• Aucun résultat trouvé

dichotomie ou continuum ?

2.2. Caractérisation des approches qualitative et quantitative

La démarche qualitative et la démarche quantitative répondent à deux façons d’appréhender le réel, deux modes d’intelligibilité, deux ensembles de méthodes. Les recherches qualitatives et quantitatives sont des ensembles cohérents de méthodes orientées pour la première sur la mise en évidence des aspects singuliers du phénomène et pour la seconde sur les aspects réguliers. Chacune de ces alternatives induit une méthodologie de recherche adaptée, caractérisée par un système d’information, des méthodes de validation des données et des résultats ainsi que des principes de généralisation garantissant la scientificité de l’analyse.

a- Singulier, régulier

Chacune des approches renvoie à un domaine d’intelligibilité (Couty [1984]). La scission se fait lorsque le chercheur prend la décision de ce qu’il veut appréhender du

phénomène : ses régularités de manifestation dans le temps et dans l’espace comme moyen de le connaître ou bien ce qu’il révèle de singulier, comme moyen de le comprendre dans ses manifestations contingentes.

Dans le premier cas, le concept est verrouillé pour le temps de la recherche, tandis que dans le deuxième cas, le concept, construit au sein du pôle théorique, reste non totalement circonscrit. Il y a un intérêt central pour les représentations sociales du phénomène et un refus de définition a priori. Cependant, rappelle Mucchielli [1996 et 2005], le refus de tout cadre théorique préalable à l’observation, caractéristique de l’empirisme idéaliste (Ecole de Chicago dans les années 1920), n’est plus de mise dans la plupart des études en recherche qualitative. Il n’en reste pas moins que le cadre référentiel du chercheur qualitativiste reste ouvert. Le concept est affiné au cours même de la recherche : une partie de son sens peut lui être donnée par l’analyse elle-même. Pour Mucchielli [2005 : 23 et 28] c’est une caractéristique fondamentale de la recherche qualitative.

Les analyses qualitatives ont en commun une démarche illustrative et contextuelle. Leur objet est de décoder, à partir du spécifique, les représentations et les comportements économiques en ce qu’ils sont enchâssés dans l’environnement culturel, politique, historique. Une recherche qualitative est un ensemble de méthodes dont l’objet est d’étudier le singulier, le contingent. Elle constitue une démarche illustrative dans le sens où elle raisonne sur l’exemplaire. Cette caractérisation des approches qualitative renvoie pourtant à une construction théorique. Dans les faits, la plupart des études s’inscrivent dans une voie intermédiaire. Ainsi, à part l’empirisme idéaliste de l’école de Chicago (années 1920), les approches qualitatives ont également pour objectif de mettre en exergue des tendances, et d’une façon générale, rares sont celles qui s’en tiennent à un catalogue de cas singuliers.

« Le quantitatif relève de la prise en considération de relations stables entre entités

opaques et closes » (Couty [1984 : 11]). Il a pour objet le repérage et la mesure de ces

relations. Dans le champ de l’analyse de la pauvreté, cela recouvre la mesure de l’influence de différentes variables sur le niveau de pauvreté. Le recours à l’analyse économétrique et statistique comme outil d’investigation est alors nécessaire, de façon à identifier les mécanismes censés régir les manifestations d’un phénomène.

Ces deux directions prises par l’effort d’appréhension du réel renvoient, selon Couty [1984 : 13], à deux modes d’induction, grâce auxquels les faits sont rendus intelligibles :

- « l’induction immédiate qui permet de construire à partir de cas singuliers des

types idéaux résumant et ordonnant des perceptions séparées, voire contradictoires » ; il s’agit d’une « vision synthétique par laquelle on relie les faits, attitudes pour les installer dans un enchaînement créateur de sens » ;

- « l’induction amplifiante née de l’observation du nombreux, et dont

l’extrapolation scientifique fondée sur le sondage aléatoire constitue une modalité particulièrement sûre ».

Pour Winter [1984 : 18], « l’une recherche le spécifique, le divers, l’original comme

signe de complexité et source de cohérence, l’autre recherche l’homogène comme signe d’identité et source d’extrapolation. » Au-delà de la conception de l’objet, c’est bien

l’ensemble du processus de recherche qui s’organise de façon cohérente pour proposer des solutions opératoires à ces programmes d’investigation.

b- Des méthodes et des données conditionnées par l’orientation de la recherche

Les approches qualitatives et quantitatives constituent deux méthodologies de recherche ; chacune recouvre un ensemble de méthodes organisé de façon cohérente selon la façon dont l’objet de recherche est appréhendé.

Les approches quantitatives

Les approches quantitatives, pour analyser les régularités, ont développé un système d’investigation caractérisé avant tout par la recherche de la représentativité. La technique de production des données repose essentiellement sur des questionnaires, à la base d’entretiens fermés. En effet, pour analyser les régularités dans les manifestations d’un phénomène, il est nécessaire de le circonscrire dès le pôle théorique, le questionnaire ayant alors pour but de produire les données nécessaires pour le capter empiriquement. Les procédures de production des données sont alors (et doivent être) parfaitement reproductibles d’une observation à l’autre, d’un espace à l’autre, d’un chercheur à l’autre. Ceci assure la comparabilité statistique des résultats et fonde les possibilités d’agrégation et de généralisation. C’est pourquoi, dans la démarche quantitative, on recherche l’autonomisation de l’objet, de l’instrument étudié et des pratiques utilisées. En outre, cela autorise le recours à l’analyse statistique et économétrique, outil privilégié des méthodes quantitatives.

qu’il y ait un seuil absolu, un nombre d’observations définitivement fixé, il est préférable que les observations soient suffisamment nombreuses pour garantir certaines propriétés statistiques. La loi des grands nombres indique en effet que, lorsque l’on fait un tirage aléatoire dans une série de grande taille, plus on augmente l’échantillon, plus les caractéristiques statistiques du tirage se rapprochent des caractéristiques statistiques de la population. La représentativité statistique d’études s’appuyant sur des échantillons larges permet de déterminer des mesures globales, grâce à un processus d’agrégation. En outre, elle permet l’extrapolation statistique des résultats. En effet, ceux-ci étant obtenus sur la base d’échantillons représentatifs, il est possible d’en étendre la portée à l’ensemble de la population au sein de laquelle le tirage aléatoire a été effectué. Afin d’élargir la portée d’un résultat dans le temps et dans l’espace, il est possible d’opter pour une démarche comparative d’études ayant adopté le même protocole de recherche. En outre, la précision des résultats est mesurable à travers la prise en compte de l’erreur d’échantillonnage. Ici se dessine une force des approches quantitatives : sans être plus précises que les approches qualitatives, elles permettent de mesurer leur degré de précision.

Les approches qualitatives

Partant d’un cadre conceptuel large, les approches qualitatives se basent sur un travail d’observation qui permet le développement de concepts synthétisants. Ces concepts sont à la base des représentations théoriques du phénomène qui constituent, en partie, le résultat de l’analyse qualitative. Cette dernière consiste alors à mettre en cohérence des concepts-clé, ce en quoi elle offre un cadre privilégié pour la compréhension du processus de la pauvreté. Au cours du travail d’analyse qualitative des données, la logique à l’œuvre participe de la découverte, de la construction de sens (Paillé [1996a]).

Les outils de production des données privilégiés sont ceux qui sont aptes à considérer le singulier et à enrichir le concept en prenant en compte les significations sociales qui lui sont attachées. Il s’agit des études de cas, de l’observation directe, des entretiens ouverts ou semi-dirigés, autant d’outils répondant à un principe incontournable : « leur non directivité sur le

fond » (Mucchielli [1996 : 183]). Dans les entretiens ouverts ou semi-dirigés, la grille

d’entretien initiale, reprenant les thèmes d’importance tels qu’ils ont été identifiés dans la construction théorique de l’objet de recherche, est dotée de ce que l’on appelle une marge. La grille est révisée, ajustée, au cours du travail de production des entretiens : certains des thèmes initiaux pourront être supprimés, d’autres ajoutés ou réorientés en fonction de ce que les personnes enquêtées donnent à entendre. En cela, la technique de production des données

est un prolongement du chercheur lui-même. L’implication du chercheur est d’ailleurs la caractéristique du recueil technique des données dans l’analyse qualitative (Mucchielli [2005 : 23]). Il est donc particulièrement crucial d’avoir recours à des techniques de validation des résultats.

Le passage d’un énoncé de communication à une donnée scientifique, implique de se poser la question de la validité (Pourtois et Desmet [1996b]). Habermas [1987] présente trois prétentions à la validité : la prétention à la vérité (l’énoncé est-il validé par des observations directes complémentaires ?), à la justesse par rapport à la norme (l’énoncé traduit-il une acception sociale ?), à la sincérité des personnes (à quel registre l’énoncé renvoie-t-il – premier degré, deuxième degré, cynique, humoristique, etc. –?). D’autre part, la validité d’une donnée dépend intimement de son processus de production, il est donc indispensable de présenter les choix méthodologiques qui ont guidé ce processus (méthodes utilisées pour produire et interpréter les données). Ceci constitue une étape indispensable pour utiliser les méthodes de triangulation : pour valider les données et les résultats obtenus, il faut effectuer des recoupements logiques. Plusieurs techniques de triangulation existent, nous en présenterons trois :

- recouper les résultats obtenus avec des informations et observations complémentaires ;

- faire analyser les mêmes données par deux chercheurs (cas d’école) ;

- comparer les données et résultats à ceux produits par d’autres études sur le même thème mais menées dans un contexte différent (à une autre période du temps ou sur une autre aire géographique).

Ainsi, tout en se référant à la signification subjective de la pauvreté, la démarche qualitative est objective49 : les données, les conclusions et les interprétations sont soumises à des vérifications contrôlées. De plus, ce système de validation de la recherche (et notamment la méthode de triangulation) joue un rôle actif dans les procédures de généralisation des résultats d’une étude qualitative.

Une des sources majeures d’incompréhension entre les tenants de l’analyse qualitative et ceux de l’analyse quantitative repose sur les modes de généralisation des résultats. Les

analyses qualitatives s’intéressent au spécifique, comment peuvent-elles alors étendre leurs résultats dans le temps et dans l’espace ? S’il est vrai que ces approches ne sont en aucune manière fondées sur la représentativité au sens statistique du terme et qu’elles ne peuvent donc prétendre à l’extrapolation de leurs résultats, elles répondent pourtant à un procédé de généralisation spécifique. Le pouvoir de généralisation est induit par « l’emboîtement et le

recoupement d’observations scrupuleuses qui valident à la fois ces observations et le cadre théorique de leur interprétation » (Winter [1984 : 21]). Par ailleurs, le passage du particulier

au général peut également être pensé, dans le cadre d’une logique illustrative, par la technique de l’échantillonnage raisonné. Par exemple, il s’agit de constituer des groupes d’observation qui soient illustratifs ou caractéristiques des multiples situations de vie. Les cas singuliers analysés au cours d’une démarche qualitative ne sont pas seulement des expériences de vie irréductibles les unes aux autres ; ils sont révélateurs, exemplaires d’une démarche générale qui organise, par exemple sous forme d’une typologie, ces multiples situations de vie (Grenier-Torres [2003]).

Combiner quantitatif et qualitatif est donc particulièrement pertinent si on respecte non seulement la représentativité des approches quantitatives mais aussi le pouvoir de compréhension des approches qualitatives. Non seulement la combinaison des approches est possible mais elle semble nécessaire : le quantitatif permet de cerner les évolutions relatives, d’identifier les relations stables entre la pauvreté ou les formes de pauvreté et un certain

nombre de variables (capital et accès aux infrastructures) mais la connaissance des

mécanismes de la pauvreté ne peut se départir de la compréhension des logiques qui sous-tendent l’action (analyse qualitative).

II. L

A COMBINAISON DES DEMARCHES QUALITATIVE ET QUANTITATIVE

Loin de rendre les deux approches imperméables l’une à l’autre, le fait qu’elles renvoient à deux domaines d’intelligibilité fonde leur complémentarité (Couty [1984]). Winter [1984 : 1] partage ce point de vue lorsqu’il signale que l’une et l’autre constituent des « méthodes d’investigation irréductibles mais complémentaires ». On note d’ailleurs, au sein de la communauté scientifique, la volonté d’opérer une synthèse entre analyses qualitative et quantitative.

Toutefois, pour mettre en œuvre des systèmes d’investigation prenant en compte simultanément des méthodes qualitative et quantitative, il est nécessaire, au préalable,

d’identifier les enjeux méthodologiques sous-jacents, afin de penser un appariement qui conserve à chacune son identité propre. C’est à cette condition que la combinaison entre approches qualitatives et approches quantitatives permettra d’enrichir et d’affiner notre compréhension et ainsi d’informer, de façon plus pertinente, les politiques de lutte contre la pauvreté.

Par ailleurs, les modalités de la combinaison entre les deux types d’analyses dépendent de l’objet de recherche, et donc de l’information nécessaire. La dernière partie présentera donc la méthodologie de recherche retenue, et notamment les modalités de combinaison entre approche qualitative et approche quantitative, dans le cadre de l’étude de la pauvreté et de ses dynamiques en milieu rural malgache.

1. Complémentarité opérationnelle, enjeux méthodologiques

Alors que les récents débats sur la combinaison des approches, menés essentiellement par les chercheurs anglo-saxons des deux traditions, recherchent des modalités de combinaison favorisant l’efficacité de la recherche, la tradition de recherche française, s’appuyant sur les notions de système d’investigation et de système d’information, pense l’articulation des approches par la prise en compte d’échelles d’observation et de l’interdisciplinarité. A l’origine de cette réflexion, on trouve le groupe d’Amélioration des Méthodes d’Investigation et de Recherche Appliquée au développement (AMIRA50). Il a été créé en 1975, pour dépasser, entre autres, l’opposition entre les démarches qualitative et quantitative et en penser la complémentarité. Lors de la rédaction d’une des notes de synthèse, Winter [1984 : 19] précise l’enjeu essentiel de la combinaison des approches : « Au-delà de

l’opposition factice entre qualitatif et quantitatif, ayant écarté l’illusion d’un "compromis hybride" entre deux modes d’enquête hétérogènes, il s’agit de promouvoir des systèmes

d’investigation dans lesquels chaque mode d’approche, chaque type d’investigation, garde sa

spécificité mais valide l’autre51 ».

50 Le groupe AMIRA se définit comme un réseau informel dont l’objectif est « promouvoir recherches et débats

scientifiques interdisciplinaires et inter fonctionnels (praticiens, chercheurs, enseignants) pour améliorer les méthodes d’investigation en référence aux politiques de développement. Y participent des personnes de tous pays ayant des expériences personnelles de ces problèmes » (extrait de la présentation du groupe AMIRA,