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enjeux soulevés par le fret

3.2.1 Une activité en déclin, un avenir incertain

Depuis le milieu des années 1990, le fret ferroviaire français se trouve dans une

situation pour le moins paradoxale : malgré une attention politique récurrente19

nourrie par un discours sur le développement durable (Lemettre, 2013), le volume de marchandises transportées par le rail s’est effondré. Un faisceau de raisons a été avancé pour tenter d’expliquer cette tendance baissière qui, entre la fin des années 1970 et le début des années 2000, s’observait à l’échelle européenne : l’absence de concurrence intramodale, le dynamisme du transport routier (c’est-à-dire l’existence d’une forte concurrence intermodale), le cloisonnement des réseaux ferrés nationaux lié à un manque d’interopérabilité, l’inadéquation du mode ferroviaire avec les nouvelles attentes économiques et logistiques des chargeurs (réactivité et fiabilité). D’autres points ont, par ailleurs, été mis en exergue au sujet du déclin français : le mauvais état d’une partie du réseau, un comportement rigide et peu compétitif de l’opérateur historique et une dispersion géographique de l’industrie sur le territoire, peu propice à un mode qui trouve toute sa pertinence économique sur les flux massifiés (Dablanc et al., 2009). Car, contrairement à d’autres pays, comme l’Allemagne, la crise structurelle du fret ferroviaire

18. Des écarts entre prescriptions et pratiques existent. Dans le chapitre 8, nous donnons des exemples de ces écarts entre la France et l’Allemagne.

19. On peut notamment la mesurer au grand nombre de rapports parlementaires et d’études émanant d’instances de l’État sur le sujet : Haenel et Gerbaud (2003), Paternotte (2009), Grignon (2010), Gennevois et Gille (2010, CGEDD) et Harache (2013, CGDD).

a persisté au-delà du début des années 2000 en France et s’est même accentuée avec la crise économique de 2008. En 2010, le marché ne représentait plus que 30 milliards de tonnes-km (tous opérateurs confondus) quand il était encore de 55 milliards de tonnes-km en 2000.

Dans ce contexte morose, le gestionnaire d’infrastructure peine à élaborer des prévisions de trafics fret à la fois réalistes et fiables sur le long terme (c’est-à-dire à un horizon de plusieurs années). Or, à de telles échéances, elles sont pourtant indispensables car il est exclu de pouvoir s’appuyer sur les expressions de besoins des seuls clients présents aujourd’hui, sans compter que bien souvent ces clients sont incapables et/ou ne souhaitent pas se prononcer sur un horizon si éloigné. Quelles sont les difficultés rencontrées par le gestionnaire d’infrastructure ? Quelles répercussions ont-elles sur les premières étapes du processus horaire (figure 3.6) ?

Planification horaire stratégique

Sillons de dernière minute

A-5 à A-3 A-2 A-1

Année-10 à Année-6 A à Jour-8 J-7 à J

Production de l'horaire de service Vente de sillons

Publication

de l'HDS Ouverture du service annuel A

Construction de l'HDS Commandes des EF et des candidats autorisés Adaptation de l'HDS

Avril A-1 Sept. A-1 Mi-déc. A-1 Mars A-2 Circulation Structuration de l'HDS Préconstruction de l'HDS Mi-Déc. A-2 Publication des sillons-catalogue fret

Figure 3.6 – Défi no1 : l’incertitude – Réalisation : Morvant (2013) d’après documentation

RFF

Pour commencer, il faut rappeler que la gestion de l’incertitude est inhérente à toute démarche d’anticipation. Elle s’accroît à mesure que l’on cherche à se projeter loin dans l’avenir. Elle est associée à un certain nombre de risques qu’il s’agit de maîtriser et en particulier, celui de la sur- ou de la sous-estimation des effets de certaines variables qui pourraient conduire à des études et investissements non pertinents car inutiles ou engagés trop tardivement. L’incertitude entourant l’évolution du marché du fret ferro- viaire français est particulièrement exacerbée et constitue, à ce titre, un défi à part entière. En premier lieu, le gestionnaire d’infrastructure est confronté à un déficit de connais- sance de l’existant. Or, pour pouvoir se projeter, il faut d’abord bien connaître la situation présente. Le manque de données quantitatives fines et récentes s’est révélée problématique

à chaque fois que RFF a cherché à développer un modèle de prévision de la demande fret20.

Cette difficulté a été également pointée par les auteurs d’un rapport sur l’Évolution du fret terrestre à l’horizon de 10 ans (Gennevois et Gille, 2010) : « Autant la récolte de données a été facile sur le transport fluvial, grâce à une confiante collaboration [...], autant cela fut difficile pour le transport ferroviaire, en raison du secret statistique, des réticences fondées sur la concurrence [...] entre opérateurs ferroviaires, et du peu d’enthousiasme de nos interlocuteurs à partager leur informations. » (Gille, 2011, p.19). Mais au-delà de lacunes statistiques, il faut avoir à l’esprit que toute l’information pertinente est difficile

20. En 2004, pour le projet « Scénario Fret » puis en 2011, pour le développement du « Modèle National Fret ».

à collecter car elle est détenue par plusieurs catégories d’acteurs. Le gestionnaire d’infra- structure n’a donc qu’une vision partielle de la situation.

Une deuxième difficulté à laquelle se heurte le gestionnaire d’infrastructure quand il souhaite évaluer le niveau de trafic fret qu’il aura à supporter sur son réseau à l’horizon de trois, cinq, dix ou vingt ans est que le volume et la nature des biens qui seront produits au niveau national et international et leurs conséquences en matière de transport (partage modal) sont délicats à évaluer. Une telle évaluation met en effet en jeu des facteurs à la fois économiques, sociaux, territoriaux et politiques qui sont difficiles à intégrer dans un modèle.

Enfin et surtout, les injonctions politiques à utiliser des modes de transport plus « verts » sont restées jusqu’à présent sans effets visibles, rendant toute extrapolation périlleuse. Un modèle de prévision de la demande repose en principe sur l’extrapolation de tendances passées. Or, pour le fret ferroviaire, l’objectif politique affiché est non pas de voir se prolonger cette tendance baissière mais d’envisager des scénarios de rupture. Les scénarios d’évolution du marché du fret ferroviaire français oscillent ainsi, en fonction des hypothèses retenues, entre deux extrêmes qui ouvrent un large champ des possibles : un scénario de disparition complète du fret ferroviaire, pour les plus pessimistes, et un scénario de forte croissance portée par un prix du pétrole en hausse, une congestion routière croissante et de fortes attentes sociales, pour les plus optimistes. Dans un spectre aussi large, à quel scénario se fier pour alimenter les premières études horaires ? Au-delà d’un volume prévisionnel de trains, ce dont les chargés d’études et horairistes ont besoin, ce sont d’informations fines relatives à la répartition spatio-temporelle (où et quand faut-il garder de la capacité au fret ?) et à la nature des trafics (quels types de sillons faut-il prévoir ?). Géographiquement, le trafic fret a eu tendance au fil des années à se concentrer sur un nombre limité de grands axes en raison notamment de la réorganisation du lotissement opérée par Fret SNCF et du manque d’axes alternatifs. Comme le montre la carte de la figure 3.7, le trafic fret se concentrait en 2012 sur la moitié est du réseau, là où le trafic voyageur peut être très important à certaines périodes de la journée. Si cette tendance se poursuit, cela signifie que, dans les prochaines années, une pression croissante va s’exercer sur la capacité disponible à certains endroits du réseau et à certains moments de la journée. Si le fret n’est pas pris en compte dès les premières étapes du processus, le risque est donc qu’il n’y ait plus de capacité disponible ou seulement une capacité résiduelle, peu propice au développement de services de qualité, en particulier sur de longs parcours. On considère en effet que ce type de service est systématiquement amené à traverser un ou plusieurs grands nœuds du réseau en période de pointe voyageur. Cette pointe se traduit par des « trains de renfort » qui contraignent fortement la grille horaire.

Pour avoir des trains de fret de longue distance performants, il est donc indispensable de garantir de la capacité pour leur permettre de circuler à tout moment de la journée dans un souci de fluidité. Mais comment intégrer du fret dans des travaux horaires dont le format (2h), la focale (heure de pointe) et le périmètre (surtout régional) se prêtent mal à la représentation de trafics de long parcours ? En prévoyant de manière systématique un ou plusieurs sillons fret (en fonction du trafic existant) intercalés entre les sillons voyageurs

dans toutes les trames 2h ? Cette idée a été expérimentée par l’équipe de Structuration lors de la préparation du service annuel 2012, sans succès. Pourquoi ?

— Tout d’abord, parce que même en possession de prévisions, il est difficile de tra- duire un volume journalier de trains en un volume horaire de sillons à conserver spécifiquement dans la tranche la plus chargée de la journée. Cela est d’autant plus problématique qu’il ne reste aujourd’hui que très peu d’axes où le volume de trafic justifie une prise en compte évidente dans les trames régionales concernées. — En outre, la densité des expressions de besoins pour les trafics voyageurs peut

constituer un obstacle. Pour le service annuel 2012, celles-ci avaient conduit à tracer ces quelques sillons fret avec une performance très dégradée. Cela avait eu pour effet, une fois les trames dupliquées sur vingt-quatre heures, de donner des temps de parcours inacceptables pour les clients. En effet, le tracé de ces sillons prévoyait des garages pour dépassement qui n’avaient plus de sens alors que certains sillons voyageurs n’étaient pas activés en heure creuse.

Figure 3.7 – Géographie des circulations de trains de fret sur le réseau français en 2012

(nombre de trains par jour) – Source : RFF

Cet échec a conduit à ce que le fret soit aujourd’hui quasiment absent de toutes les

études horaires amont21. Le décalage croissant entre discours et réalité a ainsi contribué

21. Les seules exceptions notables sont les études pilotées par l’équipe de l’Horaire stratégique pour le compte des régions Alsace (2010-2013), Lorraine (2012-2013) et Rhône-Alpes (2012-2015) qui ont conduit

à alimenter une forme d’attentisme, repoussant la prise en compte du fret plus tard dans la chaîne capacitaire.

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