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Une approche finaliste, voire téléologique, plus que juridique

Annexe 1 : Caractéristiques des 7 profils typologiques de stations dans le massif alpin

B. Une approche finaliste, voire téléologique, plus que juridique

Historiquement, la création de parcs nationaux dans le monde est le fait, des pays anglo-saxons, dans la seconde moitié du XIXe siècle : le parc du Yellowstone aux états-Unis en 1872, le Royal National Park près de Sydney en 1879… ont concerné, certes, des espaces de nature vierge – ou à peu près – de toute occupation. Mais leur objet principal était d’attirer les riches touristes en mal de dépaysement, contrairement à une idée assez généralement répandue selon laquelle ils auraient eu pour objectif la conservation de la nature.

La revue Terre sauvage rappelle qu’en Afrique du Sud11, pays qui possède plus de 150 parcs nationaux et réserves naturelles, marines, botaniques ou forestières, et où la faune et la flore sont d’une richesse et d’une très grande diversité, les populations animales ont été « protégées » au sein d’espaces clos permettant leur meilleure reproduction… pour servir de cible aux amateurs de grande chasse. Certaines populations d’espèces animales, décimées dans un premier temps par la traque anarchique des colonisateurs blancs, ont alors pu commencer à se reconstituer. Ces créations de parcs ne répondaient à l’origine à aucune logique de conservation.

9 Conservation : action de maintenir intact dans le même état : entretien, garde, maintien, préservation, protection, sauvegarde.

10 Autrefois, il existait au sein du ministère de l’environnement une Direction de la protection de la nature (on « dirigeait » la « protection »), devenue la Direction de la nature et des paysages (on « dirigeait » la « nature » elle-même) : aujourd’hui on trouve au sein d’une « direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature » (sic) une « direction de l’eau et de la biodiversité ». Même la prestigieuse UICN, Union Internationale pour la Conservation de la Nature, songerait à supprimer le terme de conservation de son appellation.

11 Terre sauvage, cahier nature, déc-janv.-févr. 2012 : les éléments qui suivent sont librement inspirés de cet article.

L’animal y était conçu comme objet de loisir, un trophée dont on expose la dépouille pour afficher son statut social. Tolérées dans un premier temps, les populations locales présentes dans les enceintes ainsi constituées en seront rapidement exclues. Des communautés entières ont été expulsées de force chaque fois qu’un nouveau parc a été créé. Privés de l’accès au gibier et aux terres agricoles, elles ont dû quitter les villages.

À partir de 1948, le régime d’apartheid a renforcé ce dispositif de fragmentation du territoire pour servir son projet de ségrégation systématique. Mais s’y est ajouté l’objectif militaire : les parcs frontaliers ont alors servi de « tampons » avec les pays voisins. Lors de la guerre civile mozambicaine (fin des années 1970), certaines parties du Park Kruger – pointe nord-est du pays, mitoyen du Mozambique – ont constitué des bases d’entraînement militaire et de soutien aux guérilleros de la Renamo (résistance nationale du Mozambique) luttant contre le pouvoir marxiste. Divers trafics se sont alors développés, notamment la contrebande de l’ivoire qui est venu enrichir les milices soutenues par le gouvernement de Pretoria.

Ces exemples montrent le lien fort qui unit nature et politique. Si l’approche de la conservation de la nature a évolué, et que l’enjeu environnemental occupe une place plus importante aujourd’hui, on souligne alors la part que l’environnement peut jouer dans la réduction des inégalités sociales. Les parcs nationaux africains, dont on change aussi le nom12 pour gommer l’image négative que les populations locales en avaient généralement, se sont transformés (avec les difficultés que l’on sait) : les politiques de préservation impliquent davantage les habitants, et les espaces naturels sont présentés comme des lieux de développement13. Ils doivent générer des revenus pour les communautés avoisinantes. L’objectif est aussi que les populations locales puissent s’approvisionner en plantes médicinales à l’intérieur des parcs et que l’activité touristique soit une source de revenus pour elles. Des portions de ces parcs leur sont restituées : on y a construit des lodges de luxe… mais ils restent en grande majorité la propriété des blancs. De sorte que le résultat est moins probant qu’il y paraît : une étude de la Banque mondiale évalue à 37% des dépenses touristiques la part qui revient aux populations locales. Cela étant, il semble qu’elles soient davantage incitées à la préservation de la faune, et à la lutte contre le braconnage, du fait des bénéfices qu’elles pensent en tirer.

La situation n’est guère différente en France : les premiers « espaces protégés » ont vu le jour chez nous à partir de 195714 avec les réserves naturelles, sorte d’ersatz des sites protégés à raison de la qualité des paysages mais incorporant alors une dimension d’intérêt « scientifique », puis la loi de 1960 sur les parcs nationaux. À peine plus d’un demi-siècle sépare donc la première conception de ces espaces de celle d’aujourd’hui : on n’a guère pris soin de les instituer là où la grande faune était encore présente. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que la détermination

12 Le parc du Drakensberg devient l’uKlhlamba Drakensberg Park.

13 La réserve de Hluhluwe-Umfolozi est désormais présentée comme un territoire qui s’étend sur les réserves de chasse du roi zoulou Shaka (1785-1828).

14 Si l’on excepte bien sûr les initiatives associatives antérieures, comme la réserve des Sept Iles (1912) ou la réserve de Camargue (1927).

du périmètre du parc National des Pyrénées a délibérément contourné les zones d’habitats de l’ours, à une époque où ses populations étaient encore viables.

Mais surtout, et à l’exception du parc des Cévennes, on a évité pendant cette première génération de parcs nationaux de classer des zones habitées. C’est probablement l’un des critères qui différencie le plus l’approche « espace protégé » d’hier de celle d’aujourd’hui : il s’agissait de protéger une nature sans hommes. Cela ne se conçoit plus désormais : le rapport Giran et la loi qui en a consacré les principales propositions, résolument ancrées dans le « développement durable », a permis de tourner résolument (définitivement ?) le dos à une conception conservatrice des espaces naturels.

Le paradoxe est plus apparent si l’on compare les systèmes de protection du patrimoine culturel bâti aux systèmes de protection du patrimoine naturel. Quel propriétaire n’a pas eu à « subir » la nécessité d’un avis conforme de l’ABF lors d’une banale demande de permis de construire, au motif qu’il avait prévu de teinter les murs de sa maison en bleu alors qu’elle se situait dans le prétendu périmètre de 500 m et en covisibilité d’un monument historique ? Et qui s’insurge contre la fermeture complète, pour des raisons de conservation, de la grotte de Lascaux ou de la grotte Chauvet ? De même, si la protection du patrimoine industriel pose parfois quelques difficultés, les politiques de l’état – ou désormais des régions – sont drastiques et ne souffrent que rarement des exceptions.

Il faut bien admettre que ce n’est pas le cas du patrimoine naturel, qu’il se situe ou non dans un espace « protégé ». Par exemple le contournement autoroutier de Lyon, qui met en péril une population du râle des genêts15, ou celui de Strasbourg, qui porte une atteinte grave à au grand hamster)16, et bien qu’il s’agisse d’habitats d’espèces prestigieuses, n’ont nullement fait obstacle aux autorisations administratives de destruction, avec la bénédiction du Conseil d’état. N’était l’Union européenne, la Baie de Seine ou l’estuaire de la Loire ressembleraient à l’étang de Berre/Fos sur Mer. On objectera que les espaces concernés n’étaient pas « protégés » au sens de la loi française : pas de parc national, pas de réserve naturelle…Erreur, puisque l’habitat d’une espèce protégé est lui-même protégé17, ce que ne manque pas de relever la CJUE, lorsqu’elle est saisie de tels manquements18.

Seules les réserves « intégrales », procédure particulière à la législation sur les parcs nationaux, interdit toute détérioration, sans possibilité de dérogation. Mais cette procédure n’a été mise en œuvre qu’en deux occasions en France, et pour deux espaces de dimensions fort modestes, entre 1960 et 201219

Il en résulte que malgré l’appellation consacrée, aucun espace n’a jamais été totalement protégé en France, qu’aucun régime juridique n’a visé à la conservation de leur intégrité, mais que ce qui a constitué longtemps une pratique plus ou moins

15 CE 10 oct. 2007, AOMSL, req. n°309286.

16 CJUE 9 juin 2011 Aff. C-383/09, Commission c. France.

17 C. Envir. art. L.411-1 s. 18 v. note 15 supra.

19 Décret no 95-705 du 9 mai 1995 portant création de la réserve intégrale de Lauvitel dans le Parc national des écrins (JO 11 mai) ; Décret no 2007-757 du 9 mai 2007 portant classement de la réserve intégrale des îlots de Port-Cros dans le cœur du Parc national de Port-Cros (JO 10 mai).

respectueuse des textes, l’aménagement, est devenu un objectif à part entière : il est au cœur des nouveaux régimes apparus récemment. Paradoxalement, c’est du côté des espaces obéissant à un régime qui ne s’affiche pas comme un régime de protection à part entière, parce qu’ils visent des obligations de résultats et non plus des obligations de moyens, qu’il faudra sans doute chercher une notion d’« espace naturel protégé », qui reste à inventer.

II. Un réel délitement de la notion d’espace « protégé »

On a pu penser, dans les années 70-80, avec l’apparition des « directives » Littoral et Montagne, qu’une approche révolutionnaire du traitement juridique de certains espaces naturels était en train de voir le jour. Mais transformés en lois, ces textes ont pris une orientation beaucoup plus proche des politiques d’aménagement du territoire. La directive approuvée par le décret n°79-716 du 25 août 1979 était relative « à la protection et à l’aménagement du littoral » ; la loi dite Littoral20 qui lui succède est intitulée « relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral » : l’inversion des priorités est patente et lourde de sens. Il en est de même de la loi Montagne21.

Comme le rappellent utilement Henri Jacquot et François Priet22, « ces directives avaient pour objet de permettre au gouvernement de faire respecter localement les impératifs de la politique nationale d’aménagement du territoire, à une époque où, pourtant, toutes les compétences en matière de planification urbaine et de délivrance des autorisations d’occupation des sols appartenaient à l’État ». Ne doit-on pas voir dans cette inversion des finalités la marque essentielle de la décentralisation ?

Ce changement majeur d’échelle est intervenu depuis. S’il était communément admis que, parmi les domaines qui y échappaient, figurait la protection de la nature, celle-ci est de plus en plus souvent revendiquée par les représentants locaux, ne serait-ce que pour en limiter les aspects contraignants.

Le traitement des espaces naturels s’entend ici à deux niveaux : leur conception diffère selon qu’il s’agit de prendre acte d’une volonté de développement (appelée « aménagement » et « mise en valeur ») : il s’agit alors d’organiser leur destruction, en y apportant des limites, mais en aucune manière de l’interdire (A), tandis que les procédures destinées à la protection des espaces naturels, qui ne leur sont nullement spécifiques mais, restant de la compétence de l’état pour la plupart, sont « imposées » aux collectivités territoriales, mettent en place de simples obligations de moyen. On ne saurait être excessivement optimiste quant à leur effectivité, compte tenu des récentes évolutions législatives (B).

20 Loi n°86-2 du 3 janvier 1986.

21 Directive relative à la protection et l’aménagement de la montagne, approuvée par décret n°77-1281 du 22 novembre 1977, devenue « Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement

et à la protection de la montagne ».

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