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L’érosion artificielle des principes généraux d’urbanisation

Annexe 1 : Caractéristiques des 7 profils typologiques de stations dans le massif alpin

A. L’érosion artificielle des principes généraux d’urbanisation

Le principe général de l’urbanisation en continuité de l’existant offre trois dimensions : d’abord les exceptions et dérogations à la règle ; ensuite l’ensemble à partir duquel la continuité doit être évaluée ; enfin les modalités de la détermination de la continuité. Si le dernier élément n’a jamais été organisé par les textes, laissant les autorités administratives et juridictionnelles débattre des questions de distance et de cohérence du bâti, les deux premiers points ont largement été abordés au fil des législations. Sur ces questions, les ajouts réguliers d’exceptions et de dérogations à l’article L.145-3 du code de l’urbanisme illustre parfaitement le processus d’érosion tel qu’on l’imagine, progressif, sournois, inexorable.

Concernant les exceptions, deux voies ont été explorées, l’une consistant à utiliser les constructions existantes, l’autre dérogeant directement à la continuité en autorisant des constructions nouvelles.

La première paraît être relativement légitime au regard d’un principe d’intangibilité des droits acquis bien ancré dans la tradition juridique française. C’est ainsi la loi Pasqua de 1995 qui introduit en premier à l’article L.143-3 la possibilité de « réfection » et « d’extension limitée » du bâti situé sur des espaces discontinus. À ces premières exceptions s’ajouteront « l’adaptation » des constructions existantes suite à la loi SRU de 2000, puis leur « changement de destination » par la loi UH de 2003. On voit que si la rénovation de l’existant peut assez facilement être admise au titre de la pré-occupation, principe employé classiquement en droit de l’environnement, les autres exceptions permettent un développement, même mesuré.

La seconde voie, pourtant plus traumatisante pour le principe de continuité, n’a pas été davantage négligée. La loi de 1995 envisage d’abord la possibilité de réaliser des installations ou équipements d’intérêt public incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Si cette dérogation bénéficie d’un a priori naturellement favorable, sous couvert d’intérêt général, il est tout de même remarquable qu’elle n’a jamais trouvé sa place dans le cadre de la loi Littoral, comme la jurisprudence

27 J.-P. Amoudry, L’avenir de la montagne : un développement équilibré dans un environnement préservé, Rapport fait au nom de la mission commune sur la politique de la montagne, Sénat, Session 2002-2003, n°15, 9 oct. 2002, p. 250.

concernant les éoliennes l’a récemment remis en évidence29. La loi SRU de 2000 donne ensuite la possibilité de rompre la continuité des bourgs, villages et hameaux existants pour délimiter, à titre exceptionnel des « zones d’urbanisation future de taille et de capacité d’accueil limitées ». La loi UH de 2003 va enfin accorder un pouvoir très important à l’autorité décentralisée pour échapper plus largement encore au principe de continuité avec l’existant puisque une simple étude spécifique présentée dans le cadre d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou d’un plan local d’urbanisme (PLU) permet purement et simplement d’écarter la règle. Certes, des garde-fous sont établis, tels que la justification par des « spécificités locales », le respect des objectifs de protection des terres agricoles, pastorales et forestières, la préservation des paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel, la protection contre les risques naturels, l’obligation de solliciter un avis de la part de la commission départementale des sites. Toutefois, des critères assez approximatifs (« spécificités locales » ?) et un avis non conforme semblent constituer une sécurité peu proportionnée dans le cas d’une procédure aboutissant à écarter totalement le principe de continuité. En outre, l’absence d’une telle étude n’est même pas rédhibitoire puisqu’à défaut, le PLU ou la carte communale pourra délimiter des hameaux et des groupes d’habitations nouveaux intégrés à l’environnement, en plus des zones d’urbanisation future de taille et de capacité d’accueil limitées déjà permises. De plus, et de façon assez peu cohérente, les conditions seront dans ce cas là moins importantes puisque disparaissent la référence aux « spécificités locales » et l’avis de la commission des sites. Enfin, même en l’absence de documents locaux d’urbanisme, l’autorité communale devient en mesure d’écarter la règle de continuité puisque la loi UH ajoute la possibilité de prévoir une urbanisation disjointe, sur délibération motivée du conseil municipal, si celui-ci considère que l’intérêt de la commune, en particulier pour éviter une diminution de la population communale, le justifie. On ne peut que souligner le pouvoir attribué ici aux élus locaux. D’une part, si la protection de l’environnement, les impératifs de sécurité et l’intérêt financier des communes doivent être pris en compte, les possibilités de dérogation dépassent clairement l’idée précédente de « hameaux et des groupes d’habitations nouveaux intégrés à l’environnement ». D’autre part, la notion « d’intérêt de la commune » peut être vue de manière particulièrement extensible, comme la jurisprudence traditionnelle relative à la notion de service public le démontre aisément.

Concernant les éléments bâtis à partir desquels la continuité doit être évaluée, l’évolution est très comparable, les textes ayant régulièrement ajouté des unités de références toujours plus réduites présentant le double intérêt d’atténuer la rigueur de la jurisprudence administrative et d’étendre les possibilités d’urbanisation de l’espace montagnard.

Aux bourgs et villages, références originelles, la loi Pasqua de 1995 a joint le hameau, limitant ainsi l’impact de décisions jurisprudentielles jusque-là peu favorables, fondées sur des critères traditionnels tels que l’éloignement ou la proximité de l’agglomération, le nombre des constructions existantes, la continuité

29 R. Bonnefont, E. Lacroix, éoliennes : la loi Littoral plus sévère que la loi Montagne : AJDA 2011, p. 977.

du construit30. La liste sera ensuite complétée par la loi UH de 2003 avec « les groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existantes », réforme bienvenue dès lors que le juge a rapidement dressé des contours assez stricts à la notion de hameaux31. On peut d’ailleurs observer un assouplissement de la jurisprudence suite à ces évolutions, dans des décisions plus récentes, où par exemple le développement de l’urbanisation est admis sur un espace situé à l’écart du bourg dès lors que « quelques bâtiments restent implantés sur le site après démolition d’anciennes installations d’une mine »32. En définitive, à force d’enrichir la liste des ensembles à partir desquels la continuité doit s’évaluer, l’urbanisation est donc en mesure de se développer sur des espaces situés à l’écart de l’urbanisation mais marqués par une occupation diffuse et légère.

Sur cette question également les réformes ont augmenté le pouvoir local puisque la loi UH de 2003 donne la possibilité aux PLU et aux cartes communales de délimiter les hameaux et groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants en continuité desquels ils prévoient une extension de l’urbanisation, en prenant en compte les caractéristiques traditionnelles de l’habitat, les constructions implantées et l’existence des voies et réseaux. Cela conduit incontestablement à une mise en œuvre plus souple de la notion de continuité. Sans revenir sur la moindre rigueur environnementale de certaines autorités décentralisées, de stricts éléments de droit le démontrent. D’une part, cette détermination n’est en rien exclusive et n’empêche pas que d’autres éléments bâtis, non délimités dans le document d’urbanisme, puissent servir de supports à une urbanisation. D’autre part, une rédaction habile du document pourra développer une vision extensive de ces hameaux ou groupes de constructions, ceci d’autant plus que le zonage, on le sait, n’est contrôlé que dans le cadre de l’erreur manifeste d’appréciation33. Cela peut donc avoir pour conséquence une réduction du contrôle du juge en cette matière.

30 Par exemple, un lieudit situé à quelques centaines de mètres et comportant un certain nombre de constructions ne constitue ni un bourg ni un village (CE, 14 déc. 1992, Cne de Saint-Gervais-les-Bains, req. n° 115359 : Dr. adm. 1993, comm. 55), pas plus qu’un lieu-dit situé à environ trois kilomètres du bourg et ne supportant que quelques constructions (CE, 18 mai 1998,

Commune d’Allonzier-la-Caille, req. n° 163708 : RD imm. 1998, p. 635, obs. J. Morand-Deviller et L. Touvet).

31 En ce sens, P. Soler-Couteaux, note sous Tribunal administratif de Grenoble, 14 mai 2002,

Abate, req. n° 0003042 : RD imm. 2003, p. 584. Ainsi, une distance de trente mètres entre six constructions « ne caractérise pas un hameau de montagne, même eu égard aux caractéristiques de l’habitat dans cette région de montagne » (CE, 5 févr. 2001, SE au Logement c/ Cne de Saint-Gervais : BJDU n° 2/2001, p. 74, concl. L. Touvet ; RD imm. 2001, p. 184, obs. P. Soler-Couteaux), de même que des terrains comportant plusieurs constructions ne constituent pas nécessairement un hameau (TA Nice, 8 mars 2001, Préfet des Alpes-Maritimes c/ Cne de Saint-Vallier-de-Thiey, req. n° 004625 ; 5 avr. 2001, Préfet des Alpes-Maritimes c/ Cne de Saint-Jeannet, req. n° 001062), ou que quelques habitations dispersées dans une zone rurale ne révèlent pas une urbanisation continue et ne sauraient constituer un hameau (CE, 10 avr. 1996, A., req. n° 116165 : Gaz. Pal.

1997, 1, pan. dr. adm. p. 34).

32 TA Montpellier, 31 déc. 2009, Assoc. de défense des riverains et de protection de l’environnement des mines et usines de Salsignes et de la combe du Saut, Hack, Espuche, req. n° 0705278 : Environnement

n° 3, mars 2010, comm. 33, comm. M. Sousse.

33 M. Baiset, C. Euzet, L’urbanisation en continuité, in J.-P. Henry, P. Ségur (dir.), L’avenir de la loi Montagne - Évolution des conditions d’application, PU Perpignan, 2002, p. 9.

L’érosion directe des principes généraux d’urbanisation est donc manifeste, et elle se double d’une érosion indirecte, due à des réformes ne concernant pas le territoire montagnard à titre exclusif, mais ayant tout de même des conséquences plus ou moins importantes sur les possibilités de constructions. Il n’est pas question de reprendre ici l’ensemble des évolutions du droit de l’urbanisme, mais, dans cet esprit, pourraient être développées les modifications successives de l’article L.111-3 du code de l’urbanisme, avec l’introduction par la loi SRU d’un droit de reconstruire à l’identique en cas de sinistre de la loi SRU34, puis par la loi UH autorisant la restauration d’un bâtiment dont il reste l’essentiel des murs porteurs, dispositions qui ne sont pas sans conséquences sur un espace montagne assez bien doté de bâtiments en ruine dans ses zones rurales. De même, et encore plus symboliquement, la loi Grenelle 2 de 2010 pourrait venir illustrer encore l’assouplissement de la sauvegarde de l’environnement de montagne, ce qui est tout de même un comble. L’abandon des directives territoriales d’aménagement (DTA) au profit des directives territoriales d’aménagement et de développement durable (DTADD) doit en effet être vu comme un recul de la protection dès lors que ces dernières n’ont plus de caractère contraignant, ce qui est particulièrement dommageable du fait du rôle potentiel de ces DTA dans l’interprétation et la mise en œuvre de la loi Montagne35. Cette modification opportune a d’ailleurs comme conséquence de réduire fortement l’intérêt du projet de DTA Alpes du Nord qui était sur le point d’aboutir après avoir donné lieu en 2009 à de vifs affrontements entre élus de montagne et associations écologistes…

L’érosion des principes généraux d’urbanisation est donc flagrante, qu’elle soit directe ou indirecte. Il en est de même pour les principes complémentaires.

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