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disciplinaire scolaire

4. Cadre épistémologique de l’enseignement des sciences

4.1. La nature spécifique de la communication didactique en sciences

Nous nous intéressons à la manière dont les enseignants s’y prennent pour enseigner cette discipline. En effet les choix didactiques opérés orientent l’enseignement et ont un impact sur les apprentissages des élèves.

4.1.1. Des interactions orientées par le choix de pilotage de la séance

« Selon le pilotage adopté, la nature des interactions professeur-élèves s’avère très diverse ainsi que la nature de la communication au sein de la classe » (Astolfi, Peterfalvi, & Vérin, 1998, pp. 35-42) . Pour analyser les interactions langagières à visée didactique, il nous faut donc étudier les différentes façons qu’ont les enseignants de piloter l’activité scientifique. Les auteurs cités en proposent les modalités que nous reprenons dans le tableau 6 (Ibid.p.41) :

125 Le tableau 6 présente « un certain nombre de ces modes de pilotage possibles : pilotage par le savoir, par la situation, par l’obstacle, par la méthode, par la production », indépendamment du déroulement chronologique de la séance (Ibid.p.35). Ces « modes de pilotage » sont des alternatives didactiques qui peuvent être enchainés selon la séance de la séquence, et/ou combiner plusieurs des éléments du tableau, mais il semble qu’il existe, dans chaque type d’enseignement, un mode dominant qui détermine une tendance didactique et qui oriente le type d’interactions langagières mis en œuvre. Ainsi, la « commande par le savoir est le mode le plus répandu dans l’enseignement scientifique ». L’enseignant y présente une notion scientifique qu’il a l’intention de travailler dans un temps prédéterminé, puis il produit des exemples qui « visent à la fois à rendre concrète l’introduction de concepts et à vérifier que ceux-ci fonctionnent de manière opératoire pour les élèves ». Cette pratique offre l’avantage de gagner du temps car la participation langagière de l’enseignant prédomine, et celle des élèves est sélectionnée par lui en fonction de « ce qui est susceptible de faire avancer la notion » (Ibid.p.40) en se basant sur « le questionnement intellectuel spéculatif » et sur la création d’« un besoin gratuit d’apprendre » des élèves. Lorsque le pilotage de la séance repose essentiellement sur la situation, l’enseignant privilégie l’intérêt qu’y portent des élèves

Le pilotage d’une séquence par :

La situation La notion/Le savoir La méthode L’obstacle La production

L’ o b jet d e la séan ce Un exemple complexe,

analysé et étudié pour lui-même La systématisation d’une notion, présentée sous diverses facettes (exemples, exercices…). La résolution d’un problème, la recherche d’une explication avec séparation des variables.

La création d’un conflit, dans un climat de coopération, pour rendre sensible une difficulté masquée. Une réalisation à réussir, de manière collective ou individuelle. Le m o te u r L’exploitation de l’environnement ou d’une occasion fortuite. Le questionnement intellectuel, le besoin d’apprendre (« dis pourquoi »). Le besoin d’agir, d’essayer, d’expérimenter « pour voir ». La surprise, le défi, la situation-problème. La conduite d’un projet, le plaisir à coopérer. Les o u til s La mobilisation de notions et méthodes variées, sans « déborder » l’exemple.

Des exemples ad hoc variables, qui sont en fait des théories matérialisées.

L’appui sur des exemples et des techniques dont on sait qu’ils

« fonctionnent ».

Des exemples bien « calculés », choisis pour leur aptitude à déstabiliser les idées installées. L’occasion de faire « fonctionner » des savoirs disponibles, et d’en acquérir de nouveaux. Les é ch an ge s Nombreuses Q-R

d’origine alternée (ne pas perdre une occasion d’expliquer

versus en savoir plus

sur un détail).

Prélèvement électif, parmi ce que disent les élèves, de ce qui fait « avancer la notion »

Débat scientifique, toutes les propositions étant écoutées et « pesées » de manière équivalente

Reprise collective de tout ce qui concourt à rendre « saillant » le conflit.

Questions espacées, d’origine alternée, pour comprendre où en est le projet ou débloquer une difficulté.

126 a priori et utilise seulement les savoirs « comme outils intellectuels au service de la question étudiée ». Il multiplie alors les questions, la participation des élèves est donc quantitativement importante mais limitée à un jeu de questions-réponses nombreuses et alternées au cours duquel il explique des éléments notionnels et s’assure de l’attention suivie des élèves sur un mode « régulatif ». Lorsque l’enseignant privilégie une commande par la production, l’activité langagière sollicitée est du même ordre, mais les questionnements plus espacés dans un temps plus long qui vise plus la réalisation d’un projet. Lorsque l’enseignant choisit une entrée par la méthode, il propose aux élèves ou construit avec eux en amont une méthode basée sur l’observation et l’expérimentation. Les élèves participent alors en anticipant des hypothèses qui sont mises à l’épreuve de l’expérimentation sur un mode « argumentatif » aux contours plus aléatoires. Le temps à consacrer à la mise en œuvre de la méthode est plus important afin de pouvoir accueillir et débattre des avis divers, inhérents à un apprentissage méthodologique. Quant à la mise en œuvre d’une séance commandée par l’obstacle, elle nécessite que l’enseignant ait perçu en amont ce qui pourrait faire obstacle à la construction du savoir dans la conception des élèves, à leur tendre « un piège » pour qu’ils prennent conscience de la limite de leurs connaissances, et qu’ils accueillent avec surprise et intérêt des éléments notionnels ciblés, potentiellement en contradiction avec leurs représentations initiales. La sollicitation langagière consiste alors à faire émerger les divergences de point de vue chez les élèves pour faire exprimer les conceptions potentiellement problématiques qu’il s’agira de déjouer au cours de la séance.

Ces différentes logiques de choix pédagogiques de l’enseignant conduisent à des types d’échanges différents dans la classe mais la participation active des élèves ne suffit pas à garantir que les interactions prennent en compte ce que disent vraiment les élèves, ce que cela traduit de leurs conceptions, de leur compréhension des situations proposées et des obstacles qu’ils rencontrent. En effet, les échanges peuvent être plus ou moins consciemment orientés par l’enseignant qui entend, souligne ou récupère certaines interventions plutôt que d’autres en raison de la pertinence qu’il analyse au regard des objectifs d’acquisition des connaissances qu’il s’est fixés dans le temps qu’il prévoit d’y consacrer. Aussi, les auteurs sus-cités préconisent que l’enseignement doive plutôt développer le « dialogique » que le « dialogal » afin de privilégier l’aspect réflexif des situations :

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« Pour éviter que le dialogue pédagogique se limite à faire « participer » la classe sans nécessairement la faire débattre, il est utile de ne pas confondre le « dialogal », qui concerne la forme de l’échange entre deux interlocuteurs, avec le « dialogique », qui concerne la structure des contenus du (des) discours. […] L‘instauration d’un « vrai » dialogue suppose l’explicitation et l’argumentation des points de vue en présence, la clarification des questions scientifiques qui se posent, la mise à jour des conflits cognitifs au sein de la classe et la recherche collective d’un nouveau système d’explication plus satisfaisant. » (Astolfi, Peterfalvi, & Vérin, 1998, p. 44).

Ils soulignent aussi la nécessité de « nouvelles modalités de l’intervention didactique » consistant à pratiquer une « écoute positive » des élèves, évitant ainsi l’attente de réponses prédéterminées aux questions posées à la classe, ayant pour seul but de mener la leçon à son terme. En effet, en se focalisant sur les réponses qu’il attend, l’enseignant empêche l’émergence puis la prise en compte des représentations des élèves qui pourraient révéler chez eux une difficulté à intégrer les concepts scientifiques visés derrière « des formulations d’apparence fautive des systèmes cohérents d’explication du monde, du corps humain, de l’environnement naturel et technique » (Ibid., pp. 75-76). Faire entrer des élèves dans une démarche scientifique consisterait donc à les amener à construire des modèles explicatifs pour appréhender le monde qui seraient ensuite discutés. Nous observerons donc la manière dont les enseignants invitent les élèves à élaborer des discours explicatifs lors des activités scientifiques pour les acculturer à une démarche scientifique.

4.1.2. Des interactions orientées par une connaissance des manières de raisonner des élèves

Conduire les élèves à un raisonnement scientifique suppose que l’enseignant ait été sensibilisé aux conceptions fréquentes et récurrentes des élèves, afin qu’il puisse les reconnaitre dans l’expression qu’ils en ont. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra agir pour leur permettre d’améliorer la verbalisation de ces conceptions, souvent encore floues, qui sont le produit de leurs apprentissages spontanés depuis l’enfance. Cette opération est indispensable pour les rendre conscientes et mentalement disponibles avant d’essayer de les croiser avec celles de leurs camarades et de faire émerger ainsi des conflits nécessaires à leur éventuelle transformation, par la prise de conscience que tout le monde ne pense pas comme eux, et la nécessaire argumentation de leur point de vue :

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« Apprendre, ce n’est pas seulement augmenter son « stock » de savoirs, c’est aussi - et peut être même d’abord- transformer ses façons de penser le monde » […]. […] la pensée des élèves s’affronte à des obstacles […] extrêmement résistants. Si on les néglige, la classe apprendra sans doute quelque chose, mais ces obstacles risquent de demeurer invisiblement intacts et de ressortir à la première occasion. Rappelons ici qu’au moment d’apprendre, les obstacles sont intimement installés en chacun de nous […] à travers tout un système de pensée structuré qui nous est confortable et auquel, au fond, nous avons des raisons de tenir. Il se maintient par un système d’économie cognitive. Or la pensée scientifique que propose l’école vient en rupture avec ce système, rupture qui naturellement déstabilise. Par conséquent, les élèves lui résistent, inconsciemment bien sûr. » (Ibid., pp. 80,82)

Effectivement, la façon de raisonner des élèves présente le plus souvent une forte cohérence interne qui leur permet de penser le réel et les contraint à résister aux conceptions nouvelles plus scientifiques, créant ainsi des obstacles qui ne sont pas des difficultés mais plutôt des « formes de pensée primitives, satisfaisantes et économiques ». Travailler à partir des représentations des élèves oblige à entrer dans leur mode de raisonnement pour les aider à le faire évoluer. Nous tenterons d’identifier les choix pédagogiques au niveau de la nature des échanges effectués par les enseignants dans le domaine des sciences ainsi que leurs conséquences sur la construction de la posture des élèves en sciences à partir des observations que nous avons pu faire des séances menées en classe.

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