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Assurer des comparaisons de pauvreté robustes

2.2. Une déconnexion relative

vis-à-vis des évolutions conjoncturelles nationales

Les évolutions temporelles de la pauvreté sont mises en regard de la forte croissance économique nationale à la fin des années quatre-vingt-dix, puis, de l’impact de la crise politique de l’année 2002129.

a- Evolutions de pauvreté en période croissance au niveau national

La forte baisse de la pauvreté sur l’observatoire de Marovoay se nourrit certainement en partie de l’évolution macro-économique favorable pour Madagascar à la fin des années quatre-vingt-dix. Le constat est radicalement différent sur l’observatoire d’Antsirabe pour lequel on observe une hausse significative de la pauvreté entre 1998 et 2001 pour les trois indices retenus (tableau III.1). Mis à part pour l’année 2002, les mouvements de pauvreté observés y sont, en grande partie, déconnectés des évolutions des agrégats macroéconomiques nationaux. Le pays connaît, entre 1995 et 2001, une période de croissance ininterrompue de son PIB réel, qui n’a que peu d’influence sur les mesures de la pauvreté pour cette zone d’étude. Fortement spécialisée dans le secteur primaire, elle ne profite visiblement pas de la croissance des années 1990, tirée en grande partie par le développement des zones franches au sein de la capitale.

L’évolution de la pauvreté est liée à deux effets distincts : (i) l’effet de la croissance explique la baisse (hausse) de la pauvreté suite à un enrichissement (appauvrissement) moyen de la population sur la zone, à inégalité constante ; (ii) l’effet de l’inégalité prend en compte une modification dans la forme de la distribution de revenu, une hausse de l’inégalité impliquant une hausse de la pauvreté, à revenu constant130. Il est ainsi possible d’effectuer une décomposition de l’évolution de la pauvreté en un effet d’inégalité et un effet de croissance.

129 La comparaison avec l’évolution des agrégats macroéconomiques, tels que le PIB par tête doit être faite avec prudence. Razafindrakoto et Roubaud [1998] insistent sur la piètre qualité des comptes nationaux malgaches. Cette dernière peut participer à l’explication d’un décalage entre l’évolution du PIB par tête national et le pouvoir d’achat des ménages sur les deux observatoires conjointement à la mise en évidence d’un effet spécifique sur les zones rurales. Herrera et Roubaud [2003] expliquent de cette façon le décalage important entre le pouvoir d’achat des ménages tananariviens entre 1995 et 2000 (+50%) et la hausse du PIB réel par tête national sur la même période (+2,5%).

130 Pour une synthèse des travaux portant sur les liens entre inégalités, croissance et pauvreté, se référer à Bourguignon [2004].

Tableau III.2 Évolutions du revenu réel par tête et de l’inégalité et décomposition de Kakwani Observatoires d’Antsirabe et de Marovoay, 1998 et 2002

1998 1999 2000 2001 2002

Pouvoir d'achat1

Antsirabe

Revenu réel par tête moyen (milliers de Fmg constants) 596 499 451 497 564 Base 100 en 1998 100,0 83,7 75,7 83,4 94,7

Marovoay

Revenu réel par tête moyen 764 665 1 146 1 192 1 151 Base 100 en 1998 100,0 87,0 149,9 155,9 150,6 Indice de Gini Antsirabe 0.41 0.37 0.40 0.37 0.42 Marovoay 0.38 0.37 0.43 0.40 0.37 Décomposition de Kakwani Antsirabe Evolution de l’indice P0 (P0, n - P0, n -1) 0.07 0.07 -0.06 -0.02 Effet de la croissance 0.10 0.06 -0.04 -0.04 Effet de la redistribution -0.03 0.01 -0.02 0.02 Marovoay Evolution de l’indice P0 (P0, n - P0, n -1) 0.04 -0.15 -0.15 0.04 Effet de la croissance 0.04 -0.20 -0.9 0.07 Effet de la redistribution 0 0.05 -0.6 -0.03 Notes : (1) Le revenu par tête des ménages est donné en milliers de Fmg constants (évaluation aux prix d'Antsirabe pour 1998). En 1998, 1 euro valait 6066 Fmg, en moyenne annuelle (ministère de l'économie, des finances et du budget de Madagascar).

Source : Données des observatoires ruraux de Madagascar

Nous retiendrons ici la décomposition de Kakwani [1997]131. L’évolution des indicateurs de pouvoir d’achat et d’inégalité de la distribution de revenu sur les deux zones est présentée préalablement à la décomposition des effets de croissance et d’inégalité dans

131 Datt et Ravallion [1992] ont également proposé une décomposition mais qui inclut un résidu parfois important : une proportion élevée de la variation de la pauvreté reste inexpliquée L’approche de Kakwani [1997] est préférée car elle opère une décomposition complète, sans résidu. Elle est formalisée comme suit.

Soit t=0 et t=1 les deux dates extrêmes de la période d’observation. La mesure de la pauvreté à la date t, Pt, dépend de la ligne de pauvreté, z ; du revenu moyen, b, et de la courbe de Lorenz, L.

) , , (z bt Lt P P=

La variation de la pauvreté dépend de l’effet de croissance, C, et de l’effet de l’inégalité, I. Chacun de ces deux effets peut être calculé en prenant comme référence, r, soit la date 0, soit la date 1. Kakwani propose d’estimer l’effet de croissance par la moyenne des valeurs prises par la composante de croissance lorsque r=0 et r=1.

[ ] [ ]

{

( , , ) ( , , ) ( , , ) ( , , )

}

5 , 0 P z b1 L0 P z b0 L0 P z b1 L1 P z b0 L1 C = − + −

De même, pour l’effet d’inégalité :

[ ] [ ]

{

( , , ) ( , , ) ( , , ) ( , , )

}

5 , 0 P z b0 L1 P z b0 L0 P z b1 L1 P z b1 L0 I = − + −

l’évolution des mouvements de pauvreté (tableau III.2). Sur l’ensemble de la période 1998-2002, le pouvoir d’achat des ménages de l’observatoire de Marovoay a cru de 50% en moyenne, ce qui est comparable à l’évolution du pouvoir d’achat des ménages tananariviens entre 1995 et 2000 (Herrera et Roubaud [2003]). En revanche, sur l’observatoire d’Antsirabe, le pouvoir d’achat des ménages a connu une quasi-stabilité132. Parallèlement, sur l’ensemble de la période, les inégalités de revenu, mesurées grâce à l’indice de Gini, sont restées relativement stables, que ce soit sur l’observatoire d’Antsirabe ou sur l’observatoire de Marovoay. Les évolutions de l’indice de pauvreté entre les deux dates limite de la période tiennent donc essentiellement aux évolutions du pouvoir d’achat moyen des ménages (tableau III.2). Cependant, les mouvements de l’inégalité sont relativement importants d’une année à l’autre. La décomposition de l’évolution de la pauvreté montre que, selon les années, les effets d’inégalité et de croissance se renforcent ou vont en sens contraire. Ainsi, l’année du passage du cyclone à Antsirabe (2000) est marquée par une hausse du ratio de pauvreté. Elle tient essentiellement à un effet de croissance, mais ce dernier est encore renforcé par l’effet de l’inégalité. Par contre, en 2002 (crise politique), la réduction de l’inégalité permet d’atténuer l’effet de croissance. Sur l’observatoire de Marovoay, les deux années de baisse consécutive du ratio de pauvreté, 2000 et 2001, ont une décomposition tout à fait différente. Alors qu’en 2000 le fort effet de croissance (qui tire à la baisse le ratio de pauvreté) est compensé par un accroissement de l’inégalité, entre 2000 et 2001, la réduction de l’inégalité renforce un effet de croissance pourtant plus modéré. D’une façon générale, on observe, toutefois, que l’effet de croissance est d’une ampleur plus marquée que l’effet d’inégalité.

L’enquête nationale des évolutions de la pauvreté (Banque mondiale [2005]) souligne que la croissance de la fin des années quatre-vingt-dix a profité essentiellement aux ménages non pauvres, se traduisant ainsi par un accroissement des inégalités et une relative stabilité de la pauvreté (croissance pro-riche). La décomposition entre milieux urbains et ruraux précise le phénomène. La période 1997-2001 est marquée par une réduction des inégalités et de la pauvreté en milieu urbain et une stabilité de la pauvreté en milieu rural133. La période de croissance s’est donc soldée par un accroissement des inégalités entre milieu urbain et rural. Au sein même de la zone rurale, l’étude menée sur les observatoires de Marovoay et

132 On observe en fait une première phase de baisse du pouvoir d’achat de l’ordre de 20% entre 1998 et 2000 et une phase de rattrapage du niveau initial de 2000 à 2002.

133 Alors que l’incidence de la pauvreté se réduit en milieu urbain, passant de 63,2 % en 1997 à 48,1 % en 2001, elle reste stable, autour de 76%, en milieu rural.

Antsirabe tend à montrer que les disparités en termes de pauvreté entre les deux observatoires se sont accrues.

b- L’impact modéré de la crise politico-économique de 2002

Les répercussions économiques et sociales de la crise politiques de 2002 ont été extrêmement lourdes au niveau national. Le PIB par tête a connu un recul majeur et la pauvreté a cru de façon significative tant en milieu urbain qu’en milieu rural (l’incidence atteint 80,7% au niveau national, 61,6% en milieu urbain et 86,4% en milieu rural pour l’année 2002). En décembre 2001, la contestation des résultats du premier tour des élections présidentielles opposant le président en place, Didier Ratsiraka, à Marc Ravalomanana a été le déclencheur d’une crise politique sérieuse qui a duré jusqu’au mois de juillet 2002. Il s’en est suivi des manifestations populaires massives, des tensions militantes extrêmes qui ont paralysé l’île pendant toute la durée de la crise politique. Par ailleurs, se sont mises en place des actions visant à isoler la capitale par un blocage des voies de communication et du port de Tamatave, principal port d’exportation et d’importation. Le renchérissement consécutif du prix du pétrole, l’insécurité et les barrages routiers sont les principaux canaux de transmission de la crise économique dans le milieu rural. Les quelques transporteurs prêts à se rendre en zone rurale ont en effet répercuté la hausse des coûts en usant de leur quasi monopole. Ainsi, non seulement les prix des produits de première nécessité ont connu une augmentation sans précédent, mais les prix aux producteurs ont chuté.

L’ensemble de ces éléments a considérablement affecté les conditions de vie des ménages ruraux, mais l’impact en termes de pauvreté sur les observatoires est assez nuancé. La pauvreté en termes de revenu par tête n’augmente que faiblement sur l’observatoire de Marovoay et affiche une légère baisse à Antsirabe. Les tests de dominance de deuxième ordre, présentés dans les figures III.2 et III.3 confirment que ces évolutions ne sont pas uniquement liées à la ligne de pauvreté utilisée. La figure III.2 met clairement en évidence que l’année 2002 est, pour Antsirabe, une année intermédiaire au même titre que 2001 et 1999. Pour Marovoay (figure III.3), par contre, la courbe TIP de l’année 2002 domine la courbe 2001, ce qui nous amène à conclure à une hausse de la pauvreté entre 2001 et 2002. L’extraversion plus marquée de l’observatoire de Marovoay induit donc une plus grande aptitude à saisir les opportunités en période de croissance nationale, mais rend également la zone plus sensible aux périodes de récessions. Pourtant, la courbe de 2002 et très nettement dominée par les

Figure III.2 Courbes TIP pour Antsirabe, 1998-2002

,00 ,03 ,06 ,08 ,11 ,14 ,17 ,19 ,22 ,25 ,27 ,30 3,3 ,36 ,38 ,41 ,44 ,47 ,49 ,52 ,55 ,57 ,60 ,64 ,70

Proportion cumulée des ménages

0,00 0,10 0,20 0,30 0,40 So mme cumulé e de s é cart s de pa uvret é en te rmes de revenu par tête 1998 1999 2002 2001 2000

Source : Source : A partir des données des observatoires ruraux de Madagascar, 1998-2002

Figure III.3 Courbes TIP pour Marovoay, 1998-2002

,0

0 ,02 ,03 ,04 ,06 ,07 9,0 ,10 ,12 ,13 ,14 ,16 7,1 ,19 ,20 ,22 ,24 ,27 ,30 ,32 ,35 ,38 ,41 ,44 ,47

Proportion cumulée des ménages

0,00 0,05 0,10 0,15 0,20 Somme cumulé e des éc art s de pauvret é en t er m es de revenu par tête 1998 1999 2000 2002 2001

Source : Source : A partir des données des observatoires ruraux de Madagascar, 1998-2002

courbes de 1998, 1999 et 2000, traduisant, certes, une interruption du mouvement de baisse de la pauvreté mais non un retour à la situation initiale.

La crise politique et ses répercussions économiques ne semblent pas avoir entraîné une chute marquée du revenu à Antsirabe et à Marovoay. Il faut dire que, pour la plupart des ménages, l’essentiel du revenu provient de la production agricole, or la campagne rizicole 2002 a été correcte, tant sur l’observatoire d’Antsirabe que sur l’observatoire de Marovoay. Il

n’en reste pas moins que la crise politique a eu des répercussions lourdes sur le bien-être des ménages qui ne sont pas captées par l’indicateur monétaire : à court terme, en raison du renchérissement des produits de première nécessité non produits sur zone (huile, sel, sucre), et à moyen terme, à cause de l’impossibilité d’écouler la récolte et du coût d’opportunité que cela représente.

Alors que les évolutions de la pauvreté sur l’observatoire de Marovoay sont cohérentes avec les évolutions macro-économiques, l’analyse souligne une déconnexion assez nette pour l’observatoire d’Antsirabe. Sur l’ensemble de la période, on observe ainsi que les évolutions de la pauvreté réagissent à des stimulations conjoncturelles différentes sur les deux observatoires.