectoire intellectuelle (1909-1937)

2.5 Les études à Paris

2.5.3 Influences intellectuelles et réseautage parisien

Durant la première année de son séjour à Paris, Angers possède un réseau de contacts relativement peu développé. Au regard de la correspondance qu’il échange avec les membres de la direction des HEC, Angers semble débordé par son programme d’études, ses cours suivis en libre auditeur et ses tâches d’assistanat à distance. Cet emploi du temps chargé ne lui laisse que peu de temps à consacrer à toute autre tâche non reliée à ses activités académiques et professionnelles. Isolé socialement, Angers peut difficilement fréquenter des cercles intellectuels autres que ceux de l’ELSP. En fait, ce n’est qu’après sa rencontre avec André Laurendeau qu’Angers se voit ouvrir les portes de certains milieux intellectuels catholiques et qu’il se constitue un réseau de contacts plus élargi157.

154 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre de François-Albert Angers à Esdras Minville », 11 août 1936. 155 Entrevue avec Denise Angers, 29 janvier 2018.

156 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre de François-Albert Angers à Esdras Minville », 11 août 1936. 157 Néanmoins, celui-ci réussit à tirer son épingle du jeu en ce qui a trait au réseautage académique, en se

rapprochant des professeurs André Siegfried, Albert Aftalion, Bertrand Nogaro et François Perroux. Aussi, mentionnons que durant cette période de deux années passées en France et malgré la distance, Angers développe une réelle proximité intellectuelle avec son directeur, Esdras Minville.

107 Né le 21 mars 1912 et issu de la même génération qu’Angers, André Laurendeau est déjà à la fin des années 1930 une figure intellectuelle reconnue au Canada français158. Fils du journaliste Arthur Laurendeau et de la pianiste Blanche Hardy, il s’est notamment distingué au début de la décennie en tant que président-fondateur des Jeunes Canada, un regroupement indépendantiste fondé en 1933 et proche des idées traditionalistes de Lionel Groux. Il effectue lui aussi un séjour d’étude en France, entre 1935 et 1937, à la Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris. Il connaîtra par la suite une impressionnante carrière intellectuelle, notamment en tant que directeur de L’Action nationale (1948-1954), de rédacteur en chef du Devoir (1957-1968), de collaborateur au Magazine Maclean (1961- 1966) ainsi qu’à titre de coprésident de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1968). Penseur influent, Laurendeau est un véritable passeur qui naviguera au sein de plusieurs réseaux et qui ouvrira les portes de certains cercles intellectuels à ses collègues et amis, dont Angers.

La première rencontre entre Laurendeau et Angers s’est déroulée à Paris, en 1936, dans le cadre d’une conférence donnée par André Siegfried. Très rapidement, une solide amitié liera les deux étudiants canadiens-français159. Ceux-ci se côtoient régulièrement, avec leurs épouses, et profitent de la vie parisienne en fréquentant des cafés-théâtres. Au fil des mois, Laurendeau introduit Angers à plusieurs cercles intellectuels catholiques de la région parisienne. C’est ainsi que les deux comparses entrent en contact avec le mouvement personnaliste d’Emmanuel Mounier et sa revue Esprit, publication phare du

158 Sur André Laurendeau, on consultera les études suivantes : Denis Monière, André Laurendeau et le destin

d'un peuple, Op. Cit.; Donald J. Horton, André Laurendeau : la vie d’un nationaliste, 1912-1968, Montréal,

Les Éditions Bellarmin, 1995, 375 p.; Robert Comeau (dir.), André Laurendeau. Un intellectuel d'ici, Montréal, Les Presses de l’Université du Québec, 1990, 306 p.

108 catholicisme de gauche des années 1930. À l’époque, Angers s’intéresse beaucoup au personnalisme, comme en témoignent ses échanges avec Esdras Minville160. Influencée par la Doctrine sociale de l’Église, la philosophie personnaliste prêche un engagement humaniste voué à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité :

Selon les principes de saint Thomas, [...] c'est parce qu'il est d'abord un individu dans l'espèce que l'homme, ayant besoin du secours de ses semblables pour parfaire son activité spécifique, est ensuite un individu dans la cité, une partie du corps social. Et à ce titre il est ordonné au bien de la cité comme au bien du tout, au bien commun, qui est plus divin comme tel. Mais s'il s'agit de la destinée qui lui convient, le rapport est inverse, et c'est la cité humaine qui est ordonnée à cette destinée. Car toute personne humaine est ordonnée directement, comme à son bien final propre, à Dieu, Fin ultime et « Bien commun séparé » de l'univers tout entier, et ne doit, à ce titre, selon l'ordre de la charité, rien préférer à soi-même que Dieu.161

En somme, « pour un personnaliste, l'homme est la partie éminente d'un tout plus grand que lui, créé par Dieu, et qui est doté d'une vocation spirituelle à laquelle tout le reste est ordonné »162. Ce courant de pensée aura d’ailleurs une influence certaine dans les cercles intellectuels canadiens-français entre les années 1930 et 1950163. D’ailleurs, si elle est souvent associée aux mouvements catholiques de gauche, la pensée personnaliste a eu des échos importants dans la famille traditionaliste, comme en témoigne l’intérêt d’Angers pour les thèses de Mounier. À l’ère des guerres idéologiques entre le libéralisme, le communisme et le fascisme, le personnalisme apparaît comme une alternative pour la jeunesse catholique, du fait de la croyance fondamentale en l’idée que « l'État, la société,

160 Ibid.

161 Jacques Maritain, Trois réformateurs: Luther, Descartes, Rousseau, Paris, Librairie Pion, 1925, p. 30-31. 162 Dominique Foisy-Geoffroy, Les idées politiques des intellectuels traditionalistes canadiens-français,

1940-1960, thèse de doctorat (histoire), Université Laval, 2008, p. 88.

163 Michael Gauvreau, The Catholic Origins of Quebec's Quiet Revolution, 1931-1970, Montréal et Kingston,

109 doivent servir la personne humaine et favoriser l'accomplissement de sa vocation spirituelle, et ne peuvent donc soumettre la personne à une règle de vie totalitaire »164. Hormis Angers, plusieurs intellectuels traditionalistes seront séduits par les thèses personnalistes dans le Québec des années 1930 et 1940, notamment Esdras Minville, Richard Arès et André Dagenais165. La diffusion de ce courant de pensée en terre canadienne-française est d’ailleurs en grande partie redevable aux séjours européens d’étudiants tels qu’Angers, qui relaient les grandes thèses personnalistes après en avoir fait l’expérience en sol français.

De même, Laurendeau et Angers ne se limitent pas à fréquenter les milieux exclusivement catholiques. Par exemple, il semble que ceux-ci aient fréquenté les milieux communistes, au point d’en être impressionnés par la ferveur et le caractère populaire du mouvement français166. Comme le souligne Denis Monière, Laurendeau et plusieurs Canadiens français de l’époque prennent alors conscience des « déformations hystériques à travers lesquelles on présente le communisme au Québec » en constatant, du moins en théorie, que « les communistes partagent des valeurs universelles comme la justice et des valeurs chrétiennes comme la charité »167. Angers n’adhérera jamais au communisme, mais il affichera un intérêt marqué envers les modèles économiques socialistes, comme en font foi les nombreux articles qu’il signera à ce sujet dans les décennies suivantes.

164 Dominique Foisy-Geoffroy, Les idées politiques des intellectuels traditionalistes canadiens-français,

1940-1960, OP. Cit., p. 89.

165 Ibid., p. 93.

166 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre de François-Albert Angers à Esdras Minville », 22 juin 1936. Ces

fréquentations témoignent d’une curiosité intellectuelle et non d’une réelle sensibilité à l’égard du communisme.

110 Au cours de l’automne 1936, les deux comparses suivent également un cycle de conférences au théâtre du Vieux Colombier où ils assistent aux conférences de Thiery Maulnier, Pierre Gaxotte, Charles Maurras, Henri Ghéon et Bertrand de Jouvenel168. Ils fréquentent également les Cadets du père Doncoeur à Issy-les-Moulineaux, qui suscitent beaucoup d’admiration chez les deux jeunes Canadiens. Laurendeau dira d’ailleurs d’eux : « Ce que j’admire chez ces jeunes, c’est qu’ils n’ont fixé aucune limite à l’exercice de leur catholicisme »169.

À n’en point douter, André Laurendeau joue un rôle fondamental dans le parcours intellectuel d’Angers en France, puisque c’est grâce à lui que s’ouvrent de nombreux réseaux aux tendances idéologiques variées. Quelque peu intimidé par la réputation de Laurendeau, du moins au début de leur relation, Angers écrit à Esdras Minville afin de l’informer de sa rencontre avec le fondateur des Jeunes Canada. Minville, qui connaissait déjà Laurendeau par le biais de leur collaboration à L’Action nationale, rassure son jeune protégé dans une lettre du 26 août 1936, en affirmant « je suis bien aise que durant les prochains mois vous ayez avec Laurendeau des relations plus suivies »170. Angers et Laurendeau garderont des liens amicaux à leur retour au Québec en 1937.

Une autre figure intellectuelle jouera un rôle prépondérant dans la formation du jeune Angers durant son passage à Paris. C’est à la suite des conseils d’Esdras Minville et d’Henri Laureys que ce dernier entre en contact avec André Siegfried (1875-1959), sociologue, géographe et historien français. Professeur à l’ELSP et au Collège de France,

168 Ibid., p. 83. 169 Ibid.

111 Siegfried est associé de près aux mouvements catholiques de gauche. Pionnier de la sociologie électorale, il propose des analyses avant-gardistes alliant l’économie politique et la géographie. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, Siegfried a notamment produit des études sur le Canada. Publié en 1937, Le Canada, puissance internationale, brosse un portrait éclairant des réalités historiques, géographiques et économiques du Canada, considéré comme un « pays carrefour » subissant les influences des États-Unis et de l’Europe et présentant des forces contradictoires, étant donné la nature des liens unissant le Canada français et le Canada anglais171. Il estime que le pays est destiné à devenir une grande puissance, étant donné l’originalité de son expérience historique, qui est néanmoins marquée par une crise identitaire perpétuelle. En somme, Siegfried est fasciné par ce « pays du Nord », qu’il visitera à de nombreuses reprises durant sa carrière172.

Au Canada français, la figure de Siegfried est surtout connue dans les cercles universitaires173. Il est une figure familière aux HEC, Laureys et Minville ayant eux-mêmes correspondu avec ce dernier. Les liens qu’Angers développe avec Siegfried se forment lors de sa première année à l’ELSP. Il suit alors des cours données par ce dernier et discute avec des méthodes d’analyse en économie politique174. À titre de collaborateur à L’Actualité

économique, Siegfried fournit également quelques textes à Angers afin qu’ils soient publiés

dans la revue. De fil en aiguille, la relation de Siegfried et d’Angers s’approfondit et c’est de cette manière que le professeur de l’ELSP devient son directeur de thèse durant sa

171 André Siegfried, Le Canada, puissance internationale, Paris, Librairie Armand Colin, 1939, 234 p. 172 Gérard Fabre, « Le comparatisme d’André Siegfried », Recherches sociographiques, vol. 43, no. 1,

janvier-avril 2002, p. 111-131.

173 Sean Kennedy, « A Tocqueville for the North? André Siegfried and Canada », Journal of the Canadian

Historical Association, vol. 14, no. 1, 2003, p. 117-136.

112 dernière année de formation. C’est d’ailleurs à la suite des conseils de Siegfried qu’Angers établit le sujet de sa thèse: la concentration financière des industries au Canada175. C’est ainsi qu’il entame l’une des voies de recherche dans laquelle il se spécialisera, soit celui des monopoles financiers. Siegfried maintiendra une relation harmonieuse avec son jeune thésard, et continuera de lui fournir des articles pour L’Actualité économique sur une base régulière. Sa pensée opèrera un magnétisme certain chez Angers, qui est séduit par ses thèses fondées sur les enjeux socio-économiques et culturels du problème canadien:

Il estime que l’américanisation est le plus grand péril qui menace l’existence du Canada et que seule la présence des Canadiens français peut enrayer ce processus. Ils sont indispensables à la survie du Canada et leur résistance à l’assimilation et à l’anglicisation est la meilleure garantie pour l’avenir du Canada. Il pense que pour juguler ces dangers, le fédéralisme est un moindre mal même si ce type de système politique impose des contraintes au développement des Canadiens français.176

Malgré la fin de ses études en France, Angers continuera d’échanger sur une base régulière avec Siegfried, les deux hommes étant lié par une grande amitié intellectuelle.

Plusieurs autres pédagogues ont joué un rôle important dans la formation du jeune Angers durant son périple en France. Hormis Siegfried, trois autres figures semblent s’être distinguées par leur influence au niveau de sa pensée économique. En 1996, Angers affirmera qu’« une fois rendu en Europe, ses principaux maîtres furent Bertrand Nogaro et Albert Aftalion, deux économistes de premier plan, dont la notoriété était déjà grande dans tout l’Occident »177. Bertrand Nogaro (1880-1950) est un économiste français spécialisé dans les questions monétaires, et notamment sur le rôle de la monnaie dans le commerce

175 HEC, P027, boîte P027/Y99,0001, « Points de vue sur l'économie ». 176 Denis Monière, Op. Cit., p. 93.

113 international178. Homme politique et député de 1924 à 1934 (Radical et Radical-socialiste), ce dernier donne plusieurs conférences dans la région parisienne auxquelles assiste Angers entre 1935 et 1937179. Il publie également plusieurs dizaines d’ouvrages, notamment sur le rôle de la monnaie, les finances publiques et les questions d’arbitrage. Bien qu’il soit difficile d’évaluer si Angers a entretenu des liens avec Nogaro, due à l’absence de correspondance entre les deux hommes, il semble que celui-ci ait néanmoins tiré une réelle appréciation de son œuvre scientifique180. Qui plus est, notons qu’entre 1936 et 1938, Angers entreprend une série de chroniques d’initiation à la monnaie et à ses « mystères » dans L’Actualité économique, tirant parti des enseignements de Nogaro181. Des articles traitant du pouvoir d’achat, des zones économiques, de la régulation, de l’émission de la monnaie, de la valeur des marchandises permettent au lectorat de la revue d’acquérir des notions liées aux questions monétaires, dans le contexte de la montée du créditisme au Canada français182.

Albert Aftalion (1874-1956) est lui aussi un économiste, l’un des plus brillants de sa génération, qui œuvra au sein de la Faculté de Droit de Paris183. Comme Nogaro, Aftalion s’est spécialisé sur les questions monétaires, notamment sur la théorie quantitative de la monnaie. Cette théorie est conçue à partir d’un rapport de causalité entre la quantité

178 François-Albert Angers, « La science économique et les affaires », L’Actualité économique, vol. 37, no.

2, juillet-septembre 1961, p. p. 219-237.

179 HEC, P027, boîte P027/Y99,0001, « Points de vue sur l'économie ». 180 Ibid.

181 Jean-Marc Léger, « Entretien avec François-Albert Angers », Op. Cit., p. 49; François-Albert Angers,

« La régie des marchés au Canada », L’Actualité économique, vol. 10, no. 11, février 1935, p. 610-618; François-Albert Angers, « La concentration financière des entreprises au Canada », L’Actualité économique, vol. 11, no. 5, août 1935, p. 317-352.

182 Gabriel Gagnon, « Populisme et progrès : les créditistes québécois », Recherches sociographiques, vol.

17, no. 1, 1976, p. 23-34.

183 Jean Lhomme, « L'influence intellectuelle d'Albert Aftalion », Revue économique, vol. 67, no. 3, 1957,

114 de monnaie en circulation dans une zone économique donnée et l’indice des prix à la consommation et, selon les interprétations, confirme ou non le rôle réel de la monnaie dans l’économie. Aftalion développe également la théorie de « l’effet accélérateur », qui explique l’effet de surinvestissement des investisseurs lors des phases de croissance économique et de désinvestissement lors des périodes de ralentissement ou de récession184. Il développa ainsi une certaine expertise en lien avec le thème des crises cycliques en économie. Titulaire de la chaire d’économie politique de 1934 à 1940, Aftalion est l’un des chefs de file de la science économique française durant l’entre-deux-guerres. C’est en tant qu’auditeur libre qu’Angers assiste aux cours d’Aftalion, une expérience qu’il décrit comme étant « fascinante »185. Tout comme Robert Nogaro, Aftalion aura une influence significative dans le développement de l’expertise monétaire d’Angers.

Enfin, l’économiste François Perroux (1903-1987) constitue une autre figure marquante pour Angers186. Professeur à la Sorbonne, Perroux est l’un des économistes français les plus influents du 20e siècle. Affilié aux non-conformistes des années 1930, il est fortement influencé par les préceptes du personnalisme, d’où sa recherche d’une troisième voie entre le libéralisme et le communisme – ou l’étatisme – afin de privilégier un modèle de développement axé sur les aspects sociaux et humanistes de la vie en collectivité187. En cela, il se distance des préceptes d’une économie marchande axée sur la recherche du profit, tout en refusant les enseignements doctrinaires socialisants. Selon

184 HEC, P027, boîte P027/Y99,0001, « Points de vue sur l'économie».

185 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre de François-Albert Angers à Esdras Minville », 10 mai 1936. 186 Jean-Paul Maréchal, « L’héritage négligé de François Perroux », L’Économie politique, vol. 4, no. 20,

2033, p. 47-63.

187 Michel Beaud, « Effet de domination, capitalisme et économie mondiale chez François Perroux »,

115 l’économiste Michel Beaud, il faut retenir de François Perroux sa volonté de résister aux grands courants économiques de son temps :

Hétérodoxie, théorie au service de la connaissance et humanisme chrétien : c'est dans cet espace de pensée que Perroux a travaillé à construire une autre économie politique, laquelle, sans s'inscrire dans aucune des voies déjà ouvertes (par Marx, l'économie historique, Schumpeter, l'économie sociale, Keynes, l'institutionnalisme...), empruntait à toutes. Effort titanesque, dans une période dominée par la vogue des diverses variantes du keynésianisme et par d'essentielles transformations de la science économique : vogues et tendances lourdes auxquelles il lui est arrivé de sacrifier.188

Familier avec le courant du personnalisme français à la suite de son introduction par André Laurendeau, Angers est naturellement attiré par les travaux de Perroux. Il assiste d’ailleurs à certaines de ses conférences données à l’ELSP et suit quelques-uns de ses cours à la Sorbonne189. Il détaille son appréciation des travaux de Perroux dans les lettres qu’il envoie à Esdras Minville, mentionnant l’innovation de son approche fondée sur une vision humaniste de l’économie190. La conception que développe Angers par rapport à la pertinence sociale de l’économie tire parti des travaux de Perroux, même s’il demeure influencé par la vision nationaliste et traditionaliste de Minville. Angers entretiendra d’ailleurs une relation amicale avec Perroux durant plusieurs décennies, lequel collaborera à la revue L’Actualité économique durant les années 1950 et 1960.

Durant tout son séjour d’étude, Angers entretient une correspondance régulière avec son mentor des HEC, Esdras Minville. En étudiant celle-ci, on constate que c’est au travers de ces échanges que se solidifie l’amitié intellectuelle entre les deux hommes. Les

188 Ibid.

189 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre de François-Albert Angers à Esdras Minville », 6 décembre 1935

et 10 mai 1936.

116 lettres qu’envoie Angers à son directeur se classent selon trois catégories : ses études, ses rencontres et ses comptes rendus de la situation politique en France. L’étudiant cherche alors à obtenir l’assentiment du maître en ce qui a trait à son programme d’études, aux cours et aux conférences auxquelles il assiste, mais aussi aux lectures qu’il effectue. Angers renseigne également Minville sur le climat qui règne en France et en Europe à la fin des années 1930, où il note la montée du fascisme et des tensions entre diverses factions politiques. Il lui parle abondamment des actions de l’homme politique Léon Blum, figure dominante du Front populaire à la fin de la décennie, ainsi que des actions des jeunesses communistes et socialistes191. Il s’entretient aussi sur la question de la jeunesse catholique, et notamment sur l’organisation de l’Action catholique de la jeunesse française et de ses difficultés à collaborer avec les milieux communistes dans le contexte de la montée du fascisme192. Décrivant comme un « chaos ambiant » le paysage politique français et

européen, il termine sa lettre du 5 octobre 1936 sur une note inquiétante, estimant que « nous vivons une époque tragique »193. Dans ses échanges de lettres avec Minville, Angers

confie également à maintes reprises son adhésion à la pensée corporatiste et coopératiste194. Il souligne notamment la justesse et la cohérence de ce modèle d’organisation sociale et économique, tout en reconnaissant les valeurs spirituelles leur étant associées, étant donné