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L’érosion naturelle des principes complémentaires d’urbanisation

Annexe 1 : Caractéristiques des 7 profils typologiques de stations dans le massif alpin

B. L’érosion naturelle des principes complémentaires d’urbanisation

Les dispositions concernant les rives des plans d’eau et celles relatives au tourisme sont les plus connues, mais il est intéressant de relever, au moins rapidement, que le phénomène couvre l’ensemble des thèmes.

Concernant la préservation des terres agricoles, la loi Montagne laisse apparaître une définition plus aléatoire des espaces ainsi qualifiés puisque la nomenclature cadastrale pour l’application de la taxe foncière sur les propriétés non-bâties, utilisée en 1977, laisse la place en 1985 à une combinaison de critères économiques (rôle et place dans les systèmes d’exploitation) et de critères physiques (situation par rapport au siège de l’activité, relief, pente, exposition). Les « constructions nécessaires aux activités agricoles, pastorales et forestières » y sont admises, ce qui est plus large que les seuls « bâtiments d’exploitation agricole ou forestière », ainsi que les équipements

15 J.-P. Amoudry, in P. Blondel (dir.), L’évaluation de la politique de la montagne, Rapport de l’instance d’évaluation, Commissariat général du plan, Conseil national de l’évaluation, Doc. fr., 1999, t. II, p. 175-176 ; les députés n’étant pas en reste sur cette dénonciation de l’imprécision des critères : Rapport d’information sur l’application de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, AN, session 1990-1991, n° 2198, p. 11.

sportifs liés « notamment » à la pratique du ski et de la randonnée, le « notamment » soulignant que ceci n’a rien d’exclusif16.

En matière de protection de l’environnement, la loi du 9 janvier 1985 prévoit certes l’adoption de dispositions propres à préserver les espaces et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mais renvoie cela aux futurs documents, décisions, voire prescriptions particulières de massif. Ici comme ailleurs, le manque de cadre précis ne peut que nuire à la protection, et on sait aujourd’hui que ces « prescriptions massif » ne seront d’ailleurs jamais adoptées. C’est d’ailleurs l’occasion de souligner l’une des tares importantes de cette réforme. La loi Montagne offre des faiblesses jusque dans ses nouveautés. Ainsi, le concept de massif et les prescriptions qui y sont associées ont pu laisser penser que les manques et incertitudes en termes de protection de l’environnement seraient comblés. À tort.

Par rapport au régime juridique précédemment applicable, le traitement réservé à la haute montagne par la réforme de 1985 est également assez discutable au motif que, justement, cette espace est très largement négligé alors même qu’il constitue un « milieu naturel fragile et vivant particulièrement menacé »17. L’érosion inhérente à la loi de 1985 est particulièrement nette quand on sait que la directive de 1977 lui consacrait une partie entière, presque la moitié de ses dispositions. Concernant l’urbanisation de ce territoire, il est ainsi seulement prévu, à l’article L.145-7-II du code de l’urbanisme, que les comités de massif peuvent élaborer des « recommandations particulières » à certaines zones sensibles de haute montagne, recommandations qui ne pourront avoir de portée juridique effective que si elles sont reprises intégralement dans les plans d’occupation des sols. À l’instar des paysages et milieux caractéristiques du patrimoine montagnard, il est donc renvoyé à d’hypothétiques textes ultérieurs et il n’est pas mis en place de principes de protection

a priori alors que la directive imposait sur les secteurs dits « de haute montagne » une continuité immédiate pour toute construction nouvelle, et encore sous réserve que celle-ci « ne nécessite que l’utilisation ou l’amélioration des équipements existants ».

La protection de l’espace montagnard contre la construction de nouveaux réseaux routiers est également fortement réduite. La directive de 1977 était très développée sur ce sujet : interdiction des routes nouvelles dans la bande des 300 mètres autour des plans d’eau, stricte limitation des routes nouvelles de vision panoramique et de corniche, encadrement des routes d’exploitation, développement de l’ensemble du réseau routier qui devra éviter les bouclages générateurs d’un trafic automobile de faible intérêt touristique et économique au regard des nuisances et des coûts d’investissement et d’entretien correspondants. Or, si la loi Montagne tient compte de la nuisance routière et reprend ces limitations du développement du réseau, elle réduit l’interdiction à la partie des zones de montagne située au-dessus de la limite forestière, et ceci avec de nombreuses dérogations : désenclavement, défense nationale, liaisons internationales.

16 P. Merveilleux du Vignaux, Pour une première approche du thème de l’urbanisme dans la montagne : RFDA, 1985, p. 782.

L’activité touristique est traditionnellement considérée comme un axe essentiel du développement du territoire montagnard, ce qui explique évidemment la place particulière qu’elle occupe dans la loi du 9 janvier 1985. Comme sur les autres thèmes, le texte reprend l’essentiel du dispositif existant tout en développant des assouplissements de nature à remettre en cause la dimension protection au profit de l’objectif de développement.

On peut ainsi considérer que le transfert de la compétence nationale vers la compétence locale est inévitablement favorable à l’idée de valorisation. Il n’est pas question de dire ici que les acteurs locaux rejettent tout effort de sauvegarde au profit d’un libéralisme absolu du développement. Toutefois, préfets et maires ne sont pas des autorités spécifiquement environnementales, et on ne peut nier qu’ils sont souvent tiraillés entre des intérêts divergents : si l’environnement est l’une de leurs préoccupations, elle n’en est qu’une parmi d’autres18. En conséquence, fixer au niveau national des principes d’urbanisation qui devront en réalité être appliqués dans le cadre de compétences décentralisées est « un exercice difficile et parfois périlleux »19. Sur ce sujet, certains commentateurs ont d’ailleurs été moins précautionneux, rejetant clairement la responsabilité d’une loi faiblement protectrice sur les acteurs locaux : « les parlementaires, pour la plupart notables locaux, ont confirmé leur indifférence aux problèmes des équilibres et à la prospective écologique »20.

De manière générale, c’est l’article 42 de la loi qui pose le principe d’un contrôle local sur la « mise en œuvre des opérations d’aménagement touristique » en zone montagne. Ce contrôle repose notamment sur un conventionnement plus encadré entre les promoteurs privés et les collectivités territoriales, ceci afin d’éviter les déséquilibres contractuels en faveur du secteur privé que la Cour des comptes a pu mettre en évidence durant les années 7021. Toutefois, ce régime juridique reste suffisamment souple pour remettre en question la réalité des garanties nouvellement établies. Il apparaît en effet que ni le champ d’application de l’obligation de conventionnement, ni le contenu des obligations ne sont parfaitement précisés. À titre d’exemple, n’a pas été suivi le souhait émis par la Cour des comptes d’établir des « clauses types relatives à l’urbanisation et l’équipement du domaine skiable afin que les collectivités publiques soient en mesure de mieux défendre leurs intérêts »22. Cela préserve certes la sacro-sainte liberté contractuelle des collectivités territoriales mais

18 Si les élus locaux sont souvent mis sur la sellette de ce point de vue, il ne faut cependant pas négliger cette dimension concernant le préfet, comme en témoignent les affaires du Lac de Fabrèges ou du col et tunnel du Somport, dans lesquelles il a été dit que les véritables responsables de ces affaires étaient les préfets, lesquels avaient encouragé ces projets à l’origine et n’avaient pas, lorsque la présomption d’irrégularité des projets devint forte, usé de leur possibilité de déférer ; cf. J. Morand-Deviller, Montagne et droit - Rapport de synthèse : LPA, 21 février 1996, n°23, p. 49. 19 P. Merveilleux du Vignaux, op. cit., p. 787.

20 F. Constantin, Perspectives d’altitude : décentralisation et spécificité montagnarde : Les nouvelles compétences locales, Ed. Economica, 1985 ; repris dans le même sens par M. Prieur, La protection de l’environnement en montagne : RFDA 1985, p. 799. Dans le même sens, M.-L. Humbert-Habib, Décentralisation des outils de protection : quels risques pour le patrimoine montagnard ? :

RFDA 2005, p. 526.

21 Cour des comptes, Rapport public 1978, p. 17. 22 Ibid., p. 22.

cette marge de manœuvre laissée par le pouvoir central était dès l’origine considérée par les commentateurs de nature à « précariser certaines des garanties instituées dans la loi »23.

L’appréciation est identique concernant les unités touristiques nouvelles (UTN). La procédure n’est pas nouvelle mais sa reprise à l’échelle législative en dit long sur les orientations profondes de la loi Montagne. Rappelons qu’elle permet notamment de conduire des aménagements importants sur des sites vierges et discontinus de l’existant. En outre, avec la loi de 1985, la procédure évolue vers plus de déconcentration et plus de décentralisation, avec l’attribution de la compétence de droit commun au préfet et l’introduction d’une possibilité de compétence pour les maires en cas de mise en place d’une planification intercommunale. Ceci n’est pas neutre dès lors que le caractère centralisé de la procédure initiée par la directive Montagne de 1977 avait justement été justifié par la nécessité de disposer de « tout le poids du gouvernement pour imposer des solutions d’intérêt général aux promoteurs »24.

Outre la délocalisation de la procédure d’UTN, d’autres transferts de responsabilités liés au tourisme sont organisés par la loi de 1985. Elle prévoit ainsi des dispositions particulières dans les documents décentralisés d’urbanisme, comme par exemple la délimitation des zones de pratique du ski ou de remontées mécaniques indiquant les équipements et aménagements qui peuvent y être prévus. Peut également être décentralisée l’autorisation de réaliser lesdites remontées mécaniques, celle-ci étant délivrée par l’autorité compétente en matière de permis de construire, ce à quoi il faut ajouter l’institution d’un nouveau type d’autorisation décentralisée avec l’autorisation d’aménagement des pistes de ski alpin.

Une fois encore, l’objet du discours n’est pas de contester sans discernement la conscience environnementale des acteurs locaux, mais il ne peut être contesté que la protection est moins marquée quand elle est une compétence parmi d’autres que lorsqu’elle est une mission exclusive. À titre de comparaison, des choix différents ont été faits dans d’autres domaines : ainsi le patrimoine historique et culturel est-il protégé par une autorité spécialisée, l’Architecte des bâtiments de France (ABF) à travers qui l’état est resté maître de la décision.

Parmi les principes complémentaires importants en matière d’aménagement, il faut enfin aborder la question des rives des plans d’eau naturels et artificiels. À nouveau, force est de constater que la directive de 1977 était plus sévère que la loi de 1985. Ainsi, la première n’opérait pas de distinction en fonction de la superficie de ces plans d’eau alors que la seconde, de fait, assouplit le régime applicable aux lacs de moins de 1 000 hectares. La protection édictée par la directive de 1977 était relativement claire, posant une interdiction de construire sur une bande de 300 mètres autour de ces lacs et ne tolérant que des dérogations de nature touristique (refuges et gîtes d’étape, équipements d’accueil et de sécurité nécessaires à la pratique de la baignade ou des sports nautiques) ou scientifique (installations à caractère scientifique si aucune autre implantation n’est possible). La loi Montagne reprend

23 M.-R. Tercinet, L’aménagement touristique de la montagne : RFDA 1985, p. 779. 24 J.-P. Guérin, L’aménagement de la montagne, Ophrys, 1984, p. 71.

cette interdiction mais elle introduit à nouveau un double tempérament favorable à l’autorité décentralisée. D’une part, lorsqu’un document communal d’urbanisme est établi, il devient possible d’implanter des campings et d’opérer une extension mesurée des agglomérations dans la bande des 300 m. D’autre part, lorsqu’un document intercommunal d’aménagement est réalisé, des hameaux nouveaux sont envisageables. On peut ajouter que la loi permet aussi l’extension des constructions existantes et les bâtiments à usage agricole, pastoral ou forestier alors que, à l’inverse, l’interdiction absolue de toucher aux zones de marais, tourbières ou forêts n’est pas reprise. De manière générale, les dérogations nouvellement établies dans la loi de 1985 sont donc, potentiellement, beaucoup plus nuisibles à l’environnement que celles retenues dans la directive de 1977.

Il n’est donc pas inutile de revenir aux sources des dispositions relatives à l’urbanisation de la montagne, ceci pour constater que le monument présentait dès l’origine quelques vices de constructions propres à favoriser son érosion. Les rénovations ultérieures n’ont pas renversé la situation, au contraire.

II. L’érosion artificielle, conséquence des réformes de la loi Montagne

Les évolutions connues par la loi du 9 janvier 1985 sont particulièrement abondantes, illustrant la « frénésie législative » générale dénoncée de manière aussi vaine que récurrente par la doctrine25. Ce ne sont ainsi pas moins de 32 réformes législatives qui sont venues modifier le contenu même de la loi Montagne en 27 années d’existence. Cette exaltation parlementaire, ayant déjà abouti à modifier le texte initial plus d’une fois par an, ne résume en outre pas les évolutions juridiques concernant ce territoire puisqu’il faudrait ajouter les nombreuses lois relatives au droit commun de l’urbanisme, à l’environnement ou encore à l’agriculture et au monde rural qui ont également eu un impact sur les principes d’urbanisation de l’espace montagnard26.

Il suffira heureusement de se concentrer sur quelques textes phares : loi n°94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction (dite loi Bosson), loi n°95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (dite loi Pasqua), loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 de solidarité et de renouvellement urbain (dite loi SRU), loi n°2003-590 du 2 juillet 2003 relative à l’urbanisme et à l’habitat (dite loi UH), loi n°2005-157 du 23 février 2005 de développement des territoires ruraux (dite loi DTR), loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite loi Grenelle 2), autant de lois qui, à des degrés divers, ont affaibli la protection des espaces montagnards sous couvert le plus souvent de vouloir leur assurer un meilleur développement ou de lutter contre une désertification brandie

25 P. Billet, La (pseudo) simplification du droit de l’environnement et du droit de l’urbanisme et l’amélioration de leur qualité. - À propos de la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit : JCP A n° 26, 27 juin 2011, 2232.

26 Le travail statistique devient alors titanesque et l’on pardonnera à l’auteur de n’avoir pas osé gravir ce col hors catégorie.

comme une conséquence de la loi Montagne par une partie des élus locaux27. Ainsi de la loi DTR, peut-être la plus réformatrice, à propos de laquelle le Professeur Yves Jegouzo estime que « le plateau du développement paraît plus lourdement chargé que celui qui contient les mesures visant à le réguler, à le concilier avec les exigences de l’environnement. Les modifications apportées à la loi Montagne sont à cet égard révélatrices. On décerne bien les différents assouplissements apportés aux contraintes actuelles. On voit moins bien où sont les nouvelles précautions garantissant que ce développement soit durable »28.

Ici aussi, la distinction entre l’érosion, cette fois artificielle, des principes généraux (A) et complémentaires (B) d’urbanisation permettra d’éviter une présentation chronologique des réformes pour lui préférer une description thématique permettant de mieux mesurer les profondeurs de l’usure.

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