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disciplinaire scolaire

3. Rapport au savoir et posture

3.2. Une approche anthropologique et didactique

Les travaux de Chevallard (1992) de nature anthropologique s’intéressent aux relations entre les institutions et les personnes. Les principes de la transposition didactique, qu’il théorise à la suite des travaux initiaux de Verret (1975) posent la question du statut des savoirs premiers qualifiés de savants et des rapports du système didactique à son environnement social, qui expliquent les transformations apportées à ces savoirs au cours du processus d’enseignement, les savoirs enseignés n’étant pas les savoirs savants.

Toutefois, les savoirs enseignés doivent rester suffisamment proches des savoirs savants pour ne pas être désavoués par les scientifiques, et suffisamment éloignés du sens commun des familles pour rester légitimes. La dynamique de la transposition issue de la théorie de Chevallard est figurée par Bronckart et Piazaola Giger (1998) par le schéma suivant (cf. figure 1) :

50 Les savoirs didactisés s’éloignent ainsi des savoirs savants et se retrouvent objectivés, élémentarisés, pour prendre un caractère public permettant un contrôle social des apprentissages scolaires. Si les travaux initiaux de Verret, intègrent savoirs et pratiques de ces savoirs, Chevallard se centre, lui, essentiellement sur les savoirs, et donc sur les rapports entre les « savoirs de référence » et les savoirs didactisés alors que Martinand (1986) réintègre dans les savoirs à enseigner les « pratiques sociales de référence », notamment dans le cadre de la didactique des sciences.

Dans cette dernière approche, le rapport au savoir se construit en lien avec des pratiques sociales qui lui donnent du sens. L’élève n’est pas confronté au savoir en général, mais à des savoirs scolaires spécifiques, outillés par des pratiques dans un champ disciplinaire déterminé. Si, comme le soulignent Reuter et al. (p. 191), « l’apprentissage des contenus d’enseignement est indissociable du rapport à ces contenus que construit l’apprenant », la confrontation aux contenus d’apprentissages articulés à des pratiques sociales de référence doit aider l’élève à leur donner du sens et une pertinence. On peut alors parler de rapport aux savoirs.

Si dans l’approche sociologique de Bourdieu le rapport au savoir (en général) est tributaire du contexte social, appelé à se figer et à perdurer à travers des comportements qui s’installeraient peu à peu en dehors du contexte dans lequel il est apparu, une vision plus vygotskienne voudrait que la relation entre le sujet et l’objet de savoir (singulier et disciplinaire) soit toujours en rapport avec le contexte et qu’il puisse donc évoluer. Ainsi, comme le fait remarquer Rebière (2000, p. 70), nous ne saurions, dans une perspective vygotskienne, adopter le point de vue sociologique du rapport au savoir dans son aspect purement social et général, et nous considèrerons qu’il est du rôle de l’école d’aider les élèves à élaborer un rapport aux savoirs, en leur permettant de construire des repères, des pratiques qu’ils ne sauraient construire seuls.

En effet, le rapport au savoir semble bien être spécifique aux contenus d’enseignement et donc spécifique à chaque discipline. Il conviendra donc d’observer le rapport aux savoirs des élèves dans les deux disciplines (français et sciences), afin de nous rendre compte s’il varie et se modifie lors du changement de discipline, preuve de l’adaptation de l’élève et suscitant alors des différences de posture entre les disciplines (ou même des différences de postures entre les élèves au sein d’une même discipline) ou s’il se construit dans une discipline et perdure dans l’autre, indépendamment du changement de discipline, signe qu’il se cristallise

51 pour créer une posture unique et rigide ne permettant pas à l’élève d’adapter son comportement aux savoirs en jeu dans d’autres disciplines.

« C’est pourquoi la conscience disciplinaire (autrement dit la conception que les apprenants ont de la discipline et de la manière dont les savoirs la structurent) est importante dans le rapport à un contenu d’enseignement comme à la situation didactique mise en place pour en construire l’apprentissage : la discipline scolaire engage en effet un rapport spécifique aux contenus » (Ibid. p.194)

En effet, les situations d’enseignement proposées, la médiation langagière sollicitée par l’enseignant qui vise à ce que l’élève construise une position énonciative de plus en plus adaptée aux exigences de chaque discipline telles que l’enseignant se les représente et les interactions suscitées au sein de la CDDS, créent un contexte d’apprentissage plus ou moins favorable que nous considérons comme étant à l’origine de l’appropriation des repères constitutifs d’un rapport aux savoirs plus ou moins pertinent chez les élèves. Ainsi nous suivons Bernardin (2003) quand il écrit :

« Produit d'une construction, le rapport au savoir n'est pas immuable, il peut se transformer pour autant que l'expérience scolaire le permette. Pour le dire autrement : l'activité scolaire convoque et met à l'épreuve le rapport au savoir des élèves... mais aussi le construit (en le renforçant ou en l'infléchissant). [...] Le flou en matière de consigne ou d'enjeu des séquences, la succession des exercices et des rituels, le recours quasi exclusif à l'écoute et à la mémoire confortent les élèves dans une posture attentiste et assoient leur dépendance. »

Dans le domaine de l’écriture, Barre-de-Miniac (1994) fait le constat que la manière dont les jeunes élèves investissent et s’approprient des savoirs ne revêt pas la même signification selon leur milieu social d’origine. Elle précise que les élèves de milieux socialement défavorisés ont tendance, plus que les autres, à considérer l’accès à l’écriture exclusivement comme un moyen de réussite scolaire, et qu’ils ont plus de difficultés que les autres à se projeter au-delà de cette conception utilitaire et à s’impliquer au-delà des exigences purement scolaires :

« L’écriture à l'École est marquée par des représentations culturelles produites par des groupes sociaux, tout autant qu'elle est un lieu privilégié de projection de significations culturelles. Ce sont ces représentations de l'écriture, ces projections de valeurs sur cette dernière, ces attitudes et attentes à son égard que désigne l'expression « rapport à l'écriture » (p. 39)

Ce faisant, elle suggère que les pratiques enseignantes sont liées aux représentations que les enseignants se font des compétences et des attentes des élèves et de leur famille. Elle les met en évidence en rendant compte des démarches différentes qu’ils mettent en œuvre, qu’elle juge d’ailleurs « paradoxales » et montre que les pratiques centrées sur la verbalisation et l’explicitation sont plus fréquentes dans les milieux favorisés alors que les enseignements des

52 milieux défavorisés valorisent davantage l’agir par la pratique de « mise en situation » et des activités de découverte, souvent collectives. Le rôle de l’enseignant et les situations d’apprentissage qu’il propose, adapte ou modifie, ainsi que l’activité langagière qu’il met en œuvre et sollicite, apparaissent donc fondamentaux dans la construction d’un rapport au savoir adapté au savoir en jeu dans chaque discipline, permettant ou non la modification de la posture nécessaire à chacun des apprentissages concernés :

« Au lieu de renvoyer à un mouvement au cours duquel le savoir passe de l’extérieur à l’intérieur de la tête de l’élève, la métaphore suggérée par la notion de « rapport à » renvoie à l’image du phare qui éclaire, localement, un paysage nocturne. Le paysage, c’est le savoir, le phare, l’individu ; le faisceau lumineux le rapport de l’individu au savoir. L’acteur principal est donc l’élève : c’est lui qui éclaire le paysage. À l’enseignant revient le rôle de connaître l’angle de vue, la focale utilisée par l’élève : quelle partie du paysage éclaire-t-il ? Est-ce celle que l’on attend qu’il éclaire pour réussir à l’école ? À l’enseignant revient aussi le rôle d’aider l’élève à élargir son champ de vision, à le faire mieux correspondre aux attentes de l’école ». (Barré-de-Miniac, 2002, p. 4)

Nous observerons de quelle manière les élèves se situent dans leur rapport au savoir disciplinaire visé et de quelle manière les enseignements dispensés les aident à se construire un rapport au savoir compatible avec les conditions nécessaires à la réussite scolaire.

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