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nisationnelles du passage au cadencement

1.2.1 Le travail des horairistes

Comme il est fort justement rappelé dans l’audit de l’EPFL (2007), « avec moins de

1000 personnes27 directement impliquées dans le processus, la répartition de la capacité

n’est pas parmi les tâches les plus « lourdes » dévolues au système ferroviaire qui mobilise un effectif de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La répartition des capacités est, cependant, au cœur même de la finalité du système : celle qui consiste à définir le produit de l’entreprise dans son ensemble, de mettre à disposition de la collectivité une capacité de transporter des personnes et des biens. ». En dépit de ce rôle central, le fonctionnement au quotidien de ce processus demeure, comme nous le précisions en introduction, méconnu au-delà de ce cercle restreint de la sphère ferroviaire. Comment se passe concrètement la répartition des capacités et en particulier, la production des sillons ?

Grands principes d’élaboration du graphique de circulation

Au début de ce chapitre, nous avons livré une première définition du sillon, une définition législative. Au-delà d’un droit d’usage du réseau et de son rôle de support à la circulation d’un train, le sillon constitue également un produit concret que l’on peut représenter. Intrinsèquement lié à un déplacement, le sillon présente une double

dimension : temporelle et spatiale. Élaborer le graphique de circulation28 (appelé

également graphique espace-temps ou graphique horaire) revient à positionner les sillons les uns par rapport aux autres au cours du temps sur les différentes parties du réseau qu’ils sont amenés à traverser. En abscisse de ce graphique, on représente le temps et en

ordonnée, l’espace29. Chaque sillon prend ainsi la forme d’un trait continu plus ou moins

incliné symbolisant la progression du train.

La pente représente la vitesse du train. Plus un train circulera vite, plus son orien- tation se rapprochera de la verticale. A contrario, plus un train sera lent, plus le sillon se rapprochera de l’horizontale. Un arrêt est symbolisé par un segment horizontal dont la longueur est proportionnelle à sa durée. Le profil du sillon est ainsi la résultante de plusieurs variables :

— les caractéristiques de l’infrastructure : type de signalisation, profil de la ligne (rampes, pentes et rayons de courbure), alimentation électrique. . .

27. Ce chiffre comprend l’ensemble des horairistes de la DCF et de RFF ainsi que leur hiérarchie. Il exclut donc tout le personnel en charge de la gestion opérationnelle qui constitue la majorité des agents de la DCF.

28. Il est parfois question de graphiques de circulation. Cet usage rend compte du fait que la production des sillons peut être appréhendée à différentes échelles : au niveau de la ligne (constituée d’une ou de plusieurs voies), de la région (c’est-à-dire un ensemble de lignes territorialement circonscrit) ou du réseau. Nous retiendrons par commodité l’usage du singulier en gardant à l’esprit que le graphique de circulation est en réalité une collection de multiples graphiques de circulation couvrant l’ensemble du réseau et se déclinant chaque jour de l’année.

29. On peut noter que cette orientation est de mise en France mais qu’en Allemagne, par exemple, les deux axes sont inversés. Pour une illustration, se reporter au chapitre 8.

— les performances du convoi : courbe effort/vitesse du ou des engins moteurs, lon- gueur, tonnage et résistance à l’avancement,

— le nombre, la localisation et la durée des arrêts,

— le niveau de densité et d’hétérogénéité des sillons environnants sur le graphique — la présence de travaux.

Le travail des horairistes consiste donc, à partir d’un certain nombre de règles et de critères sur lesquels nous allons revenir, à préparer le graphique de circulation en traçant les uns à côté des autres les sillons demandés. Cet ordonnancement représente la façon dont les trains se succéderont effectivement sur l’infrastructure le jour J. La circulation des trains se faisant dans les deux sens, le graphique présente à la fois des sillons « montants » et « descendants ». La figure 1.6 présente un exemple de graphique de circulation entre Strasbourg et Bâle. Chaque couleur symbolise un type de service. Le fret est représenté en vert.

Figure 1.6 – Exemple de graphique de circulation – Source : RFF (2012)

En outre, comme il a déjà été évoqué, les trains ne sont pas les seuls consommateurs de capacité sur le réseau. L’intégration des travaux au graphique constitue donc une autre facette du travail des horairistes. À côté des sillons, des créneaux sont réservés pour la

réalisation des travaux. On parle de plage ou de fenêtre30. Selon leur ampleur, ces plages

ou fenêtres prennent dans le graphique la forme de trapèzes qui actent l’indisponibilité de la (ou des) section(s) de voie concernée(s) à tout usage commercial (figure 1.7). Un même sillon ou une même plage peut se répéter sur une période plus ou moins longue durant le service annuel (plusieurs jours, semaines ou mois). Le nombre de jours d’application pendant un service annuel est appelé régime. Ainsi, le graphique horaire se décline chaque jour de l’année : les sillons comme les fenêtres et plages sont datés.

Espace Temps LEGENDE Voyageur national Voyageur régional Voyageur local Fret

Travaux dans le sens descendant Travaux dans le sens montant

Figure 1.7 – Sillons et travaux sur un graphique de circulation – Réalisation : Morvant

(2014)

La sécurité ferroviaire excluant un usage simultané d’une même portion d’infra- structure, la présence de sillons sécants dans le même sens de circulation constitue une anomalie appelée conflit. Des conflits peuvent apparaître entre sillons mais également entre sillons et fenêtres ou plages. Le rôle de l’horairiste consiste donc, non seulement à positionner tous ces objets sur le graphique mais surtout, à les positionner en évitant tout conflit qui viendrait perturber la marche des trains concernés. C’est pourquoi le travail d’élaboration du graphique de circulation est encadré par un ensemble de normes et de spécifications techniques qui couvrent l’ensemble du réseau. Elles sont le fruit d’un retour d’expérience qui, d’année en année, permet de les actualiser et de les ajuster en fonction des conditions de circulation constatées sur le terrain et des conséquences de projets de développement ou de modifications de l’infrastructure, l’objectif étant de garantir la sécurité en toute circonstance. Elles concernent en particulier l’espacement

entre les trains qui est conditionné par le système de cantonnement31 de l’infrastructure

empruntée et la complexité de la configuration du plan de voies (en particulier dans les zones de gare). Les principes de tracé des sillons sont exposés dans l’annexe 8.1. du DRR publié annuellement par RFF et déclinés dans des Normes de tracé qui décrivent, par section de ligne et pour certaines gares, les intervalles minimaux à respecter par les horairistes. Ces normes sont consultables par les demandeurs de capacités.

Historiquement réalisé à la main, le tracé des sillons a commencé à être informatisé à la

31. Chaque ligne du réseau est divisée en sections appelées cantons ou blocks. Le principe est que chaque canton ne peut être occupé que par un seul train à la fois. En dehors de certaines lignes à faible trafic (celles exploitées sous les régimes de la Voie Unique à Signalisation Simplifiée (VUSS) ou de la Voie Unique à Trafic Restreint (VUTR)), chaque canton est normalement protégé par un signal placé à l’entrée qui avertit le conducteur du train de la présence ou non d’un convoi dans le block suivant. Sur les différents types de signalisation, voir Schön et al. (2013).

fin des années 1970 en France (Quinchon, 1983 ; Martin et Quinchon, 1993). Au dé- but des années 1990, un outil spécifique d’élaboration du graphique de circulation, appelé

THOR32 est mis en service. Il permet de réaliser des calculs de marche. Concrètement,

à partir de différents paramètres entrant dans la progression du train (caractéristiques de l’infrastructure et éléments concernant le couple engin moteur/tonnage) et renseignés dans le logiciel par l’horairiste, l’outil calcule le temps de parcours de référence du sillon (également appelé marche de base) auquel s’ajoute une marge de régularité permettant de pallier de « petits aléas d’exploitation et des ralentissements pour travaux courants » (Quinchon, 1996). Hors LGV, cette marge de régularité consiste à ajouter 4,5 minutes

par tranche de 100 km33. Des marges supplémentaires peuvent être ponctuellement

intégrées au temps de parcours de référence pour prendre en compte les conséquences de travaux conséquents. Sont également considérés les éventuels arrêts (soit revendiqués par le demandeur, soit nécessaires à l’insertion dans le graphique de circulation) (DCF, 2012a). Ce calcul de marche est d’une très grande précision : le temps de passage à un point intermédiaire peut être déterminé à dix secondes près en zone dense. Toutefois, le rôle de l’horairiste demeure central dans le système car l’outil informatique ne centralise pas l’ensemble des informations nécessaires au tracé (c’est ce qui explique que l’horairiste

doit disposer de connaissances très fines sur le secteur géographique sur lequel il trace34)

mais aussi parce que l’élaboration du graphique nécessite de mettre en regard contraintes techniques et contraintes commerciales. Comme l’explique Quinchon (1996), « [c]haque graphique, qui traduit l’utilisation de l’infrastructure, est géré : en ce sens que l’horairiste recherche la meilleure utilisation possible, qui soit compatible avec les demandes qu’il a reçues et avec les demandes prévisibles ».

Figure 1.8 – Un extrait du GOV de la gare Lyon Part-Dieu – Source : SNCF-BHL

Le graphique de circulation revêt donc une importance toute particulière au sein du processus. En gestion opérationnelle, il constitue la référence pour la circulation des trains. À côté de ce livrable qui concrétise la répartition de la capacité en ligne, la capacité des nœuds du réseau fait également l’objet d’une allocation au travers de l’élaboration de

32. Tracé des HORaires

33. Pour plus de détails sur la répartition des marges de régularité, voir l’article de Verchère et Djellab (2013).

34. « L’informatique ne remplace pas le savoir-faire des spécialistes, dont la connaissance pratique du terrain et des trains a généralement précédé leur travail actuel d’horairistes » (Dumont et Laval, 2002).

graphiques d’occupation des voies (GOV). La figure 1.8 présente un extrait du GOV de Lyon Part-Dieu. En abscisse, on retrouve le temps et en ordonnée, les différentes voies de la gare. Les traits épais figurent l’occupation physique des voies par les trains. Ces deux types de graphique constituent la charpente de l’horaire de service. Comme précisé précédemment, en cours de service annuel, ils sont néanmoins toujours amenés à s’ajuster en fonction de modifications et de nouvelles demandes de sillons ou de travaux.

Comment sont réparties les tâches entre horairistes de la SNCF ?

Historiquement, le partage des missions entre bureaux horaires et au sein des bureaux horaires était organisé selon deux grands critères : géographique et calendaire.

— Que ce soit au niveau national ou régional, hier comme aujourd’hui, les horairistes sont en charge d’une seule étape dans l’élaboration de l’horaire de service : la construction (avril à septembre A-1) ou l’adaptation du graphique de circulation (septembre A-1 jusqu’à la fin du service annuel A).

— En phase de construction, les lignes dites « nationales » relèvent du BHN et les lignes « régionales », des BHR. Les gares (et donc les GOV) sont sous la respon- sabilité des BHL (anciennement appelés « bureaux mouvement » (Dupuis, 2004, p.14)). Cette distinction reposait initialement sur le volume de trafic opéré sur la ligne et sur les interactions que cette ligne avait avec le reste du réseau, les lignes nationales étant celles qui présentaient les plus grandes densités de trafic et un caractère stratégique pour le réseau dans son ensemble (DCF, 2010b). Cette ré- partition reste de mise aujourd’hui même s’il a été constaté que certaines lignes

du fait de leur évolution mériteraient de changer de catégorie35. En phase d’adap-

tation, sauf particularités locales, le BHN est chargé du traitement des demandes de sillons traversant plus de trois régions SNCF et les BHR traitent les demandes pour des sillons qui concernent leur périmètre et éventuellement, celui d’une ré- gion contiguë. L’organisation du BHN s’appuie sur deux pôles (Sillons et Travaux), chacun divisé en trois secteurs géographiques (Nord-Est, Sud-Est et Atlantique) en construction et en adaptation auxquels se sont ajoutés une équipe pour les sillons intersecteurs et une équipe pour les sillons de dernière minute de long parcours en adaptation (DCF, 2012b).

Contrairement au réseau allemand, en revanche, il n’existe pas à la SNCF de tradition de spécialisation des horairistes en fonction du type de sillons : voyageurs ou fret. Les mêmes horairistes traitent les deux activités (sauf exceptions sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir).

Le système repose donc sur des interfaces multiples où les livrables des uns et des autres sont imbriqués. Cette forme d’organisation traduit bien une triple tension au sein du processus de répartition des capacités :

— temporelle entre un besoin de vision globale et articulée de l’usage du réseau dans le temps et une finalité opérationnelle, nécessitant une proximité avec le terrain ; — spatiale entre les échelons territoriaux (national, régional et local) ;

35. Par exemple, la ligne Nevers – Chagny est classée dans les lignes nationales alors qu’elle ne supporte que du trafic régional.

— liée à la prise en compte de besoins concurrents pour l’usage de la capacité : sillons et travaux.

Ainsi, avant même l’entrée en scène de RFF, le processus de répartition des capacités était déjà concerné par une problématique qui se pose à toute organisation : celle des modalités de division du travail et son corollaire, la coordination des tâches.

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