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enjeux soulevés par le fret

3.2.3 Un marché volatile ?

Au cours des entretiens que nous avons réalisés au sein de la chaîne capacitaire et avec les clients du gestionnaire d’infrastructure, le mot « volatilité » a été employé de manière unanime pour qualifier le marché du fret mais aussi pour désigner différentes réalités. Nous tentons ici d’en préciser les contours.

Par référence au marché boursier, le terme de volatilité peut être rapproché de l’idée d’instabilité voire de versatilité, ce deuxième terme suggérant que des changements radicaux peuvent intervenir de façon soudaine et tardive par rapport à l’échéance de circulation. En cela, elle diffère de la simple idée de variabilité qui renvoie plus classiquement aux fluctuations saisonnières qui affectent certains trafics (céréales) ou à une irrégularité cyclique des volumes transportés (par exemple, pour les granulats ou les

fruits et légumes). Ces variations ont un caractère prévisible. D’une façon générale, les horairistes voient dans la multiplication de demandes de création, de modification ou de suppression une forme d’indécision des clients qui amène à « remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier ». Cela peut brouiller l’expression de besoin du client. Les entreprises ferroviaires, quant à elles, utilisent le terme pour rendre compte du raccourcissement de la durée des contrats qui les lient à leurs propres clients, les plaçant dans une situation de précarité. Enfin, les limites en matière de connaissance statistique de l’existant, évoquées plus haut, pourraient également expliquer cet usage répandu du terme de volatilité. La gestion de la volatilité suggère en tout cas une nécessaire agilité dans la manière de produire les sillons. Le gestionnaire d’infrastructure se doit d’être réactif et flexible. L’afflux de demandes en phase d’adaptation et de dernière minute (figure 3.9) est souvent présenté comme le symbole d’une volatilité généralisée du marché du fret. Quels sont les ressorts de cette dynamique présentée comme irrésistible qui pousse les clients fret à multiplier les demandes très tard durant le service annuel ?

Planification horaire stratégique

Sillons de dernière

minute

A-5 à A-3 A-2 A-1

Année-10 à Année-6 A à Jour-8 J-7 à J

Production de l'horaire de service Vente de sillons Publication de l'HDS Ouverture du service annuel A Construction de l'HDS Commandes des EF et des candidats autorisés Adaptation de l'HDS

Avril A-1 Sept. A-1 Mi-déc. A-1 Mars A-2 Circulation Structuration de l'HDS Préconstruction de l'HDS Mi-Déc. A-2 Publication des sillons-catalogue fret

Figure 3.9 – Défi no3 : la volatilité – Réalisation : Morvant (2013) d’après documentation

RFF

Les sillons de dernière minute représentent l’outil de flexibilité par excellence dans un processus horaire assez rigide en raison de sa durée et de sa séquentialité. Ils sont indispensables pour traiter certains types de demandes qui n’auraient pu être traités plus tôt en raison de l’émergence tardive d’un besoin de transport : par exemple, un besoin accru de bouteilles d’eau pour approvisionner les grandes surfaces en période de canicule. Toutefois, le grand nombre de demandes de dernière minute, près de 700 000 en 2013 (dont près de 85 % émanant de clients fret), révèle également des dysfonctionnements du processus dans son ensemble. Il témoigne d’un déficit de confiance de la part des clients dû à une instabilité des emprises réservées aux travaux. Les difficultés de RFF à maîtriser le processus de planification des travaux avec SNCF Infra a conduit à une forme d’incertitude généralisée où les clients doivent attendre pour obtenir une réponse (cas des sillons précaires expliqué précédemment) ou ne sont pas certains que les sillons qu’ils ont obtenus ne seront pas remis en question.

La planification des travaux repose depuis le service annuel 2012 sur un système de fenêtres qui a été généralisé en 2014. En décembre A-2, un Programme Général des Fenêtres (PGF) est arrêté et publié. Il fait ensuite l’objet d’ajustements au fil de l’eau à partir de février A-1 puis tout au long du service concerné. C’est ce processus d’actualisation que le gestionnaire d’infrastructure nomme gestion des écarts [par rapport au PGF]. Il concerne des demandes d’écarts émanant de SNCF Infra (demandes de

modification de sillons pour ajustement des travaux) comme des bureaux horaires (demandes de modification de travaux pour ajustement de sillons). Comme le processus d’élaboration des horaires, l’organisation des chantiers se précise au cours du temps. Un deuxième temps fort correspond au dépôt des planches-travaux. Le principe est qu’une semaine avant la circulation des trains, toutes les fenêtres disparaissent du graphique. Les chantiers, qui avaient été planifiés à l’intérieur, sont désormais bornés temporellement et géographiquement avec précision. À l’image des poupées russes, des espaces auparavant indisponibles pour le tracé des sillons deviennent mobilisables. De même, les fenêtres

non utilisées créent des brèches exploitables pour des circulations commerciales22 (figure

3.10). Selon les horairistes que nous avons interrogés sur ce point, le graphique en est singulièrement éclairci. Ainsi, il existe une sorte de paradoxe du sillon de dernière minute : alors que théoriquement, le graphique devrait se densifier à mesure qu’on se rapproche du jour de circulation, il existe des échéances de libération de capacités significatives : à

J-7 et dans une moindre mesure, à M-223. Attendre pour faire une demande peut donc se

révéler une opportunité à moindre risque (et à moindre frais, en termes de prix du sillon) pour obtenir (enfin) un sillon ou améliorer un sillon obtenu dans une phase précédente. Certaines demandes de dernière minute sont donc des demandes tardives par défaut, relativisant l’idée d’une volatilité généralisée et inhérente au marché du fret dans son ensemble.

Cet afflux tardif de demandes est particulièrement difficile à gérer pour le gestionnaire

d’infrastructure, dans la mesure où jusqu’à 2013, une partie24 de ces demandes de

dernière minute (celles déposées à partir de la veille du départ, 17h) étaient directe- ment transmises par fax aux centres opérationnels. Depuis avril 2013, le suivi s’est amélioré car l’ensemble des demandes de dernière minute transite par un canal unique : DSDM. On soulignera au passage que près de la moitié des demandes de dernière minute correspondent à des demandes de suppression. Sous le vocable « demandes de dernière minute » se cachent également toutes les demandes déposées pendant la phase d’adaptation que les horairistes n’ont pas eu le temps de traiter et qui sont donc « reversées » pour traitement aux horairistes et régulateurs intervenant en phase pré-opérationnelle voire opérationnelle. Enfin, à côté des demandes de dernière minute,

22. À l’heure actuelle, RFF ne dispose pas encore d’indicateur fiabilisé sur l’utilisation effective des fenêtres. Dans une décision récente, l’ARAF (2014g, p.4) fait état d’une estimation transmise par RFF sur quelques axes : 80 à 90 % des fenêtres seraient utilisées (premiers résultats du projet CAPTEUR). Il existe pourtant une forte demande de la part de certaines régions – en tant qu’Autorités Organisatrices de Transport (AOT) – pour obtenir un état des lieux détaillé de l’utilisation des fenêtres qui, étant donné leur nombre, gênent leurs TER.

23. Selon le DRR, cette échéance correspond au jalon au-delà duquel les clients sont censés payer la redevance de réservation pour les sillons commandés. Si finalement, le sillon est supprimé par le client après cette date, la RR fait l’objet d’une retenue par le gestionnaire d’infrastructure. Cette échéance devrait donc donner lieu à des demandes de suppression et à une libération de capacités. Toutefois, l’ARAF a mis en exergue le fait que cette forme d’incitation n’était pas mise en pratique par RFF, ce qui limitait le phénomène de libération anticipée attendu (ARAF, 2014b – ARAF, 2014e). Que le sillon soit supprimé à M-3 ou à J-1, la RR n’est pas facturée au client. Cette lacune devrait être comblée dès 2015 par un système d’incitations financières réciproques afin de limiter les phénomènes de surréservation et de libération tardive de capacités pouvant faire obstruction à des concurrents.

24. En 2013, le volume de demandes reçues en phase opérationnelle représentait 24 % du volume total de demandes de dernière minute.

les horairistes et régulateurs rencontrés ont évoqué le grand nombre de « demandes de non-conformité » qu’ils doivent traiter (par exemple, un changement de matériel roulant ou une modification du tonnage conduisant à revoir la vitesse planifiée du convoi).

LEGENDE

Sillon fret

Sillon fret de dernière minute Planche-travaux

Espace

Temps

A J-7, la fenêtre-travaux disparaît et permet de planifier des sillons dans le sens descendant.

Espace

Temps

Une fenêtre-travaux empêche la planification de sillons dans le sens descendant pendant une partie de la nuit...

Figure 3.10 – La disparition d’une fenêtre-travaux et ses conséquences – Réalisation :

Morvant (2015)

Ainsi, la manière dont fonctionne le processus de planification des travaux est en partie responsable du besoin tardif de sillons fret. Les travaux constituent des catalyseurs d’instabilité tout au long de la chaîne de production horaire, créant de fortes vibrations dans le graphique. En 2013, en moyenne, 4 600 sillons-jours par mois ont été modifiés ou

supprimés pour cause d’ajustements tardifs de travaux25. Cette situation pose la question

25. soit moins de 1 % du total de sillons-jours demandés au service. Malgré la faiblesse de cette pro- portion, les conséquences économiques de ces changements tardifs peuvent être très importantes pour les clients (au sens large) comme pour SNCF Infra.

du rôle éventuel d’incitations financières réciproques pour limiter ces effets d’opportunité qui contribuent à désorganiser le processus en décrédibilisant les efforts de planification amont des sillons fret et en poussant le processus à fonctionner selon un mode de « crise permanente ». Pour le fret, l’ARAF réfléchit cependant à une prise en compte différenciée des trafics afin de ne pas pénaliser les entreprises ferroviaires opérant des trafics pour lesquels les chargeurs confirment tardivement leurs besoins de transport (ARAF, 2014h).

Conclusion

Dans ce chapitre, les spécificités du fret ont été présentées. L’idée d’un positionnement du fret comme variable d’ajustement a été discutée au travers de l’analyse des demandes faites au service et de la description du traitement qui leur est réservé. Si le fret appa- raît effectivement dans une posture d’activité secondaire, l’ouverture à la concurrence a néanmoins contribué à formaliser les règles de traitement et pratiques du gestionnaire d’infrastructure. La temporalité particulière du fret par rapport au trafic de voyageurs a été mise en évidence. Alors que le trafic de voyageurs suscite des études horaires très tôt, le fret a plutôt tendance à mobiliser l’énergie du gestionnaire d’infrastructure sur de courtes échéances avant la circulation des trains. En relisant le fonctionnement du processus de manière transversale, ce sont trois grands défis liés à la prise en compte du fret que nous avons identifiés : l’incertitude, l’hétérogénéité et la volatilité. Ils interrogent tous à leur façon la faculté du gestionnaire d’infrastructure à répondre de manière satisfaisante aux besoins de ses clients tout en produisant l’horaire de service de manière efficace. Celui-ci doit être réactif mais également savoir anticiper afin de garantir de la capacité au fret et ainsi, lui éviter une place par défaut. La maîtrise de l’articulation entre planification des usages commerciaux et de maintenance du réseau apparaît fondamentale mais encore incomplète.

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