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Le « marché des sillons » : quand la demande et l’offre se conjuguent au

2.2.4 La demande de sillons, une demande dérivée

Dans la littérature économique, le « marché des sillons » est souvent positionné au

sein du secteur ferroviaire comme un marché amont par opposition à un marché aval21

20. Précisons néanmoins que la logique de service public en ce qui concerne le fret au sein de la SNCF a, dès les années 1960, commencé à être remise en question (Lemettre, 2013, p.89-91).

21. Klabes (2010) utilise dans sa thèse les termes de marchés primaire et secondaire pour désigner ces deux niveaux de relations où il y a échange de services ferroviaires (marché primaire) et de capacités (marché secondaire). S’il a le mérite de montrer un lien entre les deux niveaux, nous n’utiliserons pas ce vocabulaire car il peut être source de confusions. En effet, certains économistes utilisent le terme « secondaire » dans un autre sens en interrogeant l’opportunité d’un « marché secondaire des capacités » pour désigner, au sens boursier du terme, un échange de capacités entre demandeurs sans l’intermédiaire de l’offreur initial (voir par exemple, Crozet et Lawson (2000) à propos du secteur aérien). Dans le secteur ferroviaire, ce type de marché renvoie au « marché de la revente de sillons » évoqué, par exemple, par Caillaud (2003). On rappelle que la législation européenne actuelle interdit ce type de pratique.

(Tirole, 2013). Ce vocable permet de qualifier le lien d’interdépendance entre deux types d’échanges distincts :

— la production de sillons contre le paiement d’une redevance, entre le gestionnaire d’infrastructure et ses clients (classiquement, les entreprises ferroviaires),

— la réalisation de services ferroviaires par les entreprises ferroviaires, prestations facturées à leurs propres clients (classiquement, le voyageur ou le chargeur). Ainsi, la demande de sillons peut être appréhendée comme une demande dérivée de la

demande de transport ferroviaire22.

Or, si ce schéma à deux étages fonctionne bien pour décrire les activités où l’entre- prise ferroviaire est à la fois demandeuse de capacités et prestataire de transport (par exemple pour un TGV ou un train entier commandé par un industriel), il apparaît claire- ment insuffisant pour rendre compte de l’ensemble des situations pour l’activité du fret. Pourquoi ?

— du fait de l’élargissement du statut de demandeur de capacités à d’autres enti- tés que les entreprises ferroviaires, un deuxième « marché amont » se profile avec force derrière celui des sillons : celui de la traction c’est-à-dire de la fourniture

de locomotive(s)23 et de personnel (de conduite et au sol) pour réaliser le service

ferroviaire ;

— parce que contrairement aux services de voyageurs où le client est bien identifié, pour le fret, les intermédiaires peuvent être multiples (transporteurs routiers, commissionnaires de transport, transitaires. . .) entre celui qui offre le service et le client final.

Si on prend un exemple simplifié de service ferroviaire sur le seul réseau ferré national pour lequel les clients finaux (chargeurs) font directement appel au vendeur de ce service, il existe deux grands cas de figure :

1. Si le sillon est fourni à une entité qui détient à la fois le(s) engins(s) moteur(s) et le personnel, alors cette entité peut réaliser le service ferroviaire sans recours extérieur. C’est le cas de l’entreprise ferroviaire. Pour le secteur du fret, le client final peut choisir par appel d’offres son prestataire. Cette première configuration s’applique bien pour les segments du train entier et du lotissement.

2. Si le sillon est fourni à une entité qui ne détient pas ces deux composantes alors une nouvelle transaction se crée. Elle se concrétise par une contractualisation entre le détenteur du sillon (candidat autorisé) qui met à disposition le sillon obtenu et le détenteur des moyens de traction (entreprise ferroviaire). Pour le secteur du fret, le candidat autorisé peut solliciter plusieurs transporteurs en procédant par appel d’offres. La ou les entreprises ferroviaires choisie(s) joue(nt) alors le rôle de trac- tionnaire. Au final, le service ferroviaire est commercialisé par le candidat autorisé.

22. Dans les faits, le client final n’exige pas nécessairement que sa marchandise soit transportée par train. En cela, la demande de transport, dont l’une des modalités est ferroviaire, est elle-même une demande dérivée d’une demande économique qui est de déplacer une marchandise entre deux points de l’espace.

23. Ce marché se distingue de celui de l’achat et de celui de la location de matériel moteur que nous n’évoquerons pas ici.

Pour le cas du transport combiné, les capacités de transport proposées par les diffé- rents opérateurs sont ainsi mises en concurrence, le client final pouvant se tourner vers les uns ou les autres. Cette deuxième configuration s’applique également mais

dans une moindre mesure, à l’heure actuelle, à l’autoroute ferroviaire24.

La figure 2.1 schématise ces deux configurations en montrant les relations contractuelles qui existent entre les acteurs et leurs interdépendances. Elle montre par ailleurs qu’un service ferroviaire découle de la mise en commun d’un sillon et de moyens de traction (ressources humaines et matérielles) adaptés. Chaque flèche de couleur représente un étage du dispositif et un marché spécifique : sillon, traction et prestation de transport. En résumé, bien que liés, les marchés amont – sillon (en rouge) et moyens de traction (en vert) – et aval – service ferroviaire (en bleu) – se distinguent par :

— leur structure : monopolistique (c’est-à-dire avec un seul vendeur et plusieurs ache- teurs) pour le marché des sillons et concurrentiel (c’est-à-dire avec plusieurs ven- deurs et acheteurs) pour les marchés de la traction et des services ferroviaires ; — leur système de prix : administrés pour le marché des sillons (voir section 2.4) et

négociés entre vendeurs et acheteurs pour les marchés de la traction et des services ferroviaires. Cas n°1 : Trains entiers et lotissement Cas n°2 : Transport combiné et autoroute ferroviaire MARCHES AMONT MARCHE AVAL Gestionnaire d'infrastructure Gestionnaire d'infrastructure sillon traction service ferroviaire Candidat autorisé Client(s) Entreprise ferroviaire Client(s) Entreprise ferroviaire Prix négociés Prix négociés Prix administrés

Figure 2.1 – Du sillon à la prestation de transport de marchandises –Réalisation : Morvant

(2013)

24. Il n’existe que deux autoroutes ferroviaires sur le réseau français (Bettembourg – Le Boulou et Aiton – Orbassano à la frontière franco-italienne) qui sont opérées par deux filiales de Fret SNCF : Lorry rail et AFA (en commun avec Trenitalia). Il n’y a donc mise en concurrence ni des moyens de traction, ni des services ferroviaires offerts.

Pour conclure cette section consacrée aux contours de la demande de sillons, on peut insister sur la structure singulière des échanges qui existe entre offreur et demandeurs. Cette transaction s’inscrit en effet dans une série d’autres transactions connexes portant sur le personnel, les locomotives mais également les wagons (si le chargeur n’en dispose pas), les conteneurs, les caisses mobiles ou encore la manutention (cas du transport inter- modal). En outre, si l’usage du terme marché apparaissait a priori moins problématique pour désigner la forme d’organisation des échanges de services ferroviaires de marchan- dises, désormais libéralisés, que celle des échanges de sillons, nous avons vu que l’aval peut être difficile à appréhender dans le secteur du fret. Ainsi, quand nous évoquons le marché du fret dans ce manuscrit, nous faisons référence à la forme d’organisation des échanges de services ferroviaires qui unit les demandeurs de sillons (au sens large) et leurs clients qu’ils soient intermédiaires ou finaux.

2.3

Le sillon : un produit hétérogène

Après avoir présenté les parties prenantes des échanges de capacités, il s’agit à présent de mieux cerner la nature du bien qui est échangé. Dans la définition du marché de la concurrence parfaite, le produit est divisible et homogène c’est-à-dire que les différents exemplaires qui sont fabriqués présentent les mêmes caractéristiques et sont parfaitement substituables. Ce n’est pas le cas du sillon. Cette spécificité a été soulignée dans la lit- térature économique. Toutefois, elle fait souvent l’objet d’une description succincte, les auteurs pointant brièvement le caractère non interchangeable de sillons destinés à deux types de services du fait de leur vitesse (Gibson, 2003 ; Pérennes, 2014b) ou placés à différents moments de la journée (Caillaud, 2003) voire leur caractère « unique et périssable » (Dodgson, 1999, p.129). Ce constat est important car il a des conséquences sur les modalités d’allocation et le type de tarification applicables que nous traiterons dans la section 2.4. Nous allons tenter ici de développer, compléter et illustrer les rai- sons pour lesquelles les sillons peuvent effectivement être considérés comme hétérogènes et imparfaitement substituables en prenant appui sur le fonctionnement du processus de répartition des capacités français. Quelle influence les caractéristiques de la demande et de l’offre ont-elles sur le degré d’hétérogénéité du produit ?

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