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dichotomie ou continuum ?

2.1. Une démarche illustrative

Alors que les campagnes malgaches concentrent 80% de la population de l’île, elles sont exclues de la phase d’embellie économique que connaît Madagascar depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. La croissance est principalement tirée par les zones franches urbaines (installées en quasi-totalité à Antananarivo) et les conditions de transmission aux zones rurales ne semblent pas remplies. On assiste en effet à l’accroissement des inégalités entre milieux urbains et ruraux sur la récente période (Banque Mondiale [2005]). L’analyse de la pauvreté rurale sur la période 1998-2002, de ses évolutions et de ses mécanismes a pour objet de participer à la compréhension des facteurs de blocage.

Dans un premier temps il a été envisagé de choisir des observatoires relativement homogènes en termes de conditions agro-climatiques, de spécialisation économique et de formes d’organisations productives mais caractérisés par une intensité différenciée de liens avec la capitale de façon à expliciter les mécanismes de transmission. Pour des raisons de disponibilité des données, cette démarche n’a pu être mise en œuvre. Les deux observatoires

périmètre irrigué de Marovoay, illustrent des logiques assez nettement différenciées, aptes à mettre en évidence l’importance relative du contexte local et du contexte macro-économique national dans l’explication des évolutions de pauvreté au tournant du vingt-et-unième siècle.

a- Analyse de la pauvreté en milieu rural

Dans un premier temps, deux zones d’observation ont été sélectionnés afin de tester l’impact de l’intensité des liens entre milieu rural et milieu urbain dans l’évolution de la pauvreté rurale. Il semblait essentiel de retenir des observatoires aux caractéristiques voisines ; le choix s’est donc porté sur des sites appartenant à un espace géographique relativement homogène, celui des Hautes Terres de Madagascar. Les deux premiers observatoires sélectionnés, celui de Manjakandriana et celui d’Antsirabe, sont, de plus, caractérisés par le fait que la forme d’organisation productive type est la petite polyculture familiale. Ils ont cependant des degrés divers d’éloignement à la capitale (voir figure I.4), ce qui permet de mettre en lumière l’impact de liens plus ou moins intenses entre milieux rural et urbain sur les opportunités des ménages, leurs conditions de vie et les stratégies qu’ils mettent en place. Lors d’une première mission, au printemps 2003, j’ai donc réalisé des entretiens semi-dirigés sur ces deux zones58.

Pour des raisons de disponibilité des données, il n’a pourtant pas été possible de retenir l’un de ces observatoires. Les méthodes d’analyses quantitatives mobilisées pour observer les dynamiques de pauvreté nécessitent, en effet, l’utilisation de données de panel sur une période suffisamment longue. L’observatoire de Manjakandriana, créé en 1999, ne semblait pas fournir un recul suffisant. Par ailleurs, la pérennité des observatoires ruraux de Madagascar tient en grande partie à leur gestion en partie « décentralisée » : différents bailleurs assurent le financement (voir figure I.4), et, parfois, la mise en œuvre pratique de l’enquête. Si le protocole de recherche est identique pour tous les observatoires, il peut arriver, lors d’évolutions du protocole, que tous les observatoires ne soient pas immédiatement au diapason. Par exemple, la collecte systématique des prix à la consommation a été explicitement introduite dès 1999 dans le protocole commun d’enquête du réseau ; l’équipe travaillant sur l’observatoire de Manjakandriana, pour des raisons techniques, n’a pourtant pu produire ces données qu’à partir de l’année 2000, ce qui rend impossible l’évaluation de la

ligne de pauvreté monétaire et les comparaisons intertemporelles des données monétaires produites pour 1999 avec celles produites pour les autres années59.

Il semblait pourtant essentiel de travailler avec plus d’un observatoire de façon à produire une analyse comparative. A cette fin, l’observatoire de Marovoay, deuxième périmètre irrigué de Madagascar par la superficie, a été retenu. La modification de la zone d’étude a induit une réorientation partielle d la problématique de recherche. Plutôt que de retenir la distance à la capitale comme unique levier de compréhension des divergences entre zones rurales, ce sont les questions relatives à l’orientation économique des régions, en lien avec leurs spécificités géographiques (climat, relief) qui deviennent centrales.

b- L’influence des contextes locaux et nationaux sur les dynamiques et les processus de pauvreté

Il y a un double intérêt à opter pour une analyse localisée des dynamiques de pauvreté et du processus de la pauvreté. D’une part, on introduit ainsi le questionnement relatif à l’influence des aspects contextuels nationaux et locaux sur les évolutions temporelles de la pauvreté. D’autre part, l’analyse de la décomposition de la pauvreté en pauvreté chronique, ou de long terme, et transitoire, ou de court terme, est enrichie par la prise en compte des structures locales. En outre, cela permet de préciser en quoi la structure économique et sociale des zones d’étude influe sur les opportunités des ménages et explicite donc le rôle des aspects structurels locaux dans le processus de pauvreté.

Les évolutions temporelles de la pauvreté peuvent être le fait de deux types d’aspects conjoncturels : les évolutions macro-économiques ou les chocs locaux. L’analyse des évolutions de pauvreté en regard des contextes sociaux-économiques des deux zones géographiques donne la possibilité de mettre en évidence l’influence des aspects conjoncturels locaux et d’établir s’ils sont prépondérants. Cela donnera en outre une indication sur la sensibilité des zones d’observation aux fluctuations de l’économie nationale.

59 J’y ai réalisé une série de 18 entretiens en mai 2005. Cette deuxième étude qualitative, mise en œuvre avec plus de recul, a permis d’affiner la méthodologie initiale. Outre le fait que la grille d’entretien a été réorientée d’après les aspects émergents de l’analyse des dynamiques de la pauvreté (troisième chapitre), la logique illustrative de la démarche a été explicitement mise en œuvre (les personnes qui ont fait l’objet d’un entretien ont

Figure I.5 Les observatoires de Marovoay et d’Antsirabe, parmi les quatre observatoires « historiques » du ROR

Par ailleurs, la prise en compte des aspects structurels locaux fournit des éléments de compréhension de la composante chronique de la pauvreté. Le suivi des ménages dans le temps et l’observation de leur trajectoire de pauvreté précisent, en effet, les formes de pauvreté, en distinguant la pauvreté chronique de la pauvreté transitoire. La première est généralement analysée comme la résultante d’aspects structurels, tant dans les dotations des ménages que dans les opportunités dont ils disposent. En outre, cette analyse sera prolongée par l’analyse, au niveau des ménages, des processus de pauvreté. Le recours à une analyse contextuelle locale peut nous permettre de souligner en quoi l’histoire et l’organisation des zones géographiques influence les formes d’organisation productives et les stratégies des ménages. Pour identifier les opportunités réelles des ménages et donc leurs conditions d’accès aux moyens nécessaires pour construire leurs moyens d’existence, il est nécessaire de présenter le contexte local des observatoires. La compréhension des évolutions de la pauvreté et du processus de la pauvreté, passe donc par la mise en évidence des logiques contextuelles et structurelles des territoires sur lesquels porte l’étude.

La production d’une analyse localisée est essentielle pour guider les politiques de réduction de la pauvreté à l’heure de la décentralisation partielle des politiques de développement. L’analyse tendra cependant à dépasser l’échelle d’observation locale en optant pour une démarche comparative qui permet de poser la question de l’uniformité de ces mécanismes sur les zones rurales retenues.