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entre méthodes qualitative et quantitative

1.2. Représentations et indicateurs : résonances et dissonances

Le développement des analyses qualitatives pour identifier les dimensions de la pauvreté socialement pertinentes participe d’un mouvement progressif de réorientation du concept, les normes minimales n’étant plus seulement physiques ou physiologiques mais aussi psychologiques et sociales. Dans ce cadre, la modalité de combinaison entre études qualitative et quantitative se traduit par une mise en séquence : l’étude qualitative, menée préalablement, permet d’identifier les dimensions de la pauvreté qui seront, dans un deuxième temps, retenues pour construire un indicateur synthétique. Cependant, cette modalité de combinaison soulève des difficultés techniques certaines.

Après avoir présenté les résultats d’études qui ont utilisé cette combinaison séquentielle des méthodes, nous nous interrogerons sur la pertinence de la mettre en œuvre dans le cadre de ce travail, en précisant les difficultés techniques qui sous-tendent l’effort de construction d’un indicateur de pauvreté sur la base d’une analyse qualitative.

a- La combinaison séquentielle :

Identification des dimensions de la pauvreté à partir d’une enquête qualitative

La plupart des études qualitatives, qui se sont attelées à la définition des dimensions de la pauvreté telles qu’elles sont perçues localement (ou, pour adopter la terminologie du cadre analytique des capacités, des objets de valeur que les individus ont raison de valoriser), ont retenu une approche participative. C’est le cas de Chambers [1992], des études de la Banque mondiale synthétisées par Narayan et al. [2000a et 2000b], de Max-Neef [1993], et dans le cadre théorique des capacités, de l’étude Jasek-Rysdhal [2001] et de Alkire [2002b]72. Plus rares sont celles qui s’appuient sur des entretiens semi-dirigés. Parmi celles-ci, on trouve l’étude de Clark et Qizilbash [2002]. Pourtant, les groupes de discussions (focus group) sont soumis à des enjeux de pouvoir et le risque est grand de ne voir apparaître, au cours des

72 Les questions sous-jacentes à l’opérationnalisation de la théorie des capacités sont les suivantes. Quels fonctionnements retenir ? Comment hiérarchiser les fonctionnements ? Comment effectuer la mesure des fonctionnements ? Comment passer de la mesure des fonctionnements à la mesure de la capacité ? Le recours à une démarche qualitative pour opérationnaliser l’approche en termes de capacité, n’est toutefois pas la voie la plus développée. L’approche est essentiellement mise en œuvre de façon extérieure et quantitative, par la détermination d’un ensemble de capacités a priori, et le recours à une estimation par la méthode des ensembles flous (Chiappero Martinetti [2000]). Selon Farvaque [2003], toutefois, l’approche qualitative, en cours de développement, est porteuse car « située ». En d’autres termes, elle permet de traiter simultanément les questions d’identification des dimensions localement pertinentes et celle des moyens de l’action publique. Elle ne cherche pas à quantifier les objets de valeurs mais à les identifier et comprendre leurs interconnexions pour fonder une action publique efficace.

discussions, que des thèmes convenus ou mineurs (Blanc-Pamard et Fauroux [2004], Clark [2005]). Toujours est-il que l’ensemble de ces études identifie des dimensions de la pauvreté relativement proches73, couvrant à la fois les aspects classiques du bien-être matériel (nourriture, travail, santé physique) et des éléments relevant du bien-être « social » (satisfaction des obligations sociales), du bien-être psychologique (estime de soi, prendre soin de sa famille, tranquillité d’esprit) de la liberté de choix et d’action. L’ensemble de ces dimensions est également présent dans la liste des capacités universelles établies par Nussbaum.

Pourtant, la volonté d’appuyer la mesure de la pauvreté à un concept forgé sur la base d’une démarche qualitative modifie les pratiques. La question n’est plus seulement de choisir entre une mesure unidimensionnelle et une mesure multidimensionnelle, (d’autant plus qu’un consensus se dégage aujourd’hui pour dire que ces approches sont complémentaires74), mais plutôt de définir des indicateurs contextuels (socio-spécifiques), à même de refléter les normes socioculturelles en vigueur. Cela implique un changement de pratique, la pertinence de tels indicateurs étant subordonnée à son aire géographique de validité, autrement dit, l’espace sur lequel les normes identifiées sont partagées. Cette modalité de combinaison apparaît comme extrêmement complexe à réaliser.

b- Construire un indicateur de pauvreté sur la base des représentations : Une modalité de combinaison questionnée

La création d’un indicateur sur la base d’une analyse préalable des dimensions de la pauvreté telles qu’elles sont localement exprimées suppose de transformer des éléments de discours en variables qualitatives ou quantitatives, puis de synthétiser ces informations disparates au sein d’un indicateur unique. C’est un exercice périlleux nécessitant une réduction de l’information, tout en préservant au maximum les nuances du discours qualitatif. Après avoir identifié les étapes d’une telle démarche et ses difficultés méthodologiques, nous nous interrogerons sur la pertinence et la faisabilité d’un tel cahier des charges dans le cadre de la présente étude.

Du discours à la mesure

Le passage des énoncés du discours à la construction d’un indicateur de pauvreté fidèle au discours nécessite de s’interroger sur les difficultés méthodologiques sous-jacentes à l’exercice. Premièrement, il s’agit de déterminer la structure des variables nécessaires et, par suite, la forme de l’indicateur à retenir. Deuxièmement, il est nécessaire de s’interroger sur l’aire de validité de l’indicateur contextuel ainsi construit pour identifier la pertinence de la démarche.

Bien qu’il semble, a priori, possible de concrétiser cette piste en retenant une analyse monétaire ou une analyse non monétaire, l’indicateur multidimensionnel, non monétaire, semble être la voie la plus appropriée. En effet, si initialement l’analyse monétaire a été la plus développée, c’est parce qu’elle répondait à deux contraintes essentielles de l’analyse de la pauvreté (Ravallion [1998]):

- concilier, au sein d’un indicateur unique, différents aspects avec un dénominateur commun, la monnaie (ce qui semble particulièrement pertinent dans des économies largement monétisées) ;

- assurer, grâce à un indicateur homogène et décomposable, des comparaisons robustes dans le temps et dans l’espace, en recourant à des déflateurs ; aspect essentiel pour cibler les politiques en fonction des zones et des groupes les plus pauvres ;

Pourtant, l’intégration au sein d’un indicateur monétaire des nouvelles dimensions jugées pertinentes, telles qu’elles sont développées dans le cadre des analyses en termes de pauvreté humaine, pose un problème évident mais incontournable, celui de leur traduction sous forme monétaire. En dehors des dimensions donnant lieu à un échange marchand, des dimensions nécessitant un coût de production, il semble difficile de passer par une monétarisation. D’autre part, les techniques d’analyse statistique qualitative et multidimensionnelle renouvellent considérablement les possibilités de l’approche non monétaire75.

L’aire de validité de l’indicateur contextuel est assujettie à l’espace géographique de validité du système de représentation de la pauvreté mis en place par l’étude qualitative. Il

75 La recherche est d’ailleurs en ébullition sur ce point que ce soit au niveau macro-économique (recherche d’indicateurs alternatifs au PIB pour mesurer le développement, voir notamment McGillivray [2005]) ou au niveau micro-économique.

semble ainsi délicat de définir un indicateur unique permettant des comparaisons nationales et internationales. Cette caractéristique des indicateurs monétaires et non monétaires universels est également essentielle pour permettre un suivi évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté mises en œuvre. Toutefois, le fait même que des mesures de la pauvreté homogènes, quantitatives, soient internationalement développées, autorise à compléter cet arsenal statistique existant par des indicateurs localement pertinents. La mise en œuvre d’indicateurs contextuels, valides localement, semble d’autant plus judicieuse qu’un mouvement de décentralisation est à l’œuvre depuis plusieurs années à Madagascar76. Il serait alors particulièrement intéressant de créer des indicateurs spécifiques aptes à guider les politiques décentralisées, d’autant plus que les collectivités décentralisées malgaches sont demandeuses de telles informations.

Cette option de complémentarité entre analyse qualitative et analyse quantitative, bien qu’envisagée dans un premier temps, n’a pas été mise en œuvre dans le cadre de cette recherche. L’intégration de l’analyse qualitative des représentations de la pauvreté à la recherche sur les dynamiques de pauvreté en zone rurale malgache est donc opérée par le recours à une modalité de combinaison analytique.

La combinaison analytique

au service de l’étude du processus de pauvreté

Premièrement, les travaux qui ont tenté de capter ces aspects au sein d’un indicateur restent décevants. En définitive, ils retiennent des dimensions de la pauvreté quasiment identiques à celles des études en termes de besoins essentiels. Il faut dire que la construction d’un indicateur reste tributaire des données d’enquête disponibles, lesquelles sont généralement préexistantes à la mise en œuvre de l’étude qualitative. Un moyen serait donc de construire le questionnaire produisant les données nécessaires pour la construction des variables une fois l’analyse qualitative menée. Qui plus est, certaines dimensions restent rétives à toute mesure, qu’elle soit monétaire ou non monétaire, et ce, bien que les méthodes ne cessent d’être affinées aussi bien en termes de techniques d’enquête qu’en termes de

76 Le processus de décentralisation s’y est traduit par l’accroissement des compétences des régions (2004) et des communes, nouvellement créées (1993). L’élaboration des programmes cadres de développement et de lutte contre la pauvreté acquiert, de fait, un ancrage local explicite. En effet, chaque commune élabore un Plan Communal de Développement (PCD) qui détermine et hiérarchise les priorités locales. Les PCD constituent, par la suite, un pilier essentiel des Plans Régionaux de Développement. D’autre part, les communes et les régions ont, désormais, un champ d’action d’importance. C’est à leur niveau que sont coordonnés les projets de

techniques de traitement des données. C’est pourquoi, et bien que ce champ de recherche soit d’un vif intérêt, tant intellectuel qu’opérationnel, cette modalité de combinaison entre étude qualitative et étude quantitative n’a pas été retenue dans le cadre de ce travail. Un argument supplémentaire, d’ordre technique, lié à l’étroitesse de l’échantillon à la base des enquêtes qualitatives, a conforté ce choix. Cet aspect sera mis en exergue lors de la présentation de l’étude qualitative, dans la deuxième partie de ce chapitre. Soulignons toutefois que le nombre restreint de cas et l’étroitesse de l’aire géographique couverte par les enquêtes ne fournissent pas les bases nécessaires à la création d’un indicateur de pauvreté pertinent. En vertu de quoi, il apparaît peu raisonnable de baser la création d’un indicateur contextuel sur ces seuls résultats. Ce programme de recherche nécessiterait des travaux de plus grande ampleur, menés en interdisciplinarité avec d’autres spécialistes, pour acquérir une assise supplémentaire.

Par ailleurs, il apparaît qu’un indicateur monétaire est mieux adapté à l’analyse des dynamiques de pauvreté. La comparaison des mouvements globaux de pauvreté et le repérage des formes dynamiques découlent des variations temporelles de l’indice de pauvreté retenu. A l’heure actuelle, la mesure monétaire de la pauvreté offre la précision technique la plus fine dans l’analyse des évolutions temporelles du phénomène et dans l’explication des mouvements d’une période à l’autre. En outre, les mesures alternatives, que ce soit celle proposée par l’approche en termes de besoins essentiels ou celles reposant sur la théorie des capacités, s’appuient, en grande partie, sur des indicateurs multidimensionnels en termes d’actifs.

En revanche, la deuxième voie de complémentarité entre analyse qualitative et quantitative, la combinaison analytique renforce considérablement l’analyse des dynamiques de pauvreté. La notion de dynamique fait référence à deux aspects complémentaires : d’une part la prise en compte d’évolutions temporelles, et d’autre part, l’étude du processus de pauvreté. Ce dernier renvoie à l’étude des mécanismes qui expliquent les aspects durables ou structurels de la pauvreté. Il est un élément central de la compréhension du phénomène de trappe à pauvreté. Parmi les mécanismes sous-jacents, on retrouve, entre autres, les phénomènes de discrimination, les notions de barrières à l’entrée sur certaines activités rémunératrices, des phénomènes d’externalités négatives77, les problèmes d’accessibilité aux biens publics, l’exclusion sociale et les rapports de domination. Ces différents éléments, en

77 Cet aspect est développé dans le chapitre trois, à travers la notion de trappe spatiale à pauvreté (Jalan et Ravallion [1997]).

général traités de façon éparse, peuvent être synthétisés par le concept de processus de conversion proposée par Sen. L’analyse des représentations sociales de la pauvreté et ce qu’elles traduisent des rapports sociaux peut considérablement enrichir la compréhension des éléments constitutifs du processus de conversion au niveau local. La combinaison analytique est donc la modalité privilégiée pour intégrer l’analyse qualitative des représentations sociales de la pauvreté à l’étude des dynamiques de la pauvreté en zone rurale malgache.

A la renonciation de la mise en œuvre d’une séquence qualitatif-quantitatif pour la construction d’un indicateur de pauvreté répond la volonté de construire une complémentarité analytique entre les deux méthodes d’analyse pour étudier le processus de pauvreté. Comprendre les représentations sociales de la pauvreté en relation avec le contexte des Hautes Terres malgaches permettra de conceptualiser l’analyse des mécanismes de la pauvreté et de prendre en compte le processus de conversion des ressources en libertés réelles. Le cadre de recherche est complété par le recours à un indicateur de pauvreté monétaire, mobilisé comme indicateur de résultat.

2. Une mesure monétaire