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quels contours ?

5.2.1 Qualité(s) : une notion kaléidoscopique

Au cours du XXe siècle, la qualité s’est progressivement affirmée comme un sujet

de préoccupation non seulement pour les entreprises mais également pour les pouvoirs publics et les individus (Coestier et Marette, 2004). Pourtant, il s’agit d’une notion difficile à cerner. Parasuraman et al. (1985) évoquent ainsi un « construit insaisissable et indistinct ». Ce constat tient en particulier à l’impossibilité de réduire la qualité à une seule dimension et à un seul point de vue.

Dans ce contexte d’intérêt croissant, la qualité des produits a fait l’objet d’une litté- rature particulièrement féconde en sciences de gestion ainsi qu’en sciences sociales. Elle est au cœur de nombreux travaux en marketing et constitue un thème de recherche à part entière en économie et en sociologie (économique). Si notre ambition n’est pas ici de faire un état exhaustif de ce développement foisonnant, on peut dire qu’il en résulte une multiplicité de définitions, mettant en évidence des méthodes d’appropriation différentes de l’idée de qualité selon les disciplines. Dans un article intitulé « What does « product quality » really mean ? », Garvin (1984) propose une typologie d’approches pour essayer de clarifier les différentes « sensibilités » qualitatives. Il met en évidence cinq approches regroupant des définitions de différents auteurs orientées vers :

1. une forme de transcendance : la qualité est un idéal, une condition de l’excellence, 2. le produit : la qualité repose sur le « dosage » de ses attributs,

3. la production industrielle : la qualité se définit comme une conformité à des spéci- fications,

4. le client : la qualité s’apparente à une aptitude à l’emploi6 et/ou une maximisation

de la satisfaction7,

5. la valeur : la qualité est un compromis entre usage et prix.

Si cette coexistence d’approches comporte un potentiel conflictuel au sein de l’entreprise productrice (notamment entre les services chargés de la production et de la commer- cialisation du produit), l’auteur est d’avis qu’il convient de cultiver ces différentes perspectives sur la qualité car elles ont toutes du sens.

Plus largement, l’histoire de la qualité des produits s’est nourrie de préoccupations hé- térogènes qui se sont au fil du temps entremêlées. Prenant appui sur la situation française, Bernard de Raymond et Chauvin (2014) en évoquent trois :

— organisationnelle, s’appuyant sur une « mise en normes » de plus en plus extensive de la qualité8,

6. définition issue du management des opérations 7. définition issue de l’économie et du marketing

8. Pour plus de détails, voir l’ouvrage de Weill (2001) qui retrace les évolutions du management de la qualité au sein des entreprises. On note que les contours de la qualité se sont déplacés au cours du temps, englobant par étapes, le produit (contrôle qualité), le processus de production (assurance qualité), l’environnement de l’entreprise (qualité totale) et l’ensemble des processus (qualité intégrée). « La qualité épouse [...] toute l’histoire industrielle, celle d’un monde dans lequel les pénuries se résorbent, rendant le client plus exigeant vis-à-vis des produits que l’industrie fabrique et plus inquiet devant les risques qui les accompagnent. » (p.102)

— marchande, cherchant à produire de l’information pertinente et à l’inscrire sur le produit pour garantir la loyauté des échanges,

— sanitaire, visant la sécurité et la santé des consommateurs.

C’est dans le cadre de l’essor du mouvement de normalisation qu’une définition « qua- liticienne » de la qualité, celle de l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO), a émergé. Différentes versions de cette définition se sont succédées. Voici celle qui est en vigueur aujourd’hui : « la qualité est l’aptitude d’un ensemble de caractéristiques intrin- sèques à satisfaire des exigences », le terme « exigences » devant être compris comme « des besoins ou attentes formulés, habituellement implicites ou imposés » (Norme ISO 9000, 2000). Malgré son formalisme et sa portée très générale (rendant compte de la difficulté à cerner la qualité), cette définition – qui a le mérite d’être reconnue internationalement – est intéressante car elle :

— fait un lien entre qualité et satisfaction, actant l’importance du point de vue du

client9 aux côtés des préoccupations du producteur,

— distingue différents types d’exigences, laissant entrevoir que celles-ci peuvent être plus ou moins faciles à cerner,

— souligne la relativité de la qualité dans la mesure où les exigences à satisfaire peuvent émaner de différents types de clients : l’usager, le consommateur, l’utili- sateur final, les pouvoirs publics, une autre entreprise ou un autre département de l’entreprise productrice.

Pour clore ce bref développement sur l’image aux contours nébuleux renvoyée par la notion de qualité, nous souhaitons mettre en avant l’existence d’un certain nombre de recherches qui se sont intéressées à la qualité des produits sous l’angle de l’incertitude quant à son contenu. Cette problématique a donné lieu à des réflexions sur les asymétries d’information entre acheteurs et vendeurs et sur la production de « signaux » pour aiguiller les acheteurs et réduire cette incertitude qualitative (voir l’étude d’Akerlof (1970) sur les voitures d’occasion et les travaux de Spence et Stiglitz). Ces travaux sont à l’origine de l’émergence de l’« économie de l’information ». Par ailleurs, l’incertitude sur le contenu de la qualité d’un produit et les rapports de force quant à sa construction ont constitué

un champ d’investigation du courant de l’économie des conventions10.

« Un produit fabriqué et échangé apparaît dans sa réalité concrète comme le résultat d’un processus de coordination entre producteurs et demandeurs où l’accord sur la qualité du produit se construit dans le même temps que le produit se fabrique. »

(Salais et Storper, 1993, p.42), cité par Coestier et Marette (2004) Enfin, à partir de l’article de Karpik (1989), des travaux relevant de la sociologie éco- nomique ont porté sur les biens dont la qualité reste difficile à approcher, nécessitant le recours à des tiers (voir les travaux sur les « marchés à prescripteurs » d’Hatchuel (1995)

et les biens singuliers (Karpik, 2007))11. La qualité est alors abordée par le prisme de

9. Sur la figure du client et l’effet de la normalisation, voir Cochoy (2002). 10. Voir notamment Eymard-Duvernay (1989).

11. Une synthèse sur l’apport de ces travaux peut être trouvée dans l’ouvrage de Bernard de Ray- mond et Chauvin (2014, p.84-90).

ses effets sur la dynamique des marchés. Ainsi, la qualité des produits, loin d’être donnée, représente un enjeu stratégique pour les acteurs (Callon et al., 2000).

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