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disciplinaire scolaire

4. Cadre épistémologique de l’enseignement des sciences

4.3. L’explication et l’argumentation dans le discours des élèves

L’activité argumentative en sciences nous intéresse en premier lieu en tant qu’outil62 de déplacements énonciatifs par la reprise, la contestation, le développement et la réorganisation des énoncés des pairs, favorisant les négociations au cours desquelles se construisent des positions énonciatives spécifiques aux sciences. Mais elle nous intéresse aussi en tant qu’outil de déplacements cognitifs, car elle permet la négociation des contenus, la mise en accord de la communauté sur les savoirs en jeu et l’assertion provisoire des savoirs

130 raisonnés à travers des énoncés momentanément stabilisés (Fillon et al., 2004). Ces énoncés, issus d’un cheminement explicatif par lequel les intervenants manifestent leur compréhension du sujet discuté pour trouver des réponses possibles au problème qui leur est soumis, ne peuvent donc pas se limiter à la connaissance de la réponse à la question posée.

« L’explication « doit permettre de mieux comprendre ce qui est à expliquer. De plus, cette façon de formuler le problème auquel répond le concept d’explication nous permet de le rapprocher des concepts de nécessité et de contingence, concepts décisifs dans le cadre de la problématisation. » (Lhoste, 2008, p. 24)

Ainsi l’activité explicative et argumentative, associée au processus de problématisation, est indispensable à la construction des savoirs scientifiques, et l’explication, dans le domaine scientifique, « ne doit pas être comprise comme un passage d’informations de celui qui sait à celui qui ne sait pas, mais comme un processus qui va du non-savoir au savoir, ou d’un savoir à un autre » (Bisault, et al., 2004, p. 18). Les fonctions essentielles de l’argumentation dans l’enseignement des sciences peuvent se résumer de la façon suivante :

➢ Elle permet le pointage par les enseignants des obstacles épistémologiques qui devront être travaillés.

En effet, c’est en s’efforçant d’expliquer précisément leurs propos que les élèves mettent à jour leurs conceptions, ce qui les rend perceptibles par l’enseignant. Par ailleurs une attention particulière portée au langage qu’ils utilisent dans leur activité d’argumentation peut aussi révéler une difficulté à sortir de leur expérience quotidienne, une tendance à généraliser trop rapidement à partir d’un seul exemple ou à affirmer des propos sans les justifier en utilisant l’argument d’autorité, qui « quand il porte sur des modèles explicatifs, ne permet pas de construire le problème : il n’est pas utilisé pour démontrer quelque chose mais pour clore tout débat » (Fillon et al., 2004).

➢ Elle permet de construire le problème en articulant des éléments du registre des modèles avec le registre empirique63 et en explorant le champ des possibles.

63 D’après Martinand J.-L. (1992) cité par les auteurs : le registre empirique renvoie à des faits observés, des résultats d’expérience, des phénomènes identifiés, et le registre des modèles correspond à des constructions intellectuelles visant à rendre raison, à expliquer.

131 Ainsi l’argumentation amène les élèves à avoir un regard critique sur les raisons évoquées par les uns et par les autres lors des explications formulées au regard des données empiriques qui sont acceptées a priori par la CDSS, pour construire des modèles momentanément acceptables par cette communauté. Ainsi les deux registres « s’organisent en un réseau de contraintes et de nécessités » (Ibid.). « Il ne s’agit donc pas de faire passer les élèves d’une conception 1 à une conception 2, mais d’une conception qui est de l’ordre de l’opinion à un savoir scientifique, c’est-à-dire un savoir raisonné ; autrement dit encore, organisé par des nécessités64» (Orange, 2017, p. 41).

➢ Elle permet de négocier les significations

L’enchainement de formulations de plus en plus précises pour expliquer et convaincre ses pairs en prenant en compte le discours des autres et en intégrant les contraintes des possibles amène les élèves à mieux cerner l’objet du discours et à adopter un discours commun, co-construit :

« Ces reprises-modifications qui accompagnent les déplacements cognitifs montrent l’effet dynamisant de la situation d’argumentation qui permet aux élèves de co-construire par ajout successifs un nouvel objet qui correspond à une modélisation scientifique. » (Fillon et al., p. 224)

« Par ailleurs, le recours aux négociations collectives conduit les élèves à produire collectivement des significations qu’ils n’auraient pu produire seuls, ce qui caractérise toute communauté discursive. » (Jaubert & Rebière, 2002, p. 175)

➢ Elle permet aux élèves de développer une posture pertinente pour « faire des sciences à l’école »

Au fur et à mesure de leurs essais d’argumentations, les élèves s’inscrivent progressivement dans un champ de plus en plus scientifique en utilisant un lexique plus spécifique et en justifiant de plus en plus « spontanément » leur point de vue abandonnant peu à peu les arguments d’autorité. Ils prennent de plus en plus spontanément en compte les propos des autres en acceptant de mettre en doute leurs propres énoncés, ils prennent progressivement conscience de la divergence des points de vue et essayent de construire un « espace commun de négociation » en recourant plus facilement à la modalisation ou à des formulations

64 « Nous considérons comme contrainte un déjà-là convoqué dans un raisonnement actuel, alors qu’une nécessité serait un construit nouveau, sur la base d’un raisonnement. » (Lhoste, Peterfalvi, & Orange, 2007)

132 capables de réduire les divergences dont ils sont conscients, ils utilisent des comparaisons, et essayent de hiérarchiser les différents points de vue. (Jaubert & Rebière, 2001)

Cela nous conduit à souligner la place essentielle du rôle de l’enseignant en tant que « tiers » responsable de la dynamique indispensable pour faire avancer la problématisation au sein de la classe. En effet, c’est lui qui sollicite la controverse et permet à chacun de présenter ses arguments, souligne ou reformule les interventions qu’il juge importantes au regard du savoir en jeu, écarte celles qui s’en éloignent, et fédère les élèves pour maintenir une communauté de discussion centrée sur l’objet d’étude. (Orange, Lhoste, & Orange-Ravachol, 2008, pp. 102-104)

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