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dichotomie ou continuum ?

2.2. Une analyse contextuelle et comparative

La structure de l’enquête dont sont issues les données implique une analyse contextuelle au niveau local ; l’évolution de la pauvreté dans le temps et le processus de pauvreté sont en effet tributaires, du moins en partie, des spécificités locales. Par ailleurs, les organisations productives des deux zones, dont l’analyse permet de mieux comprendre le processus de pauvreté, sont la résultante d’adaptations au territoire, de ses caractéristiques topographiques, socio-économiques et de son histoire. Il est donc crucial d’enraciner l’analyse des dynamiques et processus de pauvreté dans le contexte des Hautes Terres malgaches (observatoire d’Antsirabe) d’une part, et du périmètre rizicole de la Basse Betsiboka (observatoire de Marovoay) d’autre part. Ce détour indispensable est fondateur d’une analyse comparée.

a- Les contextes de l’étude

Les deux zones rurales étudiées (figure I.5) sont relativement prospères mais compte tenu de dissemblances notables entre les territoires du Vakinankaratra et des grands périmètres rizicoles de Marovoay, il n’est pas étonnant que les organisations productives soient différenciées d’un observatoire à l’autre. La petite exploitation familiale des Hautes Terres, largement tournée vers l’agriculture de subsistance, s’oppose à la petite agriculture commerciale développée dans la plaine de la basse Betsiboka.

La topographie des Hautes Terres, au relief accidenté, et la densité de sa population impliquent une superficie moyenne des parcelles relativement réduite (tableau I.1). Les superficies exploitables disponibles par ménage sont donc non seulement plus étroites mais leur mise en valeur est également plus ardue que dans les plaines de la basse Betsiboka. Par ailleurs, l’organisation des cultures est plus faiblement créatrice de revenus : l’exploitation du riz est moins rentable en raison de conditions climatiques peu propices et la riziculture intensive pratiquées sur des terrasses irriguées laisse peu de temps pour pratiquer d’autres cultures. La culture du riz reste pourtant nécessaire : pour faire face à la volatilité importante du prix du riz, les ménages recherchent l’autosuffisance rizicole.

La donne est différente sur la zone de Marovoay. Les caractéristiques climatiques et topographiques propices (vastes plaines inondées et donc fertilisées annuellement par les crues de la Betsiboka, peu d’accidents climatiques) expliquent que la spécialisation rizicole y soit fortement marquée depuis la colonisation ; elle a été renforcée par la politique Étatique de développement des greniers à riz (Alaotra et Marovoay) et perdure aujourd’hui malgré la transformation profonde dans la gestion des périmètres.

Cependant, les espaces ruraux considérés ici sont loin d’être figés et repliés sur eux-mêmes. S’il est vrai que certains lieux d’enquête sont très enclavés, on n’observe pas de situation d’autarcie et l’apparition de débouchés pour de nouveaux produits a des répercussions marquées sur l’organisation du temps de travail et sur la gestion des parcelles. Le choix des spécialisations, influencées par l’histoire et le terroir, dépend également des débouchés possibles. Au cours des années 1980, le développement du maraîchage et de la production de produits laitiers dans la zone du Vakinankaratra (Ramamonjisoa [1994]) ou de la pêche dans le Boina (Rabearimanama [1994]) répond à une demande urbaine croissante pour ce type de produits. Comme le soulignent Pelissier et Sautter dans la préface des

Tableau I.1: Caractéristiques productives des observatoires de Marovoay et d’Antsirabe

1998 1999 2000 2001 2002

Superficie moyenne des rizières (ares)

Antsirabe 51,7 49,9 53,4 45,3 54,7

Marovoay 194,1 201,3 210,7 215,4 199,1

Classes superficie rizicole(%)

Antsirabe

Moins de 25 ares 34,1 33,5 34,5 41,0 30,0 Entre 25 et50 ares 29,0 33,7 32,9 31,7 35,0 Entre 50 et 100 ares 25,1 21,7 20,3 18,4 22,2 Entre 100 et 200 ares 9,8 9,6 9,0 7,1 9,5 Plus de 200 ares 1,9 1,5 3,2 1,7 3,2 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Marovoay Moins de 50 ares 8,4 7,1 7,7 8,0 11,2 Entre 50 et 100 ares 21,3 19,4 19,4 21,1 21,7 Entre 100 et 200 ares 33,1 36,5 38,1 37,8 39,0 Entre 200 et 350 ares 18,5 17,5 16,8 16,9 15,9 Plus de 350 ares 18,5 19,4 18,0 16,2 12,1 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Part moyenne dans la production agricole totale1

Antsirabe Riz 0,3 0,4 0,3 0,3 0,3 Autre cultures 0,5 0,5 0,5 0,5 0,5 Élevage et sous-produits de l'élevage 0,2 0,2 0,2 0,2 0,2 Total 1,0 1,0 1,0 1,0 1,0 Marovoay Riz 0,8 0,7 0,7 0,7 0,6 Autre cultures 0,1 0,2 0,1 0,2 0,2 Élevage et sous-produits de l'élevage 0,1 0,1 0,2 0,2 0,2 Total 1,0 1,0 1,0 1,0 1,0

Part du revenu de l'exploitation dans le revenu disponible2

Antsirabe 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7

Marovoay 0,7 0,6 0,5 0,5 0,5

Notes: (1) Données en valeur; (2) Le revenu d’exploitation correspond à la valeur monétaire de la production déduction faite des consommations intermédiaires et du coût salarial (voir, dans le chapitre 2, le tableau de méthodologie de calcul des indicateurs de revenu et de dépense).

Paysanneries malgaches dans la crise (Pélissier et Sautter [1994]), les pyasans font preuve

d’un grand dynamisme et recherchent de solutions innovantes pour faire face aux difficultés. Les individus multiplient les activités tant dans le secteur agricole que dans le secteur non agricole.

La place des revenus complémentaires provenant d’activités pratiquées à l’extérieur de l’exploitation a une importance majeure dans le revenu des ménages60. A Antsirabe, les revenus hors exploitation représentent entre le tiers et le quart du revenu de ménage. A Marovoay, contrairement à ce que l’on attendait étant donnée la spécialisation rizicole massive de cette zone, ils représentent jusqu’à la moitié du revenu et cette proportion augmente tout au long de la période d’observation. Comme cela a déjà été souligné précédemment, le temps nécessaire à l’exploitation des rizières sur les Hautes Terres réduit le temps disponible pour des activités complémentaires61. Par ailleurs, les opportunités d’emplois y sont plus réduites et les salaires moins élevés. L’écart entre le revenu disponible brut moyen sur les observatoires d’Antsirabe et de Marovoay s’explique d’ailleurs principalement par le revenu hors exploitation agricole.

Chacun des deux observatoires retenus pour l’analyse est caractérisé par des spécificités en termes de structure d’exploitation (taille, spécialisation agricole) et, plus largement, en termes d’organisation économique. On s’attend ainsi à des différences notables dans l’évolution temporelle de la pauvreté sur les observatoires d’Antsirabe et de Marovoay. Les aspects structurels diffèrent largement et offrent des prises différenciées aux chocs conjoncturels.

b- La démarche comparative

Comme nous l’avons souligné précédemment, la construction méthodologique des observatoires ruraux s’est nourrie de l’interdisciplinarité, en combinant les compétences de géographes et d’économistes et en s’appuyant sur l’important corpus des travaux de différentes disciplines (économie, sociologie, anthropologie, géographie) menés à Madagascar, en partie par les chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement

60 La méthodologie de calcul du revenu est présentée en détail dans le chapitre 2. Le revenu est, en effet, un des indicateurs de bien-être économique potentiellement retenu pour mesurer la pauvreté monétaire objective. La présentation de cet indicateur sera effectuée en même temps que la discussion sur les mesures de la pauvreté.

61 Cependant, la contrainte de temps amène les exploitants à faire des arbitrages entre l’activité rizicole et les autres activités. Lorsque la rémunération attendue de la riziculture est faible relativement à celle d’autres activités, les exploitants ne donnent pas systématiquement la priorité à l’exploitation rizicole.

(IRD, ex-ORSTOM), depuis la fin des années soixante. La logique raisonnée de sélection des sites d’observation s’appuie, en effet, sur une analyse géographique visant à formuler des questionnements de recherche en lien avec un espace d’observation. L’économiste qui mobilise les données produites par ce système d’information ne peut pourtant pas négliger ces aspects de méthode qui sont essentiels pour comprendre la portée des résultats et pour conduire une analyse cohérente et scientifiquement valide. On pourrait, par exemple, être tenté d’utiliser les observatoires comme une enquête nationale, en agrégeant les données. Cependant, le choix des observatoires en lui-même reposant sur une logique illustrative, on en arriverait ainsi à noyer dans les résultats globaux des tendances fortes localement.

La connaissance des caractéristiques des sites et des problématiques illustrées par chacun de ceux-ci aide à trancher et à faire des choix cohérents quant au niveau d’agrégation des données qui doit être privilégié. Certains aspects particuliers de la recherche peuvent en effet être traités de façon pertinente en agrégeant les données de tous les observatoires ; il en va ainsi de la création de typologies. Par exemple, lorsque Louis Bockel [2003] crée une typologie des exploitations rizicoles à l’échelle nationale, il semble pertinent de joindre les données de tous les observatoires. Il est possible par la suite, qu’au sein de la typologie, on retrouve une correspondance entre un type d’exploitation et une zone d’observation s’il s’avère qu’un type d’exploitation est tout à fait spécifique à une région. En ce qui concerne l’analyse de la pauvreté, il est difficile de présupposer d’un niveau d’agrégation a priori pertinent. Compte tenu de la structure des données, il semble tout de même préférable de les traiter au niveau de l’observatoire62.

Au-delà de ces aspects techniques, l’analyse comparée des dynamiques et processus de pauvreté mis en évidence sur les deux zones, en identifiant les tendances spécifiques d’une part et les points de ressemblance d’autre part, est à la base d’une recherche de généralisation de certains résultats. Si l’analyse amène à repérer des tendances similaires dans des contextes pourtant divergents, on peut penser que ces tendances dépassent l’aire géographique couverte par chaque observatoire.

62 Par la suite, des tests économétriques seront mobilisés pour guider les choix relatifs au niveau d’agrégation. Les tests de stabilité structurelle comparent les résultats d’une modélisation contrainte (les coefficients sont identiques quelle que soit la zone d’analyse) à une modélisation non contrainte (on autorise la variation des coefficients selon les zones). Ils fournissent une mesure de la ressemblance ou de la dissemblance structurelle de modélisations produites sur des aires géographiques (ou des périodes temporelles, ou des groupes sociaux)

Par ailleurs, l’analyse est caractérisée par l’approfondissement de la démarche illustrative. Cela se traduit par le recours à des techniques qualitatives, adaptées à la prise en compte des représentations locales de la pauvreté, puis ciblées sur quelques ménages illustratifs des formes de pauvreté identifiées (chronique, transitoire).