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disciplinaire scolaire

1. Construction, évolution, transformation des objets de discours

Les objets de discours que nous analysons au sein des interactions didactiques, sont dépendants du « déjà-là » et des savoirs scolaires qui sont à construire en français et en sciences car nous observons l’activité langagière impliquée dans la construction des savoirs. Aussi, leur analyse nécessite de circonscrire en amont les contenus de ces savoirs et de considérer que le discours des apprentissages scolaires qui se construit en classe signifie plus que son contenu explicite : dialogique, contextualisé, il renvoie à des points de vue divergents, mettant en scène différentes perspectives sociales, de sorte qu’il peut permettre in fine la construction des objets de savoir par lequel il est orienté :

« Ainsi, le discours n’est pas seulement là pour rendre compte, à travers une langue, d’une réalité qui lui est extérieure, mais le discours permet la construction des objets dont il va devoir rendre compte. » (Lhoste, 2008, p. 106)

Pour essayer d’observer la transformation des objets de discours (la transformation des concepts spontanés en savoirs), les outils mis en œuvre dans notre étude empruntent donc

68 principalement aux approches énonciative, pragmatique et interactionniste du langage notamment aux travaux de Bronckart (1997), François (1993), Grize (1996), et sont utilisés à la lumière de notre cadre théorique. Pour ce faire, nous choisissons d’analyser la construction, et la transformation des objets de discours en utilisant les outils proposés par Bernié, Jaubert et Rebière à partir des travaux sur la « schématisation » de Grize. Nous utilisons aussi le modèle d’analyse des textes de Bronckart (1997) qui repose sur une conception de ces derniers en tant que résultats d’actions langagières définies comme des « unités psychologiques synchroniques, fédérant les représentations dont dispose un agent à propos d’un contexte d’action, dans leurs aspects physiques, sociaux et subjectifs » (p. 110).Ainsi, pour rendre compte des opérations psychologiques sous-jacentes aux choix linguistiques, Bronckart propose une description de l’architecture des textes comme un « feuilleté constitué de trois couches superposées : l’infrastructure générale du texte [genre de texte, segments discursifs et leur articulation], les mécanismes de textualisation [liés à la cohésion nominale via les reprises anaphoriques, à la cohésion verbale et à la connexion par exemple] et les mécanismes de prise en charge énonciative[gestion des voix convoquées dans le discours et modalisations]» (pp. 120-133). Cette modélisation des discours (même si elle est discutable) permet d’analyser les phénomènes de dialogisme ou d’hétéroglossie à travers les différentes « voix qui s’y expriment » et qui ne sont pas toujours explicites ainsi que le positionnement énonciatif. La mise en scène de ces « voix » rend compte des tensions, de l’appropriation ou des résistances du locuteur à des idées et discours « autres », relevant de perspectives sociales différentes, parfois en contradiction avec des représentations installées, et à l’école, participant ainsi aux apprentissages. En effet, l’analyse des opérations de prise en charge énonciative par les élèves menée par Jaubert (2000 ; 2007b) et Rebière (2000) à partir des travaux de Bronckart (mais aussi de Ducrot) permet notamment de mettre en évidence leur positionnement énonciatif et ses évolutions. Selon Jaubert et Rebière (2001),

« L’activité langagière ne se contente pas de refléter un savoir construit indépendamment d’elle mais elle est action et participe à cette construction ». Elle conduit à un « ajustement progressif de la position énonciative. [...] Les reformulations sont donc le lieu de déplacement de la position du sujet, de l’élaboration de nouveaux points de vue qui intègrent des contraintes nouvelles, de l’enrichissement et de la modification des savoirs en jeu […] ». (pp. 84,108)

Nous observons donc les opérations de schématisation et plus particulièrement les reformulations opérées par les élèves, ainsi que les opérations de reprise-modification et dénivellations qui attestent, comme le montre François (1993), que les locuteurs opèrent des

69 déplacements discursifs qui ne sont jamais neutres et qui font sens en disant quelque chose de la construction identitaire et cognitive des sujets via les repositionnements énonciatifs. Ces déplacements discursifs sont aussi pour Chabanne et Bucheton (2002), la marque d’une réflexivité de l’activité langagière, dont ils ont montré qu’elle permettait au locuteur de « se construire. Nous retiendrons cette définition de la réflexivité résumée par Rabatel (2004) qui complète ainsi leurs apports :

« la distance à l’expérience, comme construction de l’espace intersubjectif, comme travail avec/contre les discours disponibles, comme intensification de la dynamique cognitive dans les interactions, comme construction identitaire, comme construction du sens de la tâche et du rapport à l’école, sans oublier la dimension méta langagière, avec au premier rang les questions de reformulation. » (p. 6)

Nous soulignons trois aspects de la réflexivité signalés par Chabanne et Bucheton (Ibid., pp. 10-13) qui nous paraissent les plus importants au regard de notre propre travail et que nous nous permettons de compléter :

✓ La reformulation est le « mécanisme central de la réflexivité », car elle permet de s’essayer à dire et de modifier ce que l’on dit ou ce que les autres disent au fur et à mesure de formulations successives qui permettent de préciser la pensée et d’améliorer la conception de ce qui est exprimé. Ainsi « « Réfléchir » la parole des autres, c’est donc d’abord la reformuler. La réflexivité se développe par la capacité à reprendre-transformer (François1993) des formes discursives dans un chantier continu » (Ibid.,p. 10). Nous complétons en précisant que les reformulations visent l’acceptabilité des énoncés par autrui au sein d’un espace intersubjectif qui se construit, d’une communauté discursive donnée.

✓ La réflexivité participe à la construction de l’identité du sujet, car elle lui permet d’exprimer un « point de vue singulier » et de se positionner personnellement dans l’échange. Il nous semble nécessaire de compléter que « le point de vue singulier » répond à des normes sociales et que l’échange s’effectue au sein d’une communauté discursive, le plus souvent disciplinaire à l’école, ce qui contribue à la construction par l’élève d’une identité disciplinaire. Cette identité se construit dans le « travail avec/contre les discours disponibles » (cf. la citation de Rabatel ci-dessus) au sein de la CDDS.

70 ✓ La réflexivité construit progressivement « le sens de la tâche et le rapport à l’école », elle participe à la construction d’une « identité scolaire », pour l’élève et une « identité professionnelle » pour l’enseignant. Il nous semble nécessaire de compléter cette définition par la construction progressive par l’élève d’une part du rapport à la discipline et au savoir disciplinaire, d’autre part d’une identité disciplinaire.

Nous privilégions par conséquent l’observation des phénomènes de reprise, de reprise-modification et de reformulation et les stratégies énonciatives mises en œuvre pour interpréter ce qu’ils signalent comme transformations. Par ailleurs, comme le suggère Ducrot (1989), afin d’analyser finement l’activité discursive des élèves, toujours dans une perspective dialogique (avec la mise en interaction de contextes) et en complément des apports de Bronckart, nous sommes amenée à examiner la « signification » du discours en lien avec la construction des phrases utilisées, incluant les éléments linguistiques qui constituent leur ossature interne16 tels que les éléments grammaticaux (articles, temps, prépositions, conjonctions, etc...), les marqueurs des modalités (affirmations, questions, ordre, etc...), ou les adverbes attestant des attitudes du sujet parlant par rapport à ce qu’il dit (concession, certitude, doute, … tels que le signalent même, aussi, presque, un peu, à peine, etc...) ou les locutions présentatives, adverbiales, les conjonctions qui organisent le dialogue des voix et la prise en charge énonciative (c’est … qui, en revanche, mais…) et les connecteurs, destinés à exprimer une relation logique.

Nous incluons aussi dans notre analyse les pauses et les hésitations qui peuvent, dans certaines conditions, être des marques d’un travail de reformulation. Ainsi, les pauses peuvent être à l’origine de l’organisation de la suite d’un propos.

« […] les locuteurs ont à résoudre, sur le champ, dans le temps de la production, quantité d’hésitations et répétitions : autant de gêne pour qui s’intéresse à la production de langage automatique, mais autant d’indices précieux pour qui s’intéresse à la production de langage. » (Blanche-Benveniste, 2005)

Notons que l’utilisation d’un corpus filmé permet aussi d’associer le langage aux phénomènes para-verbaux (gestes, mimiques…) en prenant en compte les éventuelles manifestations gestuelles corporelles au cours des activités, lesquelles peuvent avoir leur importance dans la

16 Nous observons les changements de contexte à partir de marqueurs langagiers de prise en charge énonciative, dans une perspective énonciative et interactionniste.

71 mesure où elles participent à la focalisation de l’attention de l’auditeur en facilitant sa compréhension.

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