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adaptée à la logique illustrative de l’outil d’observation statistique

1.2. La portée des résultats

Le matériau de base de l’analyse des représentations de la pauvreté est une série de discours, produits dans une situation de communication. Ignorer cet état de fait restreindrait fortement l’intérêt de la démarche. Cette situation induit inéluctablement certains biais dont il

97 Dans la section suivante, je reviendrai sur les difficultés méthodologiques particulières qui ne manquent pas de se produire lorsque l’on travaille dans une langue que l’on ne connaît pas.

est impossible de se prémunir totalement. Il est donc nécessaire de les repérer pour mieux les comprendre et reconnaître leur incidence (premier paragraphe). Par ailleurs, en revenant sur les caractéristiques de l’échantillon, sa taille et sa composition, on donnera un aperçu des possibilités d’extrapolation des résultats (second paragraphe).

a- Difficultés méthodologiques particulières

Les difficultés méthodologiques rencontrées au cours de la réalisation des entretiens sont regroupées en trois temps : le temps de la rencontre, le temps de l’échange et le temps de la traduction.

Le temps de la rencontre

La qualité des entretiens et des informations révélées est directement soumise au degré de confiance qui s’instaure entre les personnes qui fournissent l’information (les personnes enquêtées) et celles qui la captent (les enquêteurs). Ce fût particulièrement flagrant dans le village de Mazoto (observatoire d’Antsirabe) où la population semblait assez réticente et méfiante. La succession des enquêtes du ROR (durant 7 années) ainsi que les nombreux projets montés sur le village par des ONG semblent avoir lassé la population. En outre, la fierté des villageois, et notamment du chef de quartier, est apparue lorsque nous avons annoncé travailler sur la pauvreté. Dans un premier temps, ce responsable local ne nous a proposé de rencontrer que des notables du village et il a fallu beaucoup de discussion pour faire comprendre qu’il était essentiel pour notre travail de rencontrer des personnes aux profils variés. A Manjankandriana, les enquêteurs qui nous accompagnaient étaient connus et appréciés de la population. Les entretiens se sont déroulés dans un climat de confiance, les personnes enquêtées ont semblé beaucoup plus ouvertes.

Le premier cap de l’arrivée au village et de la rencontre est crucial car il détermine le climat global de la mission, cependant, beaucoup de choses restent à jouer au moment de l’entretien proprement dit.

Le temps de l’échange privé

Les entretiens ont été menés en privé, à l’intérieur des maisons ou dans la cour, la plupart du temps avec une seule personne99. La majorité des personnes ayant accepté un

99 Parmi les entretiens auxquels il est fait référence dans l’analyse, un seul a été mené avec, comme interlocuteurs, le chef de ménage et sa conjointe. Ce point est d’ailleurs signalé lorsque l’entretien est commenté.

entretien avaient préalablement été enquêtées dans le cadre du ROR. Elles étaient donc coutumières des entretiens fermés. Dans ces conditions, il faut être très prudent, dès le début de l’entretien, si l’on ne veut pas que la personne s’enferme dans l’attitude passive à laquelle l’a habituée la situation d’entretien fermé. L’idéal est d’arriver à donner le ton d’une conversation. Comme le souligne Kaufmann [2004 : 51]),

« Tout en étant très actif et en menant le jeu, l’enquêteur doit savoir rester modeste et discret : c’est l’informateur qui est en vedette, et il doit le comprendre à l’attitude de celui qui est en face de lui, faite d’écoute attentive, de concentration montrant l’importance accordée à l’entretien, d’extrême intérêt pour les opinions exprimées, y compris les plus anodines ou étranges, de sympathie manifeste pour la personne interrogée. ».

D’une façon générale, les personnes auprès desquelles ont été menés les entretiens, étaient ravies de passer du statut d’enquêté au statut d’informateur : la plupart se sont prêtées au jeu, avec, bien sûr, plus ou moins de retenue.

C’est finalement avec les traducteurs que l’habitude de l’entretien fermé a posé le plus de problème. Il n’était pas aisé pour eux de passer du questionnaire fermé à la conversation semi dirigée.

Le temps de la traduction

Les entretiens ont été soumis aux difficultés particulières liées à la présence d’un traducteur. Le terme d’interprète semble ici plus adapté, car il a le mérite de ne pas suggérer une illusoire neutralité. Le dialogue est évidemment très largement influencé par la présence d’une tierce personne et la nécessité d’une traduction. Ainsi, la formulation des questions et des relances, de même que les réponses des enquêtés passent par le filtre de l’interprète, c’est-à-dire de sa compréhension et de sa traduction. Une perte d’information, voire la déformation de l’information, est alors inéluctable100. Afin de limiter ce problème, il est donc essentiel de discuter longuement de sa problématique et de sa méthode de recherche avec l’enquêteur-interprète afin qu’il puisse cerner au mieux les informations pertinentes et respecter la logique particulière de l’entretien semi-dirigé.

100 Lors de la deuxième série d’entretiens, menés en mai 2005, les décalages entre les questions posées en français et leur traduction en malgache, ainsi qu’entre les réponses en malgache et leur traduction en français apparaissent plus clairement. A cette occasion, j’ai en effet opté pour la méthode consistant à enregistrer

Outre les aspects directement liés au contexte de production des données, les caractéristiques de l’échantillon permettent de donner une idée du pouvoir de généralisation des résultats.

b- Caractéristiques de l’échantillon

La sélection des personnes enquêtées a été opérée selon deux critères. D’une part, il semblait essentiel que les personnes aient déjà fait l’objet d’une enquête par le Réseau des Observatoires Ruraux, puisque cela donnait la possibilité de retrouver, a posteriori, des informations détaillées sur elles-mêmes et leur ménage d’appartenance. D’autre part, la constitution de l’échantillon a respecté la pluralité des caractéristiques socio-économique, pour représenter les différentes composantes de la communauté.

La plupart des entretiens ont effectivement été menés auprès de personnes appartenant à des ménages préalablement enquêtés par le ROR. Cette option permettait de combiner deux aspects d’importance. Premièrement, l’analyse des discours est ainsi enrichie par les nombreuses variables relatives aux caractéristiques socio-économiques contenues dans les informations du ROR. Deuxièmement, l’entretien en lui-même s’en trouve considérablement allégé puisque les données de cadrage sont alors réduites au minimum nécessaire pour pouvoir retrouver, avec certitude, les données relatives à la personne interviewée dans la base de données des observatoires.

Cette ligne de conduite n’a pourtant pu être que partiellement tenue. Dans les faits, il s’est avéré complexe et coûteux en temps de ne conduire des entretiens qu’avec ces personnes. Si, sur la première zone d’étude, le village de Vinany au sein de l’observatoire d’Antsirabe, nous nous sommes tenus à cette règle, c’est aussi à la fin de cette première mission qu’elle a été assouplie. Il s’agissait d’agir le plus naturellement possible, de ne pas imposer et de ne pas s’imposer. Au final, les entretiens ont été menés auprès des personnes qui étaient désireuses de communiquer, partant du fait que les entretiens « désirés » sont plus riches que les entretiens « contraints ». Au total, sur 28 entretiens semi-dirigés abordant le thème des représentations de la pauvreté, 7 ont été menés auprès de personnes n’ayant pas fait l’objet d’une enquête ROR101. Pourtant, même dans ce cas, il a été décidé de ne pas alourdir la partie de l’entretien visant à collecter les données de cadrage, au contraire. Le début de

101 Dans ce chapitre, ne seront présentées que les caractéristiques des personnes ayant évoqué, au cours de l’entretien, la question des représentations de la pauvreté, mais au total 39 entretiens ont été conduits dont 10 auprès de personnes n’appartenant pas à l’échantillon du ROR.

l’entretien perd ainsi en formalisme et favorise une prise de parole plus libre lorsque l’on se contente de recueillir quelques caractéristiques, susceptibles, a priori, d’influencer le discours sur les représentations de la pauvreté (âge, nombre d’enfants, statut dans le ménage, statut matrimonial).

Dans ce même ordre d’idée, il est important, pour la qualité de l’entretien, de ne pas noter le nom de la personne pendant l’entretien, mais de s’en occuper après, discrètement, en demandant, si besoin, confirmation auprès de l’enquêteur-interprète. De la même façon, au début de l’entretien, une brève déclaration précisait à la personne qui acceptait de nous recevoir que son anonymat serait préservé. Notamment, il lui était signifié que pour toute publication de l’intégralité ou d’un extrait de son discours, un nom fictif serait donné. La situation d’entretien est une situation de communication, et il est important de réunir les éléments propices à la mise en confiance. La visite d’un groupe de chercheurs est, en soi, suffisamment déstabilisante.

La deuxième règle de sélection, visant à interroger des personnes de niveaux de vie différents a été plus difficile à tenir. Le cas du village de Mazoto, présenté dans le paragraphe précédent, en est évocateur. Pourtant, il reste difficile de repérer directement le niveau de vie d’une personne et, encore plus difficile de demander au chef de quartier de rencontrer des personnes démunies, sans être discourtois. La figure II.2 montre la répartition des ménages d’appartenance des personnes enquêtées au sein des quartiles de bien-être économique. La surreprésentation, au sein de l’échantillon statistique, des ménages appartenant au quartile le plus élevé montre que le biais de sélection, identifié à Mazoto, a persisté, même si des personnes appartenant à toutes les catégories de bien-être économique ont été entendues. Il faut souligner que les personnes les plus démunies, peu accoutumées à tenir les premiers rôles, n’ont pas l’habitude de prendre la parole, et sont certainement les plus intimidées par les étrangers au village.

L’analyse des autres caractéristiques de l’échantillon montre une variété certaine dans les profils des personnes interrogées. Notamment, l’échantillon statistique comporte à peu près autant d’hommes que de femmes. Il n’est pas étonnant de retrouver ici, comme dans toutes les enquêtes en milieu rural malgache, que la quasi-totalité des personnes se déclarent

Figure II.2 Entretiens sur la pauvreté : caractéristiques de l’échantillon 0 5 10 15 20 25 30 Premier Deuxième Trois ième Quatrième Sans diplôme Lire et écrire CEPE BEPC et plus Autre Agriculteur exploitant 55 et plus [45,55[ [35,45[ [25,35[ Veuf Divorcé/Séparé Célibataire Marié Homme Femme Conjoint(e) du chef Chef Ants irabe Manjakandriana Q ua rt ile d' ap pa rt en an ce R eve nu pa r t êt e ( 2) N iv eau d' in st ru ct ion (1 ) A ppa rt ie nt à l'é ch an ti llo n du R O R * Pr of es si on pr in ci pa le C la sses d ge (A nn ées ) St at ut m at ri m oni al G enr e St at ut au se in d u m éna ge O bs er va toi reTo ta l Effe ctif

Notes : (1) Données individuelles, à partir du fichier individus des questionnaires du ROR. (2) Pour les personnes dont le ménage a été enquêté au moins une fois par le ROR, le quartile d’appartenance de la personne enquêtée est déterminé d'après le revenu par tête de son ménage (les modalités de construction de l’indicateur de bien-être économique sont présentées dans la section 2 du présent chapitre). Les quartiles de revenu par tête sont calculés pour la population de chaque observatoire. Le premier quartile regroupe les ménages faisant partie des 25% les plus pauvres de l'échantillon.

Source : A partir des données collectées lors de la mission de recherche, mars-juin 2003, et des données du ROR, calculs de l’auteur

Figure II.3 Entretiens semi-dirigés, 2003, et enquête ROR, 2002, Antsirabe Mise en regard des caractéristiques des populations statistiques

0 20 40 60 80 100 Homme Femmes Marié Célibataire Divorcé/Séparé Veuf Union libre Moins de 35 [35,45[ [45,55[ 55 et plus Agriculteur exploitant Autre Ge nr e S tat ut m a tr im on ia l C la sse s d g e ( A n n é e s) P rof e s s ion pr in c ip a le

Part dans la population statistique de référence

Entretiens semi dirigés ROR 2002

Notes : Toutes les personnes ayant fait l’objet d’un entretien semi-dirigé sur l’observatoire d’Antsirabe ont été enquêtées par le ROR en 2002 mais ont été exclues des enquêtes ROR en 2003 (le panel a été totalement refondu). Les deux populations statistiques sont exclusivement composées de personnes ayant le statut de chef de ménage. L’effectif total des populations statistiques atteint respectivement 12 individus pour les entretiens menés en 2003 et 601 individus pour les enquêtes ROR de 2002.

Source : A partir des données collectées lors de la mission de recherche, mars-juin 2003 et des données des observatoires ruraux, 2002, calculs de l’auteur

agriculteurs-exploitants. Dans la figure II.3, la mise en comparaison, pour Antsirabe102, de l’échantillon statistique avec celui de ROR souligne que la population statistique des entretiens n’est pas représentative de celle des observatoires. Cela est particulièrement flagrant en ce qui concerne la structure par âge des deux populations et le statut matrimonial.

Pourtant, en technique qualitative, il peut être intéressant de mettre l’accent sur des personnes atypiques qui, par échos, interpellent la norme et dont les discours sont potentiellement indicatifs des changements à l’œuvre. C’est particulièrement le cas pour les femmes célibataires ou divorcées qui ont des représentations particulières de la pauvreté du fait de leur situation sociale marginale, ou des personnes âgées qui ont un discours dans lequel les notions de mort et de lignées sont plus présentes. Les caractéristiques sont présentées à

titre indicatif, et le faible nombre de cas des entretiens semis-dirigés ne permet pas de faire de plus amples commentaires.

L’analyse de l’échantillon ne saurait être complète si l’on ne s’interrogeait sur le pouvoir de généralisation de l’étude en posant la question de la saturation de l’hypothèse.

c- La probable non saturation de l’hypothèse

En analyse qualitative, le modèle de compréhension est construit progressivement au cours de l’analyse des entretiens. Kaufmann [2004] décrit ce processus. Partant de la lecture des premiers entretiens, les hypothèses du modèle sont d’abord floues, confuses. On est face à un écheveau de pistes puisque chaque observation apporte une idée nouvelle. Puis, les hypothèses se stabilisent jusqu’au moment où on peut considérer qu’il y a saturation : les nouvelles observations n’apportent plus rien ou presque. L’analyse des représentations proposées dans la section suivante n’est probablement pas totalement stabilisée en raison du nombre relativement restreint d’entretiens conduits. Sur les trois zones d’observations, 39 entretiens ont été effectués. Parmi ceux-ci, 28 contiennent effectivement un discours sur les représentations de la pauvreté. Il est à peu près certain que des entretiens supplémentaires auraient apporté des informations complémentaires, conduisant à affiner ou réorienter partiellement les hypothèses finales présentées. Ces résultats demandent donc à être confirmés par des études complémentaires et représentent des pistes de recherche plus que des résultats définitifs.

La logique de construction des modèles, base de l’analyse qualitative des entretiens, est bien celle qui est suivie. Toutefois, compte tenu du faible nombre de cas retenus et de l’objet de la recherche, l’analyse est centrée sur la construction de catégories et laisse au second plan la mise en place d’un modèle de compréhension des représentations de la pauvreté103.

Selon Kaufmann [2004 : 90], construire un modèle c’est « comprendre les processus

liés aux hypothèses centrales, c’est donner du sens, de l’épaisseur aux catégories et aux liens entre ces catégories ». L’objet du présent travail, sans s’atteler à la construction d’un modèle

proprement dit, a pour objectif d’identifier les catégories de pauvreté telles qu’elles ressortent des discours des personnes rencontrées, et d’établir les liens entre les catégories de présentation de la pauvreté et le contexte sociétal des Hautes Terres malgaches.