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dichotomie ou continuum ?

1.2. Un système d’investigation cohérent

La notion de système d’investigation autorise à construire une combinaison des démarches qualitative et quantitative de telle façon que « chaque type d’approche garde sa

spécificité mais valide l’autre » (Winter [1984 : 19]). Étroitement lié au système d’investigation, le système d’information est à la fois produit de la recherche et base de l’analyse. Nous présenterons ensuite un système d’information particulier, l’observatoire des sciences sociales puisqu’il sera par la suite mobilisé pour réaliser la présente étude.

a- La notion de système d’investigation

Un système d’investigation retrace le processus de recherche d’une étude particulière. Autrement dit, et pour reprendre la terminologie mobilisée dans la partie précédente, il reflète la façon dont une démarche de recherche répond de façon cohérente aux questions soulevées dans les quatre pôles du processus de recherche (pôle épistémologique, pôle théorique, pôle morphologique, pôle technique). Au sein d’un même système d’investigation, il n’est pas inhabituel de retrouver des disciplines de recherche différentes, œuvrant sur un même thème. Par ailleurs, le système d’investigation construit son propre système d’information, en combinant les échelles et les unités d’observation.

Les analyses régionales telles qu’elles ont été menées au Sénégal et en Côte d’Ivoire dans les années 1960 à 1980 par les chercheurs de l’ORSTOM (actuellement IRD) en sont un bon exemple. Elles « font de l’analyse régionale beaucoup plus qu’une collection de

recherches descriptives portant sur un même espace. Nous verrons que dans le cas sénégalais, cela a conduit à faire entrer les recherches des économistes dans un dispositif pluridisciplinaire fonctionnant à plusieurs échelles. » (Couty et Lericollais [1982 : 11]).

L’interdisciplinarité se caractérise par le fait que, sur un thème de recherche déterminé, chaque discipline formule ses propres questions de recherche et choisit son échelle pertinente d’observation. La recherche interdisciplinaire est cependant plus que la juxtaposition des questions de recherche : des questions spécifiques, des objets de recherche supplémentaires

entend par les jeux d’échelle : « C’est à la fois la transcription d’un espace sur une carte mais

c’est aussi un niveau de prise en compte d’un phénomène ». Cette question, à l’origine propre

à la géographie, se pose lorsque l’on construit son information : à quelle échelle doit-on observer le phénomène? La réponse de Blanc-Pamard [2005 : 2] à cette question renvoie explicitement à la notion de système d’information : un seul niveau d’observation est insuffisant, il faut construire l’information et l’analyse en jouant sur le zoom. « Je joue sur la

mise en jeu d’échelles emboîtées que l’on resserre ou que l’on déploie selon les nécessités de l’explication pour restituer le tout à un niveau plus général ».

Un système d’investigation est inévitablement amené à développer son propre système d’information, qu’il utilise des données et des informations déjà disponibles ou qu’il en produise lui-même certaines lorsque les données préexistantes sont fragmentaires, insuffisantes pour alimenter la recherche. « Un système d’information résulte de la

combinaison de différentes méthodes d’investigation, chacune cherchant à satisfaire un objectif particulier, appartenant à un domaine d’analyse précis, articulées dans le temps par la durée et dans l’espace par la représentativité » (Dubois [1992 : 24]). En introduction du

Cahier des Sciences Humaines consacré aux systèmes d’information, Minvielle [1996 : 735] précise la notion de système : elle « se révèle sur différents plans : au plan interne par la

combinaison d’approches multiples, au plan externe par l’intégration de plus en plus poussée entre offre et demande d’information, facilitée par la prise en considération de la durée, elle-même permise par la permanence de l’observation. »

Dans le cadre du système d’investigation, l’interface entre approche qualitative et approche quantitative peut être pensée de façon souple, complémentaire et sans opposition factice, dans des voies similaires à la façon dont l’interdisciplinarité et les jeux d’échelles d’observation sont pris en compte.

b- Les Observatoires Ruraux de Madagascar : un système d’information

Le Réseau des Observatoires Ruraux (ROR) s’est mis en place en 1999 pour pallier le manque d’informations statistiques sur les campagnes malgaches. Il est une extension du projet pilote mené entre 1995 et 1999 sur 4 zones rurales (observatoires de Marovoay, d’Antsirabe, de Tuléar et d’Antalaha – figure I.5) dans le cadre du projet MADIO (Madagascar DIAL INSTAT ORSTOM). A l’heure actuelle, le Réseau des Observatoires Ruraux, géré par l’Unité de Politique de Développement Rural malgache (UPDR), a un

maillage territorial d’envergure : il permet la collecte des données dans quinze zones rurales54. La carte des implantations pour l’année 2000 est présentée en figure I.4.

Les observatoires ruraux ont une problématique proprement économique, ciblée sur le monde rural ; cet outil est, en outre, essentiellement statistique. Il ne se substitue toutefois en aucune façon à une enquête agricole nationale mais lui est complémentaire, comme le met en évidence la présentation des méthodes retenues. Il se prête ainsi à l’analyse de thématiques de recherche qui échappent aux systèmes d’enquête plus conventionnels que sont les enquêtes agricoles mais aussi les enquêtes nationales sur la pauvreté (Enquêtes Prioritaires auprès des Ménages – EPM).

L’emboîtement des échelles d’observation

L’idée générale qui sous-tend le projet des observatoires ruraux est de proposer un système statistique apte à capter la diversité des problématiques de l’agriculture malgache (Droy et Dubois [2001]). En effet, « Madagascar, par la diversité de ses reliefs et de ses

climats, présente des situations agro-écologiques très variées. La répartition géographique de la population est aussi très inégale, ce qui conditionne des systèmes agricoles plus ou moins intensifs selon les régions. La prise en compte de cette diversité est indispensable pour la définition de politiques de développement rural adaptées » (Droy, Ratovoarinony et

Roubaud [2000 : 125-126]). Afin d’illustrer la variété des zones agro-climatiques malgaches et les conditions de vie contrastées des ménages ruraux, les enquêtes du ROR reposent sur un échantillonnage raisonné, étayé par une longue tradition de recherche.

Les lieux d’implantation des observatoires répondent à une problématique de recherche, qui fonde sa cohérence interne, mais que le découpage administratif du territoire55 ne permet pas forcément d’illustrer. Chaque observatoire correspond, en effet, à une zone agro-climatique relativement homogène et à une problématique ciblée de compréhension des dynamiques économiques et sociales. Le choix des observatoires s’est attaché, d’une part, à illustrer des problématiques agro-climatiques et, d’autre part, à guider les politiques publiques en faisant le lien entre des problématiques macro ou méso-économiques et leurs conséquences

54 Les implantations du réseau ont connu, depuis 1999, certaines variations. Après une phase d’extension jusqu’en 2000, année lors de laquelle le réseau comptait 20 observatoires, il s’est aujourd’hui stabilisé à 15 zones d’observation.

Figure I.4 Le Réseau des Observatoires Ruraux de Madagascar en 2000

sur les conditions de vie des ménages. L’observatoire de la vanille (observatoire d’Antalaha), par exemple, s’attache à analyser l’impact sur les producteurs de la libéralisation du commerce de la vanille.

Un observatoire est composé de quelques villages constituant les sites d’enquêtes. Le choix des sites a été fait de telle sorte qu’il soit possible d’agréger les données au niveau de l’observatoire, même si les sites d’enquête, au sein de chaque observatoire, ont des caractéristiques propres. Par exemple, l’observatoire d’Antalaha est composé de quatre sites, sélectionnés pour refléter différents degrés d’enclavement et différentes qualités de la production de vanille. La question centrale est de déterminer à quel niveau on va accepter de traiter ensemble des choses différentes. On parle d’écarts acceptables et c’est le géographe qui est le mieux à même de penser l’homogénéité d’un territoire. Enfin, le ROR retient le ménage comme unité statistique de base (plus ou moins 500 ménages par observatoire sont annuellement enquêtés)56.

Par ailleurs, une méthodologie commune fonde l’homogénéité de l’enquête : sur tous les observatoires, les questionnaires de l’enquête ménage sont identiques, le système d’information est en outre complété par une enquête communautaire pour chaque site (information au niveau méso-économique sur un certain nombre de structures telles que les écoles, les centres de santé, les marchés) et des relevés de prix mensuels pour suivre l’évolution des prix aux consommateurs (les prix aux producteurs pouvant être estimés directement à partir des enquêtes exploitation jointes aux enquêtes ménage).

Les caractéristiques de l’enquête du ROR que sont la production d’une information illustrative, une enquête à passages répétés, le ménage comme unité statistique de référence, en font une source d’information complémentaire à l’information produite par les enquêtes nationales.

Les voies de la complémentarité entre le ROR et les enquêtes menées à l’échelon national

L’information produite permet, contrairement aux enquêtes agricoles habituelles, d’analyser, notamment, les stratégies des ménages, les conditions de vie et la pauvreté, la pluriactivité rurale. En outre, à la différence d’enquêtes représentatives au niveau national (enquêtes agricoles et EPM), elle autorise l’analyse de problématiques, qui, si elles sont

essentielles au niveau de l’île, ne concernent qu’un nombre réduit de ménages producteurs. Enfin, la structure de panel de l’enquête, qui se traduit par une observation dans la durée (10 ans pour les observatoires « historiques »), est un atout majeur du ROR.

Le fait que le ménage plutôt que l’exploitation soit l’unité d’observation des enquêtes du ROR donne la possibilité de traiter des questions inaccessibles aux enquêtes agricoles classiques. Il en est ainsi de l’analyse de la pauvreté : la plupart des outils d’analyse de la pauvreté retiennent le ménage comme unité statistique. L’analyse de la pluriactivité rurale nécessite également que l’on puisse percevoir l’ensemble des activités du ménage et non pas seulement ses activités agricoles.

Par ailleurs, les enquêtes nationales sur la pauvreté (EPM) menées à Madagascar ne permettent pas de descendre en dessous de la région administrative ; elles ne permettent pas non plus d’aller plus loin que le clivage rural/urbain. La diversité des climats, des systèmes agraires et du peuplement des campagnes malgaches implique pourtant des questionnements socio-économiques spécifiques qui méritent un traitement propre, apte à comprendre les mécanismes de la pauvreté qui s’y nouent. Certaines de ces problématiques ne peuvent être traitées sur la base des informations produites par une enquête représentative au niveau national. Par exemple, la problématique de la vanille, essentielle dans le système productif et économique de la côte est, ne concerne finalement qu’un nombre relativement réduit d’exploitants57 qui sont donc « dilués » dans un échantillon représentatif au niveau national.

Comme le souligne Minvielle [1996], la durée est le critère premier des observatoires. Le principe d’enquêtes à passages répétés constitue un atout indéniable du Réseau des Observatoires Ruraux : la rareté de données de panel est suffisamment saillante dans les pays du Sud pour que cette richesse d’information soit soulignée. L’enquête du ROR est la seule enquête rurale de ce type disponible à Madagascar. La structure de panel des données procure la possibilité d’analyser les dynamiques de pauvreté non plus seulement sur la base de comparaisons intertemporelles de données transversales, mais en suivant le parcours des ménages tout au long de la période d’observation.

Les Observatoires Ruraux de Madagascar constituent l’outil central sur lequel s’appuie la présente recherche. En eux-mêmes, ils forment déjà un système d’information d’une grande richesse qui sera complété, pour les besoins de l’analyse et de la méthode retenue, par des enquêtes complémentaires ponctuelles de type qualitatif.

2. Les fondements d’une démarche illustrative et comparative :