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Chapitre 2: Aux fondements d’une trajectoire intellectuelle (1909-1937)

2.5 Les études à Paris

2.5.4 Angers : retour d’Europe

Au terme de ses études en France à l’été 1937, Angers remporte de prestigieux honneurs grâce à ses performances académiques, mais aussi en vertu de la qualité de sa thèse qui porte sur la concentration financière des entreprises au Canada202. Dans l’édition du 21 juillet 1937 du journal Le Devoir, il est écrit :

M. Henry Laureys, directeur de l’École des Hautes études commerciales de Montréal, nous apprend que M. François-Albert Angers vient de se classer premier à la sortie de l’École des sciences politiques de Paris, obtenant la

200 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre d’Esdras Minville à François-Albert Angers », 10 septembre 1936. 201 Ibid.

202 HEC, P027, boîte P027/Z,0050, « La concentration économique des entreprises au Canada », juin 1937.

Dans sa thèse, Angers démontre que le 20e siècle « a été celui de la grande entreprise anonyme, tendant au

monopole. L’importance du marché à satisfaire, le coût élevé des immobilisations mécaniques et autres, la nécessité par conséquent de lever des capitaux considérables et le désir de les faire fructifier, expliquent, justifient même dans une certaine mesure, une pareille orientation ».

119 médaille de cette École. C’est la première fois qu’un tel honneur échoit à un

Canadien français.203

Angers n’aurait pas pu espérer mieux, lui qui devient la fierté de l’École des HEC, institution à laquelle il doit maintenant se rapporter.

C’est que le retour d’Angers en terre canadienne est fort attendu. Le directeur des HEC, Henry Laureys, ne se gêne d’ailleurs pas pour lui rappeler, en affirmant qu’il attend avec impatience son retour au Canada204. Angers finit par rentrer à Montréal le 15 août 1937205. Le 21 septembre, Laureys demande officiellement au secrétariat de la province d’accorder à Angers le statut de chargé de cours, ce qui est fait le 9 novembre 1937206.

Fait intéressant à noter, Angers n’aurait pas expérimenté le malaise caractéristique des « retours d’Europe » lui étant contemporains. Laurendeau lui-même, lors de son retour au Québec, exprimera parfaitement cet état d’esprit caractérisé par une certaine nostalgie du climat intellectuel des villes universitaires européennes et une difficile réadaptation à la réalité sociopolitique québécoise des années 1930207. Les écrits aux teintes romantiques d’Angers montrent qu’il est conscient de l’importance de son rôle dans le relèvement économique du Canada français. Qui plus est, le fait d’avoir un poste de professeur assuré

203 « Succès d’un Canadien français à Paris », Le Devoir, 21 juillet 1937, p. 5.

204 HEC, P027, boîte P027/Z,0074, « lettre d’Henri Laureys à François-Albert Angers », 10 février 1937 et

23 février 1937.

205 Les sources sont peu loquaces quant aux raisons expliquant le retour tardif d’Angers à Montréal, mais sa

fille Denise suggère que cela s’expliquerait du fait que François-Albert et sa femme aient voulu visiter certaines régions de la France avant de rentrer au pays.

206 L’embauche d’Angers correspond au même moment où l’on assiste au « tournant culturel » de 1937,

caractérisé par « la publication de Regards et jeux dans l’espace de Saint-Denys Garneau, de Menaud maître-

draveur de Félix-Antoine Savard, de Directives de l’abbé Lionel Groulx, de Séparatisme. Doctrine constructive de Dostaler O’Leary et à l’arrivée d’André Laurendeau à la direction de L’Action nationale ».

Yvan Lamonde et Denis Saint-Jacques, 1937 : un tournant culturel, Sillery, Presses de l’Université Laval, 2009, 382 p.

120 aux HEC et de partager les vues des chefs nationalistes de son temps ont tôt fait de le réconforter à son retour au Québec. C’est donc avec enthousiasme qu’il reprend le chemin des HEC, afin d’y entamer sa carrière en bonne et due forme208.

2.6 Conclusion de chapitre

Cette première période de la vie intellectuelle de François-Albert Angers, qui correspond à ses années de formation académique et intellectuelle, ne nous permet pas encore de distinguer en quoi la trajectoire de cet individu constitue en soi une originalité dans le paysage culturel et intellectuel canadien-français. Brillant étudiant manifestant une curiosité hâtive en ce qui a trait au militantisme et à l’engagement national, il fut rapidement remarqué par la direction de l’École des HEC qui voyait en lui un potentiel manifeste. C’est d’ailleurs par le biais des HEC qu’Angers acquiert une pensée économique sensible aux problèmes nationaux du Canada français, faisant de lui un héritier des premiers économistes nationalistes que furent Esdras Minville et Édouard Montpetit.

En se constituant un réseau de contacts dans les milieux nationalistes canadiens- français et dans les milieux universitaires français, Angers a su faire usage des bénéfices liés à la possession d’un réseau social élargi. De retour au Québec en possession d’un capital social et symbolique impressionnant pour son âge (28 ans), Angers n’a toutefois pas encore développé un système idéologique original qui le distingue des autres figures marquantes de son temps. Marqué par le personnalisme français, le nationalisme bourassien ainsi que par le traditionalisme minvillien, sa pensée intellectuelle syncrétique demeure en formation et s’imbibe volontiers des grandes idéologies de l’époque. Malgré

121 cela, il conçoit que son action intellectuelle devra se déployer dans les enceintes de la Cité, pour le profit du plus grand nombre.

Dans le prochain chapitre, nous verrons comment Angers intégrera certains réseaux nationalistes influents, tout en poursuivant une brillante carrière à titre d’économiste, ce qui l’amènera à jouer le double rôle d’intellectuel par vocation et par fonction.

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Chapitre 3

De l’expertise à l’engagement, de la ''fonction'' à la ''vocation'' (1937-1948)

Pour parvenir à la stabilité politique dont elle a un si impérieux besoin, la province de Québec devra procéder à un regroupement de ses forces. C’est là que vous, Laurendeau et quelques autres, aurez votre rôle à jouer. Je vous assure que la besogne ne vous manquera pas à votre retour et vous aurez besoin de toutes vos forces, de toute votre intelligence et de tout votre savoir pour en venir à bout.1

- Lettre d’Esdras Minville, 26 août 1936.

Quand on veut se bâtir une maison de pierre, on n'empile pas des briques. De même en est-il dans la restauration de l'ordre social. Si nous le voulons catholique et français, bâtissons-le au jour le jour avec les matériaux appropriés; non pas avec les matériaux d'autres systèmes philosophiques et culturels. Les problèmes immédiats s'en trouveront aussi bien réglés et leur solution même contribuera à édifier la cité chrétienne de demain.2

- François-Albert Angers, L’Action nationale, 1944.

Dans ce chapitre, nous étudions la période allant de 1937 à 1948, qui recouvre le début de carrière de François-Albert Angers. Propulsé au-devant de la scène intellectuelle, le jeune professeur des HEC se voit rapidement aspiré par les tourments sociopolitiques caractéristiques de la fin des années 1930. La Crise économique se prolongeant dans le temps et les rumeurs persistantes d’une possible guerre européenne ont pour effet de

1 École des Hautes études commerciales (HEC), Fonds François-Albert Angers (P027), boîte P027/Z,0074,

« lettre d’Esdras Minville à François-Albert Angers », 26 août 1936.

123 catalyser un sentiment d’urgence au sein de l’intelligentsia canadienne-française. Partageant les vues de ses contemporains, le professeur des HEC devient rapidement un interlocuteur apprécié qui investit le débat public dans une optique de « démystification » de l’économie, auquel se greffe rapidement une sensibilité nationaliste. Nous analysons donc le processus évolutif relié au statut intellectuel d’Angers, qui évolue de la fonction à la vocation, en étudiant les fondements de ce changement paradigmatique qui sont directement reliées à son cadre réflectif traditionaliste.

Ce chapitre montrera que le capital symbolique que possède François-Albert Angers au retour de ses études lui permet d’intégrer de nouveaux réseaux liés à la vie universitaire, économique et politique du Canada français. Nous verrons que sa pensée s’inscrit dans un schème plutôt typique de l’époque, alors marqué par le catholicisme, le traditionalisme et le nationalisme. Nous démontrerons que le mode d’engagement intellectuel d’Angers, à l’époque, s’inscrit d’abord dans une optique fonctionnaliste. Ainsi, c’est à travers une problématisation économique qu’il organise son engagement et ses interventions à partir de la fin des années 1930. C’est par le biais de ses prises de position politique durant la Deuxième Guerre mondiale qu’il développe par la suite un type d’engagement s’inscrivant dans une logique de « vocation intellectuelle ».