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L’érosion naturelle des principes généraux d’urbanisation

Annexe 1 : Caractéristiques des 7 profils typologiques de stations dans le massif alpin

A. L’érosion naturelle des principes généraux d’urbanisation

Les principes généraux d’urbanisation établis en 1985 à l’article L.145-3 du code de l’urbanisme ont largement repris les mesures réglementaires issues de la directive d’aménagement national relative à la protection et à l’aménagement de la montagne adoptée en 19778. Toutefois, l’avis est unanime sur le recul en termes de protection, que ce soit du fait de l’atténuation de la « rigueur » de certaines obligations, de « l’imprécision » des nouvelles dispositions, de dispositions « en

6 M.-R. Tercinet, La loi sur le développement et la protection de la montagne, avant-propos :

RFDA 1985, p. 460.

7 M. Prieur, La protection de l’environnement en montagne : RFDA 1985, p. 798. 8 Décret n°77-1281 du 22 novembre 1977.

retrait » de la directive, ou encore d’un « déséquilibre » frappant, voire même, de façon encore plus virulente, parce qu’« à une conception paysagère a succédé une conception productiviste »9. Plusieurs éléments sont en effet de nature à nuire à l’objectif de protection au profit de la volonté de développement.

En 1985, comme en 1977, le contrôle de l’urbanisation a été construit sur le principe de l’urbanisation en continuité de l’existant, ce qui avait pour objectifs d’éviter le mitage des espaces encore vierges, de sauvegarder les terres agricoles et de limiter les dépenses d’infrastructures automatiquement liées à l’étalement urbain.

À première vue, il faut admettre que les dispositions de la loi du 9 janvier 1985 paraissent plus strictes que celles établis en 1977. D’abord, le principe de la constructibilité en continuité avec l’existant devient la règle, alors qu’il s’appliquait auparavant « dans toute la mesure du possible ». Ensuite, la loi Montagne indique que dorénavant les hameaux nouveaux devront être « intégrés à l’environnement » et que leur délimitation devra être justifiée par la conservation de l’activité agricole, la préservation de l’environnement ou la protection contre les risques naturels, alors qu’il s’agissait d’une possibilité inconditionnée dans le régime juridique précédent. Enfin, la réforme de 1985 assure une valeur juridique plus importante au principe, entre autres, de continuité. Il est ici utile de rappeler que l’opposabilité des directives d’aménagement trouvait son fondement à l’article R.111-15 du code de l’urbanisme, lequel disposait que « lorsque, par leur importance, leur situation et leur affectation, des constructions contrarieraient l’action d’aménagement du territoire et d’urbanisme telle qu’elle résulte des plans régionaux de développement économique et social et d’aménagement du territoire ainsi que des directives d’aménagement national arrêtées par le Gouvernement, le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve du respect de prescriptions spéciales ». De fait, la loi de 1985 permet aux différentes contraintes d’atteindre un niveau juridique supérieur et d’obtenir un caractère impératif là où la directive de 1977 s’appuyait sur un article du code édictant une règle permissive.

Toutefois, la loi du 9 janvier 1985 est aussi l’occasion d’introduire de forts tempéraments à l’effectivité des principes généraux d’urbanisation.

D’une part, la loi Montagne introduit un certain nombre de dérogations au principe.

Ainsi, en plus des unités touristiques nouvelles (UTN), procédure déjà permise, le texte envisage, pour justifier le choix de conduire une urbanisation de manière discontinue, l’existence en continuité de terres propices aux activités agricoles, pastorales ou forestières, ou le voisinage de terres soumises à un risque naturel, ou même la volonté de préserver les paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Ces exceptions sont naturellement la contrepartie de l’application systématique du principe de continuité, mais elles

9 Respectivement : F. Constantin, op. cit. ; Y. Jegouzo, La loi n°85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne : D. 1985.65 ; M.-R. Tercinet, Décentralisation de l’urbanisme et montagne : Cahiers du C.F.P.C., n°16-1985, p. 44 ; P. Subra de Bieusses, Développement et protection de la montagne : la protection négligée : Rev. jur. env. 1985, p. 163 ; P. Jamet, Urbanisme et montagne : Bull. de l’Institut du droit de l’environnement, Lyon III, 1985, n°1.

sont potentiellement dommageables dès lors que, comme toute dérogation, elles affaiblissent la règle. En outre, l’article L.145-8 est l’occasion d’introduire une exception générale à l’ensemble des protections établies dans la loi Montagne, en indiquant que « les installations et ouvrages nécessaires aux établissements scientifiques, à la défense nationale, aux recherches et à l’exploitation de ressources minérales d’intérêt national, à la protection contre les risques naturels et aux services publics autres que les remontées mécaniques ne sont pas soumis aux dispositions […] si leur localisation dans ces espaces correspond à une nécessité technique impérative ». Cette « super-dérogation »10, ainsi qu’elle a été qualifiée dès l’origine par les commentateurs, témoigne là encore du souci pris par la loi Montagne de ne pas rendre incontournables les principes de protection. La loi Montagne affirme donc des principes d’urbanisation dont elle limite, dans le même temps, la portée, par une multiplication des dérogations.

D’autre part, les principes et dérogations introduits par la loi Montagne sont suffisamment flous pour permettre en réalité une urbanisation disjointe. La directive de 1977 souffrait déjà d’une imprécision des termes11 que n’a pas résolue la loi de 1985, laquelle a même accentué ce défaut en ajoutant des exceptions nébuleuses aux principes inconsistants12.

Sont ainsi conservées les références aux « bourgs » et « villages », sans que celles-ci ne soient davantage précisées, alors même que le principe essentiel de construction en continuité de l’existant procède de ces notions. La même incertitude entoure les fameux « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement »13 ou « milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard »14, qui sont pourtant deux concepts de nature à permettre une urbanisation discontinue, ou « les grands équilibres naturels » censés venir limiter la réalisation des UTN, ou « l’extension mesurée des agglomérations » et les « caractéristiques propres à cet espace sensibles » qui organisent pourtant la délicate question de l’urbanisation des rives des plans d’eau. Ce défaut originel sera consciencieusement répété dans les réformes successives de l’urbanisation en continuité, ajoutant, en ce qui concerne les exceptions, le nombre et l’imprécision : ainsi de la notion de « taille et de capacité d’accueil limitées » des zones d’urbanisation future introduite par la loi de solidarité et de renouvellement urbain du 13 décembre 2000 (loi SRU) ; ainsi encore des « spécificités locales » qui peuvent être invoquées, depuis la loi de développement des territoires ruraux du

10 Michel Prieur, La protection de l’environnement en montagne : RFDA 1985, p. 802.

11 Ainsi, par exemple, de la « taille adaptée » des hameaux nouveaux à leur environnement, du « développement normal » du village de haute montagne ou de « l’état naturel » des rives des plans d’eau…

12 En ce sens : P. Billet, Le droit à l’assaut de la montagne : de la directive « montagne » à la loi sur le développement des territoires ruraux : Environnement n° 5, Mai 2005, étude 9 ; J.-P. Henry, P. Ségur (dir.), L’avenir de la loi Montagne - Évolution des conditions d’application, PU Perpignan, 2002, p. 5.

13 E. Vigo, T. Del Moro, Le hameau nouveau intégré à l’environnement : le diallèle de l’article L.145-3, in J.-P. Henry, P. Ségur (dir.), ibid., p. 21.

14 E. Bret, A. Jaubert, La protection des espaces montagnard, in J.-P. Henry, P. Ségur (dir.), ibid., p. 47.

23 février 2005 (loi DTR), pour admettre certaines constructions sur les rives des plans d’eau…

Ces éléments empiètent volontairement sur les principes d’urbanisation complémentaires et l’érosion artificielle, qui viennent après dans notre ascension, mais il s’agit de montrer comment l’imprécision des principes directeurs a été l’une des tares générales du régime juridique de l’urbanisation en montagne. Comme souvent en droit de l’urbanisme, le législateur a construit une boîte à outils malléable, laissant aux acteurs administratifs et juridictionnels le soin d’en tirer toutes les rigueurs ou, au contraire, toutes les opportunités. Dans certaines situations, lorsque les communes de montagne sont éclatées en petites unités urbaines, ce qui est assez fréquent du fait de la configuration des lieux, cela peut revenir à autoriser les constructions sur presque l’intégralité du territoire communal, au détriment de toute centralité. Dans d’autres, on peut imaginer qu’une écriture habile des documents d’urbanisme, jouant sur les exceptions et les approximations, puisse autoriser une urbanisation peu contrainte. Dans toutes, il faut regretter que le législateur n’ait pas davantage protégé ses dispositions protectrices, laissant au contraire place à une érosion permise par le manque de fermeté des principes. L’érosion est alors clairement la conséquence du faible volontarisme du législateur, de ce que d’autres ont pu appeler le « déni de création du droit de la part des pouvoirs publics »15.

La loi Montagne s’organise sur un principe central de continuité avec l’existant, lequel est agrémenté d’un ensemble de principes complémentaires d’urbanisation visant à tenir compte de certains particularismes de l’espace montagne, particularismes liés à des activités (ainsi l’agriculture ou le tourisme), des lieux remarquables (ainsi les lacs ou la haute montagne) ou des types de constructions (ainsi les routes). Ces derniers auraient donc pu compenser les faiblesses déjà relevées. Leur étude conduit toutefois aux mêmes observations.

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